Comment faciliter le nourrissage des papillons ? C’est le défi proposé à 6 classes de cycle 3 par un laboratoire de recherche guyanais. Erwan Vappreau, professeur des écoles à la Roche-des-Grées à Messac (35), imagine avec ses élèves un dispositif expérimental pouvant se substituer à une fleur. Du croquis jusqu’à l’impression 3D de fleurs factices, ses élèves collaborent avec d’autres classes par l’outil numérique Dodoc. « Nous ciblons l’étude des papillons Heliconus connus pour raffoler notamment de la fleur Psiguria », note l’enseignant qui va notamment faire travailler ses élèves sur la sensibilité des lépidoptères à la couleur, la taille, la forme, le nombre de pétales des fleurs.
Pourquoi ce projet de « fleur mangeoire » mené dans votre école ?
Il s’agit d’un projet, impliquant 6 classes de cycle 3 réparties sur la métropole et une en Guyane, que l’on invite à collaborer pour répondre ensemble à une problématique spécifique émanant d’un scientifique, en l’occurrence l’équipe de recherche du laboratoire LEEISA (Laboratoire Ecologie, Evolution, Interactions des systèmes amazoniens) basé à Cayenne.
La problématique qui fut proposée aux élèves est la suivante : des études sont menées sur des papillons élevés en serre afin d’étudier divers aspects du mimétisme ou de l’adaptation au milieu. Nourrir ces papillons n’est pas chose facile, car il n’est pas question de prélever des plantes dans la nature et ces dernières ne sont pas en floraison toute l’année. Il faut imaginer des supports qui se substituent aux fleurs.
L’idée est donc d’imaginer ensemble un dispositif expérimental visant à identifier les caractéristiques idéales d’une fleur artificielle, facilitant le nourrissage des papillons. Les élèves, sur les conseils avisés des scientifiques, ont isolés plusieurs paramètres à expérimenter, impliquant la conception de plusieurs séries de « fleurs ». Nous n’étions pas trop de 6 classes pour se répartir ce travail important.
Ces séries de « fleurs » ont été transmises en Guyane et vont être soumises aux papillons en serre. Pour des raisons techniques, nous allons mener les observations (étude du comportement des papillons invités à venir s’y nourrir) en faisant se succéder la présentation des séries de fleurs sur plusieurs jours dans deux serres. Nous allons mener chaque observation sur une durée de deux heures, et cela, en direct et à distance grâce à deux caméras spécialement installées dans les serres auxquelles nous avons accès par Internet 24h sur 24h.
Que dit votre cahier des charges ?
C’est un peu un abus de langage, il s’agit de produire un écrit assez complet avec les élèves qui décrit le cadre du projet, la problématique, les contraintes auxquelles il faut répondre et les pistes expérimentales mises en œuvre. Le document présente les étapes de conception et de réalisation de ce que les classes ont entrepris de fabriquer, les croquis témoignant des recherches engagées, les plans légendés, l’impression…
Mais nous allons y retrouver des éléments qui traduisent la méthodologie mise en place, ou encore le protocole expérimental qui va être mis en place avec les fleurs modélisées et imprimées en 3D et transmises au laboratoire en Guyane. Les résultats de nos observations et l’interprétation que nous allons pouvoir en faire avec l’aide des scientifiques y seront aussi ajoutés. Nous en faisons aussi librement un document de valorisation en y intégrant d’autres rubriques libres comme la valorisation de temps forts par exemple.
La dimension coopérative autour de la réalisation de ces documents multimédias, par les élèves eux-mêmes à l’échelle de la classe, mais aussi potentiellement à l’échelle de tout le projet, est rendue possible par l’utilisation d’un outil libre dédié à cela : DODOC, conçu par l’atelier des chercheurs.
Comment sont réparties les expériences ?
Tout commence déjà avec une visioconférence entre toutes les classes et l’équipe de recherche. Cela fut l’occasion de nous plonger dans leur univers avec l’élaboration d’un questionnaire rédigé de façon collaborative avec des outils numériques dédiés.
