Erwan Vappreau : "Mieux comprendre ce qu'ils savent vraiment"
"L'uniformisation, le meilleur des mondes, ce n'est pas mon truc..."
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Conforté par leurs témoignages, il a donc décidé de donner une nouvelle étape à sa vie professionnelle. Erwan Vappreau a préparé le concours d’IUFM, dont il est sorti l’an passé, avant d’être nommé à Bourgbarré, village de 2000 habitants au sud de Rennes, à la tête d’un CM2.
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Mais ses réponses le prouvent, Erwan est tout sauf un OVNI scolaire. Du haut de sa petite année d’expérience d’enseignant, il fait preuve d’un étonnant recul, et se garde bien de donner la moindre leçon…
Qu’est-ce qu’un enseignant innovant ?« Tout simplement un enseignant curieux de ce qui se passe à côté ». S’il s’est inscrit aux rencontres des «enseignants innovants » de Rennes, ce n’est pas parce qu’il se considère comme tel, il récuse plutôt le terme. C’est surtout pour avoir l’occasion de rencontrer d’autres collègues engagés dans des démarches de projet, et la confronter à sa propre pratique. Erwan Vappreau n’a pas la prétention d’inventer de nouvelles manières de faire, juste de s’interroger sur sa propre pratique, de regarder ce qui se fait dans la classe d’à-côté, d’accepter de se mettre de temps en temps en danger. Mais il sait que le bonheur professionnel doit aussi passer par des « routines », mot qu’il refuse de considérer comme péjoratif. Au cours de ses rencontres personnelles et professionnelles, il a surtout été « attiré par les gens qui semblaient heureux dans leur classe».
Quelles compétences professionnelles essaie-t-il de développer ? Des capacités d’adaptation, mais aussi tout ce qui fait le « métier », souvent invisible : « En ce moment, je travaille la proportionnalité, et je n’arrive pas facilement à déterminer quel élève est encore en phase d’apprentissage, et quels sont ceux qui peuvent déjà entrer dans d’autres réinvestissements. A l’inverse, j’ai remarqué que beaucoup de collègues de l’école savent très bien mesurer, même intuitivement et sans y passer trop de temps à travers des évaluations formelles, ce que les élèves savent, et comment différencier, adapter l’enseignement… ».
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Pour l’instant, il a besoin d’un temps de préparation très long, pour qu’il puisse anticiper sur les réponses des élèves, leur comportement, mais aussi les rôles et attitudes sur lesquelles il va pouvoir jouer. « Une foule de détails : mieux faire circuler la parole, valoriser tel élève sur ce qu’il a produit, étayer, s’isoler avec un petit groupe pour un besoin particulier. » « Des petites choses », souligne-t-il non sans humour… qu’il faut arriver à incorporer, à faire sans trop y penser, par automatisme… « Pour l’instant, ça ne m’est pas encore naturel, c’est pour cela que j’ai besoin d’y passer du temps… Mais il ne faut pas que ça m’empêche de dormir, que je reste zen. Je prends au sérieux les remarques de mes collègues plus chevronnés qui me conseillent de se ménager pour durer…. »
Est-il un « innovateur » ? « Ce n’est pas tant mon attitude pédagogique qui tranche, que le contenu du projet que je mène : beaucoup de collègues adoptent des démarches du même type, mais dans des champs disciplinaires où ils se sentent à l’aise, l’art ou la littérature par exemple. Le fait de faire des sciences, pour les collègues ou les parents, cela suscite de la curiosité… D’autant plus que je suis le seul homme de l’Ecole…
Je crois que c’est vraiment lié au cursus de chacun : j’ai des convictions affirmées sur ce que doit être une Science pour tous, qui ne soit pas réservée aux élites. Je porte un tel regard parce que c’est ma formation, quand d’autres collègues peuvent encore avoir une image inaccessible de la science, et n’ont pas confiance dans leurs compétences en la matière.
