FJ- Claudette Balpe, quel a été votre rôle, et quel est-il actuellement, dans l’aventure de La main à la pâte ?
CB- La rénovation des disciplines scolaires va de soi dès lors que l’on considère chaque matière d’enseignement non pas comme une entité en soi, mais comme la résultante de nécessités et contraintes sociales. Il en résulte que la physionomie d’une discipline est autant un certain reflet de la science qu’elle prétend transmettre que le produit actualisé des connaissances sur l’apprentissage ou la pédagogie : une discipline scolaire est un produit de société.
La Main à la Pâte est devenue officiellement une expérience de rénovation de l’enseignement des sciences dans l’enseignement primaire à partir de 1996 (1er texte officiel au BO). Il faut cependant rappeler que, déjà dans les années 1971, la question d’une obsolescence des méthodes d’enseignement des sciences s’est posée avec « la commission Lagarrigue » consacrée surtout à l’enseignement scientifique au collège et au lycée. Il en a résulté, durant ces années de recherche en didactique, les travaux bien connus de l’INRP (section sciences), travaux qui se sont aussi penchés sur les sciences à l’école. Dès lors les nouveaux programmes et textes officiels de 1975 mettaient l’accent sur la démarche à mener en sciences, bientôt insérée à l’école primaire dans le cadre de « l’éveil ».
Les polémiques qui s’en sont suivies, compte tenu des retards sur le terrain, ont amené le ministre d’alors (Chevènement) à revenir sur cette orientation…et peu à peu, les maîtres ont pu enseigner selon la méthode qui leur convenait…(par exemple celle de la « leçon de choses »). Il en est résulté un retour aux pratiques erratiques et au délaissement des sciences à l’école par bon nombre de maîtres un peu « déboussolés » devant tous ces changements successifs et déroutés ‹ car peu familiers ‹ par la démarche scientifique à mettre en oeuvre dans leur classe.
Avec la loi Jospin de 1989, l’enfant est mis au centre des apprentissages, d’où l’essor de plus en plus grand des idées constructivistes aujourd’hui reconnues, selon lesquelles ‹ pour dire vite ‹ l’enfant (au sein de groupes de recherche) est aidé à construire ses savoirs sous la médiation d’un maître dont le statut évolue, passant de « maître omniscient qui explique » à « maître qui aide à construire son savoir ».
Cinq ans plus tard, malgré des formations et stages divers offerts aux maîtres pour adopter les nouveaux points de vue sur l’apprentissage et l’enseignement, l’inertie scolaire en matière de sciences à l’école perdure. Georges Charpak, inspiré par l’expérience américaine (menée par son ami et autre prix Nobel, Ledermann) parvient avec deux de ses amis scientifiques et le soutien de l’Académie des sciences française, à lancer ‹ avec l’appui du ministère de l’éducation ‹ une expérience sur des bases spécifiquement françaises de la Main à la pâte, version simplifiée d’une expérimentation effective par les enfants.
Les IUFM, établissements de formation initiale et continue ‹ dont je fais partie comme maître de conférence en didactique des sciences ‹ sont alors sollicités par les inspections d’académie (maîtres d’oeuvre au niveau local) pour aider au lancement de l’expérience. Aujourd’hui, un dixième des classes est concerné. Dans chaque IUFM un professeur correspondant de la Main à la Pâte est désigné localement. Un site national est développé par une équipe spécifique à l’INRP car l’autonomie de la Main à la pâte est préservée. Dès lors l’expérience Main à la Pâte ‹ reconnue ministériellement comme pôle innovant ‹ évolue au gré des initiatives, nationales, locales, etc.
C’est dans ce cadre, comme didacticienne des sciences et maître de conférences en IUFM (Bordeaux) que s’est établie ma coopération avec Stéphane Respaud ‹ maître ressource en sciences et en informatique et correspondant Main à la Pâte de l’Ariège. Après de nombreux échanges électroniques, nous avons ‹ avec l’accord des instances académiques de l’Ariège ‹ lancé notre projet bénévole d’aide aux maîtres en ligne, projet que nous avons initié déjà l’an dernier (« Sciences avec Internet », et devenu cette année « Sciences en ligne ») sur science09, un site de l’académie de Toulouse dont fait partie l’Ariège, sciences09 étant un site pilote de la main à la pâte. Ce projet a été présenté au salon de l’éducation en octobre 2002.
FJ- Actuellement vous développez le projet « sciences en ligne ». De quoi s’agit-il et qu’en attendez vous pour les enseignants, pour l’institution et les élèves ?