Entre hypothèses posées par les élèves et éclaircissements scientifiques proposés par les scientifiques, les échanges ont mis en lumière les paramètres qu’il serait pertinent de tester à notre niveau concernant les caractéristiques des fleurs à modéliser. Nous ciblons alors l’étude des papillons Heliconus connus pour raffoler notamment de la fleur Psiguria, qui va alors devenir notre fleur de référence. À partir d’elle, nous cherchons alors à savoir si les papillons sont sensibles à la couleur, la taille, la forme, le nombre de pétales, l’emplacement de la nourriture sur la corolle de la fleur, la présence ou non de « guide tactile vers le cœur de la fleur » sur les pétales ou encore s’il y a une différence entre une fleur et une grappe de petites fleurs de même surface.
À ce stade, les élèves n’ont une expérience préférée à vouloir mener, par contre sur les six classes, j’étais aussi le seul à être expérimenté en impression 3D et en usage en classe. C’était aussi l’enjeu du projet, embarquer des collègues qui n’en avaient jamais fait !
La répartition des expériences s’est donc plus faite ici entre des enseignants selon leur perception initiale des difficultés techniques que pouvait receler les différentes expériences et donc séries d’objets à modéliser. Nous avons fait de l’auto différenciation pédagogique entre nous finalement.
Ces choix ont été menés après une première période où chaque classe et chaque enseignant ont consacré du temps à prendre en main la modélisation 3D à travers des réalisations propres à sa classe (matériels pédagogiques, outils d’expérimentation pour d’autres choses …). Cela fut bien sûr accompagné d’un travail de formation et d’accompagnement en distanciel ou en présentiel, grâce à l’aide extérieure pour quelques collègues d’enseignants coordinateurs de centre pilote la main à la pâte notamment, de collègues expérimentés, ou encore de fablabs.
Les choix ont pu aussi être influencés par les contraintes propres à chaque classe (profil des élèves, vie de la classe ponctuée par d’autres projets, décharge, équipement informatique disponible…).
Comment s’effectue le travail au sein des classes ?
Chaque classe a son propre fonctionnement, il n’y a pas de recette imposée. Chaque enseignant, de par son expérience et sa sensibilité, peut avoir une façon différente de mener sa méthodologie de projet. Cela s’est plus traduit par une source d’enrichissement mutuel à travers les échanges de photos entre nous, des étapes de progression menées par chacun, ou encore les échanges de supports pédagogiques réalisés pour l’occasion pour nos élèves.
Nous avons cependant chez tout le monde retrouvé un travail de formalisation d’étapes à construire et à suivre, de rôles à se répartir, de phases de restitution interne périodique à mener. La cohérence entre les classes, au niveau de la progression dans le projet a été favorisée par la rédaction préalable d’une base commune concernant la structure du cahier des charges évoqué précédemment.
La mutualisation et la cohérence globale du projet étaient aussi dictées par un calendrier très vite construit sur l’année. Nous partions par exemple tous d’une « fleur témoin » de référence, fleur que nous nous sommes construits, et sur laquelle nous nous sommes accordés, à partir d’un modèle de la fleur naturelle : la Psyguria. Nous avions aussi l’objectif d’arriver à temps à produire les séries d’objets et conduire les expériences avec les papillons et ainsi répondre à notre problématique initiale.
L’usage de programmes de modélisation complémentaires nous a même permis de s’entraider et d’échanger des composantes d’objets modélisés entre nous.
Quelles sont ces rencontres entre les chercheurs et la classe ? Comment s’impliquent les élèves ?
Ce fut tout d’abord une visioconférence de lancement tous ensemble, où nous posions une grande quantité de questions aux scientifiques, compilées dans un document partagé, servant de base de référence pour retrouver les informations utiles à notre réflexion et à notre compréhension du cadre dans lequel nous évoluions ensemble. Des points de situations ou des partages ont pu se faire aussi avec les élèves grâce aux outils numériques utilisés. Chaque classe pouvait consulter les médias que les autres envisageaient de mettre dans leur cahier des charges ou alors des retours sur des réalisations menées en parallèle.
Nous observons une marge de progression encore possible à ce niveau, car l’outil que nous utilisons peut aussi permettre d’avoir un regard régulier des scientifiques sur notre avancée.
