Il y a des rapports qui sont des bilans. Le rapport de l’Inspection générale sur « l’enseignement en cours moyen », dirigé par Olivier Hunault et Yves Poncelet, en est un. Il montre la grande misère de ces classes charnières entre le primaire et le collège. Il y a la misère matérielle. Les élèves de cours moyen n’ont très majoritairement pas de manuels, y compris pour les « fondamentaux » si prisés par le ministre. L’équipement numérique, même basique, manque aussi. Il y a la misère des programmes officiels. L’Inspection demande des modifications importantes dans ce rapport. Il y a la misère pédagogique. Après 5 années de pressions sur les fondamentaux, ceux ci ont avalé la plus grosse partie du temps d’enseignement. Mais même dans l’enseignement des fondamentaux, les prescriptions ministérielles répétées ont considérablement appauvri la pédagogie. Après cinq années de ministère Blanquer le bilan dressé par l’Inspection générale est dramatique.
Le cours moyen vu du terrain
Le rapport de Olivier Hunault et Yves Poncelet s’appuie sur la visite de 160 classes de cours moyen réalisées par une quinzaine d’inspecteurs généraux en 2021. Ces classes ont été prises dans 29 départements et reflètent l’hétérogénéité sociale des écoles. Le rapport offre ainsi une vision unique de la réalité de l’enseignement en cours moyen tel qu’il se pratique sur le terrain. Il apporte ainsi un éclairage unique à ceux qui s’intéressent aux facteurs expliquant le faible niveau des écoliers français.
Le cours moyen est un moment charnière dans la scolarité des jeunes français puisqu’il doit préparer l’entrée en collège et la réussite dans le second degré. Or quand on observe ainsi la réalité des cours moyens, on est frappé par la grande misère de ces écoles. On savait déjà que les classes du premier degré françaises sont nettement plus chargées que celles des pays voisins.
Des classes sans manuels…
On découvre que la majorité n’ont aucun manuel scolaire. Même dans les matières « fondamentales », qui sont l’obsession du ministère, les manuels manquent. Moins de 40% des classes visitées ont un manuel en français et à peine une sur trois en maths. Dans les autres disciplines les manuels sont pratiquement totalement absents : 8% des classes ont des manuels en histoire-géo, 3% en langues et aucune n’a de manuel scolaire en sciences et technologie. Le ministère peut d’un coté occuper les médias sur le thème des fondamentaux et laisser les écoles dans un dénuement quasi complet.
Et sans équipement numérique
Ce n’est pas mieux pour l’équipement numérique. Les salles numériques ont quasi disparu totalement. Mais elles n’ont pas été remplacées par d’autres dotations de matériel. » Des ordinateurs de fond de classe sont présents dans 19 % des classes observées par la mission. Un à cinq postes sont généralement disponibles, le cas le plus fréquent étant deux postes (8 % des classes). Dans 4 % des classes observées, plus de cinq postes sont disponibles ; il s’agit généralement d’ordinateurs portables placés sur un chariot partagé entre plusieurs classes. Les tablettes sont très rares dans les classes observées ; les inspecteurs généraux n’en ont vu que dans 9 % des classes où ils se sont rendus. Le plus souvent il s’agit d’un lot de six ou dix tablettes (6 % des classes observées) éventuellement partagé entre plusieurs classes. Les quelques séances où leur utilisation a été observée avaient nécessité un engagement très important des enseignants pour les préparer », précise le rapport. 80% des classes ont un vidéoprojecteur mais il ne pointe pas forcément sur une surface où on peut écrire. Seulement 8% des classes ont un visualiseur alors que ce matériel est pédagogiquement très utile et qu’il coute très peu cher.
Le coût de l’obsession des fondamentaux
Si cette misère dans l’équipement en manuels ou matériel numérique reflète le manque d’intérêt des municipalités et du ministère, la misère pédagogique que l’on va rencontrer relève du seul ministère.
Après 5 années de pression mis sur les fondamentaux, alors même que la France est la championne européenne du temps qui leur est consacré, le rapport montre que ceux ci ont largement débordé sur le temps des autres disciplines et cela bien au delà des prescriptions officielles. En moyenne, selon ce qu’ont constaté les inspecteurs, les écoliers de cours moyen ont 9% de français en plus de l’horaire officiel soit 8 heures hebdomadaires au lieu des 7h20 attendues. En maths ils ont 5 heures au lieu des 4h35 attendues (compte tenu des récréations). Cette heure supplémentaire gagnée par le couple français maths est prélevée sur les arts (1h30 au lieu d’1h50) et les sciences (1h15 au lieu de 1h50). C’est 20% de l’enseignement artistique et un tiers de celui de sciences qui disparaissent. Le rapport signale aussi que l’horaire d’EPS est amputé d’une heure en moyenne (1h45 au lieu de 2h45 attendues). Alors que le ministre inonde les médias de la « demi heure quotidienne de sport », l’horaire officiel d’EPS n’est respecté que dans 7% des écoles. Souvent on ampute pas les récréations sur les heures de français maths et on les répercute sur les autres disciplines.