CB- Je forme les maîtres à la pédagogie des sciences depuis maintenant de nombreuses années. Force m’a été de constater ‹ avec les innombrables tentatives ici ou là, dont l’expérience main à la pâte ‹ que sur le terrain, l’enseignement des sciences est peu représenté….et celui des sciences physiques pratiquement absent !
D’où l’idée que la forme académique (et parfois de type positiviste) des formations et des stages ‹ selon lesquels le stagiaires vient recevoir la bonne parole ‹ manquait peut être d’une relative efficacité ou devait être complétée.
J’ai donc émis l’hypothèse suivante que c’est en intervenant directement et en temps réel auprès des croyances de maîtres ‹ à condition qu’ils soient déjà titulaires et qu’ils aient donc reçu les rudiments théoriques de la formation professionnelle ‹ que, par un accompagnement raisonné, l’on doit pouvoir obtenir une meilleure compétence professionnelle dans les classes ‹ ce dont profiterait l’enseignement des sciences à l’école. Il importe en effet que la personne à former soit partie prenante par sa pratique, ses interrogations, ses questions et sa distance critique en temps réel.
En lançant ce projet, je vise donc à améliorer la pratique des maîtres en matière d’enseignement des sciences (physiques, car telle est ma spécialité). Par ailleurs, ce travail doit permettre aussi l’installation d’une image des écrits scientifiques à l’école à partir de la pratique orientée des maîtres.
Cette question des écrits en sciences m’est apparue importante il y a déjà pas mal d’années, au point d’en avoir fait dès 1991 un chapitre de mon ouvrage pour les maîtres, paru chez Colin (Les Sciences physiques à l’école élémentaire). Aujourd’hui, le « leitmotiv » du cahier de sciences pose largement cette question de la trace écrite et du rôle des écrits dits intermédiaires de l’enfant. Nombreux sont les essais et propositions…il n’y a pas de position officielle ni pour la main à la pâte, ni au ministère.
Je pense que la maîtrise de la démarche scientifique va désormais de pair avec celle du langage écrit communicationnel et/ou scientifique : telle est la position que je défends dans le projet.
En amenant les maîtres à faire réaliser systématiquement et pour chaque séquence, des productions écrites (dessinées, schématisées, langagières, logiques etc.) j’espère faire prendre conscience chaque participant et chaque visiteur du site, de la synergie que constituent l’usage et la maîtrise de la langue dans une activité scientifique. Mais aussi, je souhaite que chaque enfant exploite son plaisir de formuler ses recherches, questions, observations et les résultats de manière à renforcer ainsi sa maîtrise de la langue française.
FJ- Evoquant la démarche scientifique à l’école primaire, vous avez dit « ce que l’on fait avec les enfants n’est pas l’acquisition de nouvelles connaissances scientifiques, c’est une pédagogie des sciences expérimentales. Leur faire croire, et , pire, croire soi-même, que l’on reproduit réellement les conditions d’acquisition de connaissances vraies.. est trop ambitieux et trompeur. En fin de compte, l’enfant acquiert-il des connaissances scientifiques à l’aide de cette démarche ? Je ne le pense pas ». Mais alors quel est l’apport ? Ne vaudrait-il pas mieux que l’enseignant transmette des connaissances directement ?
CB- Cette phrase tient à bien différencier la posture de chercheur actuel qui essaie de faire progresser la science qui le concerne, et, celle de l’élève qui travaille sur des notions plus anciennes et déjà bien circonscrites par la recherche (la fusion de la glace, le mouvement apparent du soleil, la réalisation de circuits électriques, etc.). Si l’enfant est un « petit chercheur », il ne constitue pas pour autant l’égal du chercheur universitaire : le chercheur cherche pour établir des notions et concepts nouveaux pour son époque. L’enfant essaie de construire les concepts qu’il ignore encore à propos du monde naturel qui l’entoure. Dès lors l’enfant doit construire pour lui (et la classe) des concepts déjà anciens et bien connus des chercheurs actuels (ex : un conducteur/un isolant, les états de la matière, un jour, une ombre, la formation d’une image avec chambre claire, etc.).
La nouveauté du concept construit est alors relative : pour l’enfant, cela revient à comprendre par lui-même (ou son groupe) comment fonctionne le monde naturel qui l’entoure, alors que ce monde est déjà décrit dans les manuels de collège. Pour le maître, cela revient à piloter une séquence d’apprentissage et non de production de savoirs scientifiques totalement nouveaux (puisqu’il peut à tout instant faire consulter des manuels contenant l’exposition de ce savoir). Il s’agit donc pour le maître de maîtriser la pédagogie des sciences pour que l’enfant construise ses savoirs scientifiques en passant par une démarche semblable à celle du savant sans cependant s’identifier totalement à elle : l’enfant pourra à la fin, vérifier si les conclusions collectives sont scientifiquement justes (ouvrages et manuels de sciences).