Une autre visio fut montée pour que les élèves présentent aux autres et aux scientifiques la façon dont ils se sont appropriés la piste expérimentale retenue et pour effectuer avec les chercheurs des réajustements à la fois sur la manière dont ils envisageaient l’isolement et l’étude de chaque paramètre. Cela permit aussi de pousser les échanges sur la manière dont nous allions imaginer tous ensemble la mise en œuvre concrète des expériences dans les serres (Quand ? Comment ? Combien de temps ? …).
Les caméras installées, accessibles des classes, et d’autres outils, nous ont permis de se sentir un peu présents sur place lors de la visite du site, la présentation de toutes les expériences aux scientifiques par nos camarades de la classe présente en Guyane. Ces caméras permettront aussi un travail de liaison en direct avec les scientifiques sur la phase d’observation des papillons.
Ensuite, les ajustements et les mises à jour se font aussi avec les chercheurs par échanges par mail notamment. D’autres visios et échanges nous attendent à présent sur la phase d’interprétation des résultats et sur la finalisation du projet.
Ce projet est-il transposable en 6ème ?
Oui, sur le papier, surtout que personnellement, j’ai déjà mené des projets similaires avec des collègues du secondaire. Par contre, il est vrai qu’un tel dispositif nécessite de développer idéalement une dynamique transdisciplinaire et de disposer d’une certaine marge de manœuvre au niveau du développement de méthodologies de projet (sans parler de l’équipement informatique et matériel nécessaire). Et là, il est clair que c’est parfois moins simple à mettre en œuvre dans le secondaire aujourd’hui.
Mais il n’est pas exclu de réfléchir avec des partenaires scientifiques, à des problématiques adaptées auxquelles on peut essayer de répondre, en tenant compte des contraintes du collège et sur une période plus courte de mise en œuvre. Surtout que l’impression 3D commence à y être largement présente aujourd’hui. Voilà aussi ici une entrée intéressante, je crois pour nourrir des projets de liaison cm2 / 6ème.
Quel fut la genèse du projet ?
Chercher à proposer aux élèves des cadres de développement de projet où les élèves se sentent pleinement impliqués, utiles et avec le sentiment de contribuer au travail du partenaire scientifique pour qui la classe s’investit. L’engagement est d’autant plus fort s’il y a le sentiment partagé de contribuer à des enjeux importants ayant une dimension citoyenne, forte à leurs yeux (protection de l’environnement, le monde du handicap, l’action solidaire…). Plus le projet est ambitieux et multiple, plus il offre aussi dans sa mise en œuvre, des possibilités de développer de la différenciation pédagogique.
Cette démarche s’est ensuite progressivement enrichie en fréquentant le monde des fablabs et des makers. Il a influencé mon travail sur le plan technique en m’invitant à y intégrer l’usage d’outils de fabrication numérique (impression 3D, découpe vinyle, programmation…), mais aussi sur le plan méthodologique en intégrant naturellement le souci de documenter et de partager ce qui est entrepris.
Tout ceci n’a rien de révolutionnaire ou d’innovant, si ce n’est l’augmentation du champ des possibles offert par l’usage d’outils innovants en matière de fabrication technique. L’impression 3D notamment commence tout doucement à entrer dans les écoles élémentaires et progressivement à trouver sa place non pas comme une finalité dans l’apprentissage des outils numériques, mais comme un outil à part entière. Surtout que cette technologie implique justement la mobilisation de très nombreuses compétences fondamentales, notamment en mathématiques, associées à des compétences en français, à l’écrit comme à l’oral lorsqu’il s’agit d’y associer la rédaction d’une documentation destinée à partager son travail vers l’extérieur.
Cette année, j’avais à cœur de chercher à engager mes élèves dans un projet plus ambitieux en développant une coopération avec d’autres classes, pour répondre à une problématique un peu plus lourde à traiter. C’est la fondation la main à la pâte qui y a répondu, elle soutient cette aventure pilote et l’a rendu possible en favorisant l’équipement des 6 classes d’une imprimante 3D. Il s’agit ici d’évaluer la possibilité de développer ce type de dispositifs, mettant en relation étroite des scientifiques et un groupe de plusieurs classes devant s’organiser pour collaborer au service d’une problématique commune.
Entretien par Julien Cabioch
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