La misère pédagogique se retrouve aussi dans l’enseignement des fondamentaux. Ainsi en français, » le temps consacré à la grammaire, l’orthographe et la conjugaison correspond à la moitié du temps consacré à l’enseignement du français. En revanche, le temps consacré à la production écrite est limité à une dizaine de minutes par jour en moyenne, c’est-à-dire une durée très en-deçà de ce qui est souhaitable pour une bonne préparation à l’entrée en sixième. Les inspecteurs généraux n’ont d’ailleurs repéré aucun travail spécifique sur la production écrite dans les outils des élèves de 21 % des classes où ils se sont rendus ». Le travail su rla compréhension est aussi baclé alors que l’enquête PIRLS a montré une faiblesse des élèves français sur les processus interpréter et apprécier. » Dans 18 % des classes visitées, la mission n’a repéré aucun travail sur la compréhension dans les outils des élèves. le travail engagé sur la compréhension relève en réalité davantage de l’évaluation, par questionnaire à réponses courtes ou QCM le plus souvent, que de l’enseignement. Les traces écrites d’une « méthodologie » de la compréhension sont extrêmement rares ».
On comprend bien que l’Inspection pointe ainsi les enseignants. Mais l’obsession mise sur la grammaire, l’orthographe, le lexique , la conjugaison dans les documents ministériels, l’effacement des travaux de R Goigoux dans les « guides » ministériels expliquent largement cette situation et valident en fait les pratiques signalées par l’Inspection.
Des programmes qui ignorent la réalité des classes
Un autre point de la misère de la pédagogie ministérielle est souligné dans le rapport. Il signale que la moitié des élève de cours moyen (42% précisément) sont dans des classes multiniveaux : 30% en Cm1 -CM2 et 12% sous d’autres organisations. » Cette situation est donc loin d’être anecdotique et mérite d’être prise pleinement en compte dans l’écriture des programmes », note l’Inspection. Or les programmes, largement revus sous le ministère Blanquer, ne prennent pas en compte cette réalité. L’Inspection souligne que le programme d’histoire n’est pas du tout adapté à une classe associant des Cm1 et Cm2. C’est le cas aussi en maths, par exemple pour l’enseignement des fractions. Et en période de pandémie les enseignants n’ont pas pu faire des regroupements interclasses pour compenser la faiblesse de la pensée ministérielle. L’Inspection générale, qui a été exclue de la rédaction des programme, ne manque pas de recommander des adaptations de programme assez importantes.
On retrouve encore les obsessions ministérielles dans l’enseignement de l’histoire géographie. Pour ces disciplines l’horaire officiel est respecté. Les affiches officielles issues de la loi école de la confiance sont bien dans les classes. Mais l’EMC et l’histoire avalent la géographie. Cette discipline ne pèse que 11% du total de ces enseignements.
Le travail à la maison
Le rapport pointe d’autres points intéressants de la vie quotidienne des classes. Ainsi il relève que la moitié des classes ont gardé une disposition en rangs. Un quart (26%) fonctionnent en ilôts avec à peu près une sur trois où les élèves ont une mauvaise visibilité du tableau.
» Presque tous les enseignants donnent du travail oral et écrit à faire à la maison », note le rapport, alors que celui ci est interdit depuis des décennies. Là dessus la pression sociale existe. Certes toutes les classes, en Rep+ comme dans les quartiers bourgeois, donnent du travail à la maison. Mais dans les beaux quartiers les inspecteurs soulignent qu’il y a un minimum plancher d’un travail par jour. 82% du travail à la maison est en français ou en maths. C’est aussi le cas pour les évaluations en classe. » En dehors des mathématiques et du français, les évaluations sont rares et le plus souvent limitées à un rôle d’évaluation bilan ». On notera que dans moins de 10% des classes les évaluations en français comprennent des productions écrites.
Les recommandations
Les inspecteurs généraux font 7 grandes recommandations. Ils demandent de « renforcer la vigilance » sur les temps effectifs consacrés à certaines disciplines (sciences, arts, eps). Ils demandent « d’engager des discussions avec les responsables des collectivités territoriales pour faire évoluer la situation » sur l’équipement numérique. Ils veulent aussi « d’encourager » l’achat de manuels. Ils souhaitent que soit précisé aux parents le cadrage des devoirs à la maison en préconisant pas plus de 30 minutes par jour. Enfin il y a les modifications des programmes. Là l’Inspection point directement la politique ministérielle. Elle demande des modifications dans les programmes de maths en introduisant les fractions et la notion de probabilité en CE2. Ils veulent aussi une modification des programmes en sciences en identifiant ce qui doit être étudié en cours moyen sans distinguer cm1 et cm2. Enfin ils demandent la réécriture des programmes de géographie.
François Jarraud