Aussi, si la procédure et le débat scientifique sont de mise, les enjeux des recherches en classe sont d’un autre ordre. C’est pourquoi, par exemple, la démarche scientifique expérimentale ne sera pas nécessairement menée de façon exhaustive (étude de tous les facteurs recensés) car trop lourde à mener ou parfois trop complexe. Par exemple, il suffira ‹ pour la formation de l’enfant ‹ que la recherche se fasse sur les premiers facteurs relativement simples, ce qui permettrait à celui-ci de saisir la méthode au coeur du travail. Je pense par exemple à la chambre noire et son fonctionnement (avec la propagation rectiligne de la lumière), notamment à l’étude des facteurs de la taille de « l’image » parfois en compétition avec la largeur du trou et le flou qui en résulte.
Pour en revenir à cette phrase, elle est relative au contexte de l’enseignement secondaire et non à l’enseignement primaire. Bien souvent, au collège mais surtout au lycée, le professeur de physique évoque une expérience réalisée jadis par un savant. Il prétend reproduire cette expérience en faisant « comme » l’expérience historique ‹ ce qui n’est pratiquement jamais le cas à l’école primaire. C’est pourquoi je dis que DANS CE CAS (collège, lycée), faire croire à la reproduction exacte de l’expérience historique est abusif et trompeur. L’élève ne construit rien mais se contente d’écouter un discours. Tous les aspects scientifiques de la découverte ne sont pas vraiment touchés du doigt : l’élève n’a pas le « background » expérimental suffisant pour critiquer la manipulation. Il est en position de « mémoriser » ce que le professeur lui assure être vrai….j’estime qu’il ne s’agit pas là vraiment de connaissances scientifiques (au sens pratique et méthodologique du terme), mais de mémorisation de résultats ou d’informations.
La science ne se réduit pas à des résultats… L’esprit scientifique ne se forme pas avec un simple apprentissage de définitions ou formules, ni avec la résolution de problèmes. Et que l’on ne me dise pas que les travaux pratiques sont là pour mettre en place un esprit scientifique… J’en ai abondamment parlé dans mon ouvrage sur la physique (Enseigner la physique au collège et au lycée – Approche historique, Presses universitaires de Rennes, 2001).
Quant à la fin de votre question (« Mais alors quel est l’apport ? Ne vaudrait-il pas mieux que l’enseignant transmette des connaissances directement ? »), mes commentaires antérieurs font bien la différence entre le lycéen et l’enfant du niveau primaire dont la posture à l’école n’est en rien comparable à celle du lycéen.
La démarche de construction des savoirs qui pénètre l’école primaire est loin d’être aboutie dans le secondaire. Il n’en reste pas moins que selon moi, la seule façon envisageable pour enseigner les sciences au lycée, serait de faire participer activement l’élève à la construction de son savoir. C’est un chantier à peine amorcé : les programmes de Seconde tentent d’introduire la construction de savoir dans des groupes de recherche (en astronomie, par exemple).
La différence entre primaire et secondaire tient au niveau scientifique : l’enfant étudie une science au niveau « qualitatif » ‹ celui du concept et de la relation qualitative ‹ alors qu’au collège ou lycée l’élève commence la formalisation (l’intensité du courant électrique qui, à l’école est seulement indiquée par l’éclairage variable d’une ampoule, devient dans le second degré un concept qui peut être mesuré et qui entre dans une relation mathématique, telle la loi d’Ohm).
Il s’en suit que l’enfant du primaire ‹ dans une vision idéale d’un enseignement scientifique aujourd’hui ‹ s’il ne construit pas de savoir scientifique nouveau (au strict point de vue des chercheurs de son époque), construit à son niveau et de son point de vue un savoir nouveau pour lui.
Il le fait en concevant et réalisant des expériences : Non seulement l’enfant ne reproduit aucune expérience historique mais conçoit sa propre expérience pour répondre à ses propres questions. Il est maître du matériel et des mesures : il peut être critique de ses propres expériences. Il se forge ainsi un esprit logique et critique ‹ une caractéristique de l’esprit scientifique ‹ tout en construisant pour les acquérir, SES propres connaissances scientifiques. On peut postuler qu’étant acteur de son savoir, ce dernier sera plus stable et donc plus durable que celui appris selon un principe de transmission et donc de passivité.
FJ- Quelle peut-être la place des TICE dans cette démarche ? Vaut-il mieux manipuler ou simuler ?
