Les enseignants et enseignantes de SEGPA sont des professeures et professeurs des écoles spécialisés. Implantée physiquement dans un collège, cette section accueille des élèves en grande difficulté scolaire dès la sortie de l’école primaire, parfois après une réorientation en sixième, rarement après. Antoine Thouzeau est l’un des quatre professeur des écoles (PE) de la SEGPA du collège Paul Langevin de Fourchambault. Trois enseignants, enseignantes et une directrice qui suivent la soixantaine d’élèves répartis sur quatre niveaux : sixième, cinquième, quatrième et troisième. Avec ses SEGPA, Antoine privilégie la pédagogie de projet dont il est friand. Travailler sur la première guerre mondiale est ainsi l’occasion d’étudier la correspondance des poilus et les illustrations propres à cette période de l’Histoire.
Antoine Thouzeau est professeur des écoles en Segpa depuis toujours, en tout cas depuis qu’il est enseignant titulaire. Lauréat du CRPE en 2013 et après une année en classe de CE2, il se positionne sur un poste en SEGPA « à la fois pour éviter de me retrouver loin de chez moi, mais également pour travailler avec des élèves à besoins éducatifs particuliers ». Les élèves en grande difficulté scolaire, Antoine s’y est frotté dans une « première vie », lorsqu’il travaillait dans une école hors contrat qui accueillait des élèves en grande difficulté scolaire, déscolarisés ou en phobie scolaire. « Ce fut une grande expérience », explique l’enseignant, « cela m’a permis de côtoyer des élèves avec des besoins différents de ceux que je connaissais et c’est ce qui m’a poussé à poursuivre dans le spécialisé. C’était vraiment formateur parce qu’on n’avait presque aucun moyen et on devait ajuster nos cours pour qu’ils conviennent à des dys comme à des HPI ». Selon lui, « la SEGPA offre une liberté de programme et d’approche des apprentissages » qu’il ne retrouve pas ailleurs. « J’aime pouvoir croiser les enseignements, prendre le temps nécessaire afin que chaque élève puisse exprimer son potentiel ». Du côté des élèves, loin des clichés – et tout particulièrement ceux véhiculés par le film de Hanouna – pour Antoine, la SEGPA est une classe qui permet aux élèves de poser un peu leurs bagages afin de reprendre confiance en eux et en l’école. « C’est toujours très plaisant de voir des élèves nous quitter avec une confiance restaurée et une envie de poursuivre leurs études ».
Des projets pour donner du sens aux apprentissages
Au collège Paul Langevin de Fourchambault dans la Nièvre, Antoine travaille principalement avec les 4èmes et les 3èmes Segpa dans trois disciplines : art plastique, histoire-géo-EMC et français. C’est toujours autour d’un projet que ce PE organise son enseignement. Faire de l’histoire, oui, mais il faut que cela ait du sens, et que cela soit en lien avec les autres matières. « Travailler de cette façon permet aux élèves de mettre du sens dans chaque phase d’apprentissage. La pédagogie de projet permet également de stimuler la créativité des élèves et leur engagement dans la tâche. Pour moi, c’est un moyen de rendre un apprentissage plus intéressant et de les aider à retenir un maximum de connaissances ».
Avec ses troisièmes, il travaille sur la première guerre mondiale, l’occasion pour lui d’aborder les lettres de poilus en français et les illustrations propres à cette période en arts plastiques. « Comme nous devons étudier la 1ère Guerre Mondiale, je profite de cette occasion pour multiplier les entrées. La première, et la plus évidente, se fait en histoire. Nous étudions le conflit de ses origines à ses conséquences en prenant soin de comprendre les conditions de vie dans les tranchées. Nous apprenons comment étaient construites les tranchées et pourquoi ».
Un genre d’écrit littéraire : la correspondance
En littérature, c’est la découverte de la correspondance des poilus, ces soldats des tranchées, avec leurs proches, leur bien-aimée. « Cette partie est propice aux échanges et aux débats pour affiner la compréhension. En SEGPA, la compréhension de l’écrit est bien souvent un obstacle important. » La lecture de consignes, la compréhension de textes … sont autant de difficultés d’apprentissages auxquelles sont confrontés les élèves. « Travailler ensemble permet de réduire la dimension émotionnelle et stimule l’argumentation. Par exemple, lorsqu’un élève avance un argument sur ce qu’il a compris de l’histoire, il doit en même temps nous apporter des preuves de ce qu’il avance et doit donc chercher dans le texte des exemples. A l’inverse si l’un de ses camarades n’est pas d’accord, il doit également trouver l’argument qui réfute la thèse initiale ».
Vient ensuite le temps de la production d’écrits. « Tout de suite après la séquence en littérature. Après tout le travail de contextualisation en histoire et de découverte de la forme des écrits, de la correspondance, j’invite mes élèves à se mettre à la place d’un poilu, à s’imaginer vivre dans des tranchées et n’avoir qu’une plume pour échanger avec ses proches, exprimer ses craintes, ses pertes, ses espoirs… Pour aider les élèves qui ne sont pas forcément à l’aise avec cet exercice d’imagination, je laisse à disposition des étiquettes à piocher et des fiches afin de construire l’intrigue. Il s’agira par exemple de dates, de prénoms et de noms, de lieux ou d’intrigues afin de les lancer dans l’activité ».
De la technique à la production artistique
Parallèlement, Antoine propose des séances d’art plastique à ses élèves. « Nous étudions des reproductions de lettres de Poilus originales ainsi que des illustrations. Nous essayons ensemble de comprendre les techniques employées, tout en restant cohérents avec ce que nous savons des conditions de vie dans les tranchées. Rapidement nous faisons émerger des techniques comme l’aquarelle, l’encre et la plume. Il s’agit ensuite de comprendre comment utiliser ces techniques de dessin. La plume est un outil parfois compliqué à maîtriser et les élèves sont très perturbés au départ ». Après quelques séances d’entraînement, de tâtonnement, d’essais pas toujours concluants, les élèves réalisent les illustrations des lettres sur des feuilles canson préalablement vieillies artificiellement avec du marc de café. Ils terminent par l’écriture à la plume de la lettre inventée lors des séances de production d’écrit.
Antoine est satisfait de ce mode d’apprentissage, les projets mettent les élèves dans une dynamique positive. Seul point négatif : le temps. « Il faut beaucoup de temps pour mener à bien toutes les étapes sinon les élèves se perdent et ne donnent plus de sens à ce qu’ils font. Le plus difficile, c’est de les mettre au travail afin qu’ils s’engagent volontairement et pleinement dans ce que je propose en classe ».
Lilia Ben Hamouda