Du coup, je considère qu’il est important que je partage mon projet à toute l’Ecole, que je leur montre que la difficulté est certes méthodologique, mais pas pédagogique… »
Est-ce que ça crée des tensions dans l’Ecole ? « Ca génère des échanges intéressants et du partage, mais ça ne prend jamais la forme de conflits dans l’Ecole, parce que j’ai des collègues compétents, pertinents, curieux et ouverts. Peut-être qu’ailleurs ça serait plus difficile, qu’on me verrait comme un collègue qui se la joue un peu avec son projet sciences… » Mais c’est un problème de société, pas seulement scolaire : même dans ses relations personnelles, la relation avec la science n’est pas un objet anodin…
Du côté des élèves : mesurer l’impact d’un projet ?
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- des élèves en difficulté qui se lancent dans des productions d’écrits parce qu’ils ont appris à se servir du carnet d’expérience ;
- des élèves qui relient la leçon sur le proportionnalité « avec le fait de pouvoir anticiper à quelle altitude on devra prendre la 13e photo si le ballon-sonde monte à telle vitesse… «
- Des élèves qui ont tellement envie d’aller au bout du projet qu’ils prennent conscience du rôle des apprentissages exigeants, « ou de la nécessité de faire une légende ou un protocole expérimental. Donner du temps au choses, c’est essentiel pour que les enfants commencent à me dire « Ah oui, c’est comme l’autre jour »…
- Ou les parents qui lui disent le matin que leurs enfants « ne parlent que de ça » ;
- Ou la formalisation de l’état du projet qu’ils doivent rédiger pour leurs partenaires extérieurs, qui se traduit par des progrès de la formalisation des phrases-réponses en mathématiques…
« Ça peut sembler en marge des apprentissages, mais j’ai la prétention de penser que c’est essentiel. »
C’est un projet très technique. Est-ce différent d’autres projets menés par vos collègues ?« Non, j’ai toujours défendu l’idée de la démarche de projet, d’expérience, n’est pas propre au domaine scientifique. On retrouve certaines méthodologies communes aux projets d’écriture ou d’arts plastiques. Mon projet paraît plus rigoureux, plus carré, mais dans la vie réelle de la classe, c’et du même ordre que le montage d’une pièce de théâtre. On retrouve les mêmes étapes dans la méthodologie du projet : gérer le temps, se répartir les rôles, exprimer ses représentations, formaliser les étapes… En tant que débutant, je fais un projet dans le domaine où je me sens le plus à l’aise, mais dans quelques années j’espère appliquer ce savoir-faire dans d’autres disciplines, et j’ai des champs de partage avec mes collègues. »
Une difficulté, quelque chose qui résiste ?« Pour certains élèves, j’en suis encore à ne pas avoir la prétention de donner à tous des réflexes en matière de démarches d’investigation ou de travail. Pour certains, on est encore dans la simple « immersion », une sensibilisation. Certains ont du mal à prendre leur place dans un groupe, à être moteurs, à accepter de faire des concessions, à partager… Je ne suis pas sûr qu’ils deviendront tous des élèves capables d’être questionneurs. Ca a été une déception dans mon expérience, mais avec un peu de recul, je me dis aussi que c’est déjà bien qu’ils vivent cette expérience »
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La question sur le « retour aux fondamentaux » renvoie d’abord un silence mesuré. « Lire et écrire, c’est indispensable, et ça n’est pas négociable ». Mais aussi que l’Ecole offre les outils pour se construire, «pour évoluer, être capable de donner son avis, construire, créer, partager ». Certains avis de personnalités scientifiques l’ont rassuré. Mais avec le peu de recul dont il dit disposer, il se pose une question simple : «lorsque je préparais le concours en travaillant sur les programmes de 2002, je me rappelle du sentiment que j’avais de leur cohérence. C’est ça qui me confortait dans l’idée de devenir professeur des écoles, de me dire que ça valait le coup. Si j’avais eu les programmes qu’on nous propose, je me serais sans doute posé d’autres questions… L’uniformisation, le meilleur des mondes, ce n’est pas mon truc… »
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Par ppicard3 , le dimanche 04 mai 2008.