CB- À l’école primaire, la manipulation POUR COMMENCER me paraît absolument indispensable. Pour l’enfant, un phénomène naturel médiatisé par un ordinateur n’est pas un vrai phénomène mais quelque chose de déformé et fabriqué par l’auteur du logiciel. Il faut donc que l’enfant soit confronté directement à la nature, avec sa complexité et les questions ou les paradoxes qui se posent développant sa curiosité. La simulation relève du jeu…non naturel pour l’enfant qui doit construire son savoir en s’appuyant sur un vécu réel (et non simulé).
Plus tard, au stade d’une physique plus formelle, on pourra introduire l’ordinateur pour étudier quantitativement, par exemple, une trajectoire. L’ordinateur doit être un outil adapté aux questions posées.
Par exemple, à l’école primaire, trouver une réponse à une question non « expérimentable » peut être l’occasion de recherche sur Internet. Pour visualiser le mouvement de la terre autour du soleil après un travail de simulation sur maquette , il peut être intéressant de montrer des simulations informatiques.
Je crois qu’au niveau primaire, la place de l’ordinateur en sciences physiques n’est pas première même si elle est par ailleurs indispensable comme outil documentaire. Les enfants sont d’ailleurs ravis d’aller naviguer sur le WEB à la recherche d’informations.
FJ- Actuellement un grand débat anime les IUFM sur la formation des maîtres. Certains veulent une formation plus théorique. D’autres, dont le ministre, semblent pencher pour une formation sur le terrain. Quelle réforme souhaiteriez vous voir mise en oeuvre ?
CB- Ce grand débat est particulièrement sensible aujourd’hui, depuis que nos ministres cherchent à économiser sur le coût de la formation des maîtres. Avec M. Ferry, le problème se double d’une conception utilitariste et pratique de la formation. Il faut voir là un souci de notre ministre de maintenir chaque maître ‹ considéré comme praticien ‹ « à sa place »…ce qui signifie près du terrain.
N’oublions pas que les deux grandes orientations de M. Ferry sont l’humanisme et la civilité ! Le parallèle est tentant avec la situation de l’enseignement des sciences au primaire durant tout le XIXe siècle : les ministres n’ont eu de cesse tout au long du siècle de rappeler aux maîtres leur condition modeste et « fruste » et leur obligation de demeurer proche des campagnes un peu comme un recours de proximité. Or on se souvient de la rivalité latente entre l’école du peuple et l’école des notables (notre actuel lycée), les lycéens devant recevoir la formation large du futur notable, les maîtres d’école recevant ‹ au moins en sciences ‹ une formation au rabais jusqu’au XXe siècle.
M. Ferry voulant démarquer les formations classiques et modernes (conduisant au baccalauréat puis à l’université ou aux grandes écoles), des formations techniques ou professionnelles, on peut réaliser la marginalisation qu’il met progressivement en place : le technique est soi-disant réhabilité pour mieux y développer l’orientation de ceux qui échouent en régime général. La formation soi-disant professionnelle qu’il veut mettre en place relève de cette dichotomie tout en faisant ‹ de surcroît ‹ des économies ! Les arguments idéologiques vont de pair avec les nécessités pratiques d’abaissement des coûts. Les stages de terrain voient leur horaire augmenté et les disciplines ‹autres que mathématiques et français ‹ assistent à la diminution de leurs horaires.
En ce qui concerne les sciences, le projet préparé par M.Lang et adopté par M.Ferry a carrément diminué par deux les horaires consacrés à la formation pédagogique, délaissant les sciences au profit de l’art, des langues ou de l’éducation physique comme dominante.
Actuellement, il n’existe par de professeur ou formateur en IUFM qui ne défende la formation telle qu’existante jusqu’alors, même si des perfectionnements sont toujours possibles. La place du terrain nécessaire dans la formation du futur maître, ne peut à elle seule remplacer la formation théorique didactique et pédagogique. Le jeune maître a besoin de références, de cadres théoriques pour analyser et conduire ses pratiques. On peut se référer au bricoleur qui tâtonne pour se constituer un vécu empirique (de terrain), tandis que le scientifique se reporte à ses cadres scientifiques pour analyser une situation concrète (sur le terrain).
La professionnalité exige une position scientifique, des outils, des concepts, des savoirs…qu’une formation théorique se charge de donner. Confiner la formation du jeune maître au terrain, c’est le priver de recul critique, d’évolution de ses pratiques au risque de revenir pour les sciences à la leçon de choses, leçon dogmatique faite de passivité pour l’enfant et de transmission d’informations sans esprit critique ni apprentissage méthodologique. La synergie du terrain et du théorique est indispensable pour la formation d’un futur maître qui pense et fait évoluer sa pratique ‹ plutôt qu’imiter les anciens…sans état d’âme.
