Le 17 mai, 122ème jour du procès, des victimes témoignent de l’attentat et de ses suites. Parmi eux, plusieurs enseignants. Ils tiennent le même discours. S’ils ont pu rencontrer au niveau rectoral du soutien, dans leur établissement les logiques bureaucratiques, jusqu’aux plus stupides, les ont broyés.
Lundi 16, je me lève et vais en cours…
Rugbyman, bon vivant, Cédric Maurin est au Bataclan le 13 novembre 2015. Il laisse un très beau récit de l’attentat, de ses suites, des analyses qu’il peut en faire comme historien et comme professeur. Un récit qui lui fait honneur et qui fait aussi honneur à la profession.
En 2015, Cédric Maurin est un jeune professeur d’histoire-géographie. Il enseigne en lycée en Seine Saint Denis. Et c’est en historien qu’il comprend et vit l’attentat, enregistrant les faits en vue d’une restitution historique. « Quand on a fait de l’histoire on a toute une méthodologie pour recueillir et interpréter les témoignages, on sait aussi quels sont les mécanismes de la mémoire et à quel point elle est dynamique et mouvante, notamment après un trauma. Cette recontextualisation me permet d’appréhender le moment pour ce qu’il est : un attentat. Cela aura son importance dans mon suivi psy et ma reconstruction ». Il arrive à quitter le Bataclan.
« Le Lundi 16, je me lève et je vais en cours rejoindre mes élèves ». Et il fait cours comme si l’événement ne le concerne pas. Mais sans cacher qu’il est un rescapé. « Je rappelle que depuis la Seconde Guerre Mondiale, les victimes des guerres (personnes décédées ou blessées) sont très majoritairement des civils parce que les manières de mener une guerre ont changé. Je n’ai quasiment pas besoin de dissocier islam et terrorisme islamiste, les élèves font eux-mêmes très bien la différence et cela me rassure », dit-il. « Ce jour-là, je mesure dans son acception pleine, l’importance capitale de mon métier. Je veux, par la réflexion, détruire la boule d’émotion traumatisante chez mes élèves. Je vous laisse imaginer Monsieur le président à quel point cela a été une journée forte pour mes élèves comme pour moi. Je rappelle tout cela aussi parce que mon métier d’enseignant d’Histoire-Géographie a été pris pour cible avec l’attentat contre Samuel Paty, abandonné par sa hiérarchie et jeté en pâture, sauf que cette fois-ci cela n’a pas été des insultes, des menaces, des pressions : il a été décapité pour avoir correctement fait son métier ».
Exercice attentat : retour en enfer
« Quelques jours plus tard, je n’arrive pas à me lever, je suis dans mon lit, tétanisé, incapable de bouger et cela dure une éternité sans que je puisse appréhender le temps. Le Contrecoup est violent, la tête dit stop, le corps dit stop. Je suis mis en arrêt de travail et découvre ce qui va devenir un mauvais compagnon de route : le syndrome de stress post-traumatique. »
Après quelques mois il reprend son travail d’enseignant. Mais il va se heurter à l’administration de son lycée. « Un jour au lycée, on m’annonce que nous devons organiser des exercices PPMS, alerte intrusion attentats, qu’il va falloir se confiner dans les salles de classe avec les élèves, se mettre sous les tables. Je vais voir mon proviseur, lui fait part du fait que c’est impossible pour moi de faire cela, qu’il vaut mieux l’organiser un jour où je n’ai pas cours pour m’éviter d’être absent. Il n’en tient pas compte. Associer attentat et lieu de travail, ce n’était pas gérable pour moi, alors que ça allait plutôt correctement, bim, retour en enfer : 3 mois de rechute post-traumatique, 3 mois de bataille pour se remettre sur pieds ».
La fabrique du prof de seconde zone
Et là pas de chance. Sa psychiatre lui accorde des arrêts maladie de courte période. Dans l’Education nationale ça veut dire qu’il n’est pas remplacé. « Résultat : mes élèves n’ont pas eu cours d’histoire-géographie pendant 3 mois. Cela me culpabilise encore et renforce mon mal-être en ajoutant une couche supplémentaire de difficulté. Un jour, alors que j’appelle le secrétariat de direction pour avertir du renouvellement de mon arrêt, le proviseur prend le téléphone (c’est illégal vu que je suis en arrêt) et me dit de tout, que notre lycée est prestigieux, qu’il faut que je quitte ce lycée, que je suis handicapé et que je n’ai rien à faire là… Au bout de 3 mois, je reviens et me fais harceler par l’administration, qui ne sert pas de rempart mais de relais à la pression des parents d’élèves : comment finir les programmes, être prêt pour le bac, avoir assez de notes pour le trimestre (je me souviens qu’il restait 3 semaines avant l’arrêt des notes et je me suis débrouillé pour que toutes mes classes aient 3 notes, je vous laisse imaginer le travail de correction) etc, etc. Bref on me tient responsable de mon arrêt mais en plus du manque de remplaçant, au lieu d’aller mettre la pression au rectorat c’est sur moi que ça tombe. Malgré tout j’arrive à clôturer à peu près les programmes et mes élèves ont eu des résultats équivalents à ceux des élèves des autres collègues ».
La machine administrative est lancée et ce n’est pas fini. L’année suivante Cédric Maurin n’a plus de classe d’examen. « Je deviens un prof de 2nde zone, et cette discrimination sur dossier médical est assumée à la fois par la direction et par mes collègues : on ne sait pas si tu vas être absent ou pas, remplacer ou pas, c’est leur argument ».
Le salut viendra du rectorat. « Pour ma part grâce au rectorat et après une rude bataille (qui vient s’ajouter au post-trauma, au fait de reprendre le travail dans des conditions compliquées) on arrive à aménager mon temps de travail et à me dispenser des exercices alerte attentat ».
Cédric Maurin trouvera aussi des forces dans son expérience. Avec ses élèves il lance un enquête sur la mémoire de la guerre d’Algérie dans les familles qui aboutira à un spectacle avec le Théâtre de la Colline. Son expérience du stress post traumatique l’aide à conseiller ses élèves pour faire parler leur grand père.
Magali vaincue par l’exercice attentat
Charlotte Piret, qui suit le procès pour France inter, note sur son fil Twitter une expérience similaire avec une professeure des écoles, Magali. Blessée elle est hospitalisée jusqu’en 2016 puis reprend son travail en grande section de maternelle. « Je réussirai à travailler trois années. Mais les exercices attentat auront raison de ma volonté ».
Le témoignage de Magali partage la même foi que celle de Cédric Maurin. « J’espère qu’un jour en France seront enseignées dès le plus jeune âge la tolérance et l’empathie. Nous devons apprendre à vivre ensemble pour créer un monde meilleur ».
François Jarraud