Comment créer un jeu d’évasion en ligne pour les élèves ? La réponse est peut-être dans le livre « S’capade en ligne » paru aujourd’hui aux éditions Ellipses. Écrit par Patrice Nadam, professeur de SVT au lycée La Tour des Dames à Rozay-en-Brie (77) et Mélanie Fenaert, professeure de SVT au lycée Blaise Pascal à Orsay (91), l’ouvrage explique la manière de transposer un escape game réel sur une interface en ligne tout en favorisant le travail en équipe et l’engagement des élèves. Pour les auteurs « la véritable phase d’apprentissage et de mémorisation est celle du débriefing, ce temps d’après-jeu consacré au retour sur le vécu et la fixation des notions importantes ».
Que va-t-on trouver dans votre ouvrage ? Comment-est-il conçu ?
S’capade en ligne est la suite logique de notre premier ouvrage S’capade pédagogique avec les jeux d’évasion, publié lui aussi aux éditions Ellipses, qui traitait principalement des escape games «physiques», réels. Dans ce deuxième opus, nous parlons exclusivement de la version virtuelle, numérique, de ces jeux. Nous reprenons les composantes d’un bon jeu d’évasion et expliquons la manière de les transposer sur une interface en ligne. Notre approche est essentiellement centrée sur la ludopédagogie et les manières d’optimiser son activité en ligne avec ses élèves ou ses stagiaires. Bien sûr, les outils et les aspects techniques ont également leur place. Nous essayons d’en montrer la diversité et de préciser la spécificité de chacun. Le livre se termine avec un pas-à-pas détaillé permettant la réalisation d’un exemple en utilisant l’un des outils plébiscités par les enseignants lors du confinement : Genially.
Quels sont les atouts pédagogiques des escape games virtuels par rapport à ceux vécus en classe ?
Du point de vue de l’immersion et de la mise en activité des joueurs, rien n’est comparable à un escape game réel. De plus, la facilité qu’on peut avoir à réaliser des exercices en ligne est un risque de s’écarter des escape games et jeux à énigmes et de verser dans la gamification ou encore la « ludéfication ». Ce néologisme de Patrice désigne la création de défis plus ou moins ludifiés mais très proches d’une activité de classe classique : c’est une approche pédagogique intéressante mais ce n’est clairement pas le format du jeu d’évasion.
Lors des deux confinements, les enseignants ont été nombreux à relever le défi de l’enseignement à distance en créant des escape games entièrement en ligne afin de maintenir l’engagement et la motivation de leurs élèves. Tout est alors dans la réussite de la transposition des atouts des jeux physiques. Comment simuler la fouille d’une pièce, la manipulation d’objets, l’ouverture d’un coffre, la révélation d’un message à la lampe à UV, etc ? Comment mener une séance incluant ce type de jeu, en présence ou à distance ? Comment favoriser la collaboration et la coopération des élèves, notamment en classe virtuelle ? Comment, selon le contexte, mener un débriefing qui permette aux élèves de prendre conscience de leurs apprentissages, de mémoriser ? Nous abordons ainsi de nombreux aspects du jeu d’évasion pédagogique, à travers le prisme du jeu en ligne.
Pourquoi recommandez-vous de faire jouer les élèves en équipe ?
Un escape game est par essence un jeu d’équipe. Même pour un jeu en ligne, nous préconisons de le faire jouer à plusieurs. Pour cela, il faut déclencher des situations qui les forcent à le faire, même dans un contexte distant ! L‘imbrication des énigmes, la construction d’un scénario non linéaire, la diversité des énigmes sont quelques uns des éléments qui vont rendre le jeu assez difficile pour un joueur seul, mais réalisable dans les temps pour une équipe qui sait communiquer et se répartir les tâches.
Malheureusement, peu d’outils permettent de créer des sessions vraiment multijoueurs pour lesquelles l’action des uns se répercute sur les autres. Nous explorons donc différentes interfaces et leurs fonctionnalités et proposons des astuces pour favoriser le travail d’équipe, que l’on fasse jouer les élèves en classe ou à distance.
Quelles différences entre un jeu semi-virtuel et un jeu virtuel ?
Un jeu semi-virtuel mêle réalité et virtuel. Dans un escape game physique, on peut glisser des phases de jeu sur une interface numérique pour plonger les joueurs dans un autre univers, pour simuler un environnement impossible à recréer avec un décor en carton-pâte… Lors d’un jeu en ligne, on peut tout à fait proposer au joueur de quitter son écran pour réaliser une expérience avec quelques produits du quotidien ou imprimer un document qu’il devra manipuler dans tous les sens pour résoudre une énigme. Si le jeu se déroule en classe, on pourra proposer des manipulations et expériences dans les disciplines scientifiques, la lecture d’une page de livre ou de manuel, ou simplement une boîte avec un vrai cadenas.