FJ- Que manque-t-il à la formation des maîtres actuellement ?
CB- Actuellement c’est la place et la fonction de l’IUFM qui me paraît singulièrement en danger (surtout actuellement, avec le projet de renforcement de la seule place du terrain).
Il me semble que la vocation de l’IUFM doit être multiple
– former initialement les maîtres dans uns synergie théorique/pratique
– assurer la formation continue (de la même façon)
– mener des recherches de type appliquée sur la formation.
Les départements de didactique et de sciences de l’éducation des universités mènent depuis plusieurs dizaines d’années des recherches « fondamentales » sur l’apprentissage et l’enseignement. Il me semble que l’application de ces travaux de recherche aurait sa place dans les IUFM. Or l’IUFM étant dépendant du laboratoire universitaire auquel il est associé, il lui est difficile de promouvoir des recherches appliquées. Et pourtant, on pourrait voir dans ces applications des opportunités de développement et d’enrichissement de la formation des maîtres.
Le projet que je développe sur Internet pourrait relever d’une recherche appliquée au service de la formation des maîtres. Nombreux sont pour l’enseignant, les points sensibles qu’il conviendrait étudier par des recherches appliquées.
Actuellement, un autre obstacle me paraît être l’hétérogénéité de conception des formateurs : demandez à l’un d’entre eux ce qu’il entend très concrètement par « construire un savoir »…..
Enfin, pour envisager ce qu’il manque à la formation des maîtres actuellement, je pense que l’interaction maître-formateur n’a pas de caractère instantané mais seulement différé. Le stagiaire s’informe sur la didactique, la pédagogie, la psychopédagogie, etc. en formation initiale et tente d’appliquer lors des stages de terrain. Le problème est que lorsqu’il se pose un problème, une question, une difficulté etc. il n’a pas en temps réel de formateur comme interlocuteur. Or je me suis aperçue qu’en dépit de la formation théorique des maîtres, la plupart d’entre eux conserve des « croyances » et des fonctionnement plus ou moins erratiques qui l’amènent à prendre des décisions parfois fantaisistes, tout en croyant bien faire. Certains autres se demandent constamment si ce qu’ils font est bien ou non. C’est à ce moment là qu’un échange en direct est très fructueux.
C’est cette mise en oeuvre d’esprit critique par le maître et les réponses obtenues qui constitue la garantie de son enrichissement professionnel. C’est cet aspect qu’il conviendrait de développer dans la formation de base du futur maître.
FJ- Votre thèse portait sur l’histoire de la physique comme discipline scolaire. En quoi la connaissance du passé d’une discipline peut aider un enseignant à en comprendre les objectifs ?
J’ai effectivement entrepris une recherche sur la genèse de la physique comme discipline scolaire (dans l’enseignement secondaire), depuis avant la Révolution française jusqu’au début du XX° siècle.
Il s’agissait pour moi de comprendre l’origine de la physionomie hyper mathématisée de son enseignement aujourd’hui au lycée. J’en ai produit une interprétation à travers les travaux menés sur des sources primaires ou secondaires. Car le premier enseignement de cette thèse est bien que la physionomie de la discipline change au fil du temps ‹ contrairement à l’idée que s’en font souvent les professeurs. Ces nombreux changements sont commandés soit par des raisons idéologiques ou politiques, soit pour des raisons scientifiques (adaptation de l’enseignement à l’évolution de la physique en tant que science).
Quant à permettre de comprendre les objectifs actuels de la discipline par une investigation du passé, je ne m’exprimerai pas ainsi.
Il me semble que la connaissance de l’évolution de la discipline permet de mettre en avant les points importants pour elle ‹ dans notre cas, le matériel, les travaux pratiques et manipulations. Je dirai aussi que la connaissance du passé permet un recul critique salutaire à l’image que fournit la discipline après un siècle d’histoire. En l’occurrence ici, la physique a joué un rôle de vernis culturel pendant le XIXe siècle. Ce qui n’est pas le cas actuellement.
Je ne pense donc pas que la connaissance du passé permette de comprendre les objectifs actuel de la discipline, mais seulement de remettre en cause une image de la physique issue des études professorales, amenant de fait le professeur à s’interroger sur la nature de cette science à enseigner. C’est donc bien une position critique que la connaissance du passé peu favoriser. Cette position critique résultante devrait garantir une meilleure direction donnée à l’enseignement.
Claudette Balpe
Propos recueillis par François Jarraud
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