En incluant une dimension réelle dans un jeu en ligne, on varie les supports ce qui est souvent un plus en pédagogie. On force aussi le joueur à prendre du recul par rapport au jeu, et cela pourra faciliter plus tard la phase de débriefing. Le risque est de rompre l’immersion, aussi faut-il veiller à la cohérence et à la faisabilité de cette phase réelle.
Quels jeux avez-vous testés en classe ? Pour quels retours ?
Nous créons nos jeux pour nos élèves et pour nos formations, mais nous utilisons aussi des créations de collègues. Mélanie utilise plusieurs jeux d’évasion en SNT en 2de, pour des révisions en fin de thème, entre autres “Top secret” de Damien Bourdet (Technologie Cycle 4), et “Alan Turing et les marais salants” de Maryline Danilet. En SVT, ce sont essentiellement des escape games réels qui sont mis en place, une grande part étant liée à la manipulation. En enseignement scientifique, le contexte en classe entière fait que les jeux virtuels et semi-virtuels sont plus pratiques : Mélanie a ainsi créé des escape games pour un manuel de Terminale en enseignement scientifique, ainsi qu’un jeu d’évasion semi-virtuel sur l’histoire de l’atmosphère.
Les retours des élèves sont généralement bons : le jeu décontextualise les notions et compétences à travailler, permet révision ou découverte de manière informelle, le débriefing restant le moment essentiel où les contenus sont revus et fixés. Il y a bien sûr des élèves qui préfèrent des méthodes plus classiques, l’important est de leur faire comprendre l’intérêt de varier les approches, et éventuellement leur proposer des tâches moins déstabilisantes (porte-parole de l’équipe, secrétaire, ou carrément décliner l’activité en version non ludique).
Un élève « engagé dans un jeu d’évasion » mémorise-t-il davantage de notions qu’en apprenant son cours de façon classique ?
Évaluer précisément les nouvelles acquisitions suite à une séance, qu’elle soit ludique ou non, est toujours délicat. Et d’autant plus concernant le long terme : quelle part de ce qui a été mémorisé l’a-t-il été grâce au jeu ou plutôt grâce au reste ou à l’ensemble du dispositif pédagogique mis en place par l’enseignant ?
Ce qui est certain, c’est qu’on n’apprend pas en jouant. Nous vous conseillons la lecture de l’ouvrage Apprendre avec le jeu de Margarida Romero et Eric Sanchez. La véritable phase d’apprentissage et de mémorisation est celle du débriefing, ce temps d’après-jeu consacré au retour sur le vécu et la fixation des notions importantes. En revanche, un élément qui peut jouer sur la mémorisation à long terme est l’émotion, ou plutôt les émotions nombreuses vécues lors d’un escape game : du stress, de la joie, de la frustration… Des hauts et des bas, de l’intensité qui imprime des souvenirs pour longtemps dans l’esprit des joueurs : à l’enseignant de s’assurer que ce sont les bons souvenirs qui sont fixés !
Dans le cas particulier des escape games virtuels, le fait de pouvoir rejouer le jeu autant de fois que l’on veut est un autre facteur favorisant la mémorisation. Il est aussi aisé de décliner un jeu en niveaux de différentes difficultés, afin de faire progresser les élèves, et ancrer encore plus les apprentissages. Bien que nous ayons toujours un faible pour les escape games réels, il est indéniable que le format virtuel présente de nombreux atouts pour les élèves comme pour les enseignants, atouts que nous détaillons dans S’capade en ligne.
Propos recueillis par Julien Cabioch
Mélanie Fenaert, Patrice Nadam, S’capade en ligne – Apprendre grâce aux escape games virtuels, Editions Ellipses ISBN : 9782340066229
Deux escape games virtuels en Technologie et SNT :
Top secret (Technologie Cycle 4)
Alan Turing et les marais salants (SNT 2de)
Escape games de formation, pour découvrir la modalité “jeu d’évasion virtuel” :
Petites énigmes et vieilles poussières (niveau facile)
Doctor Love et Mr Ken (niveau expert)
Dans le Café
S’Cape : Le site de mutualisation des jeux d’évasion pédagogiques
Mélanie Fenaert : Des parcours de formation contre le décrochage