« Les collégiens… décrivent des enseignants qui sont performants quand ils parviennent, par la maîtrise de l’interprétation des signes qu’ils produisent, à enrôler les élèves pour le bénéfice du collectif comme des individus ». Dans un article de la Revue française de pédagogie (n°213), Julien Netter (Escol) et Audrey Boulin (Cergy Paris Unversity) analysent les règles du jeu de la classe telles que les collégiens les voient. Une certitude : ces règles existent et les collégiens les partagent même s’ils perçoivent de façon différente les choses. L’enjeu est de taille : les apprentissages. Aux enseignants donc de bien les connaitre. Mais les enseigne t-on?
Des collégiens face au cadre scolaire
« Comment les collégiens perçoivent-ils ce qui se joue en classe ? Quel regard commun posent-ils sur les situations et quelles différences se font jour entre eux ? » Audrey Boulin et Julien Netter soumettent à des collégiens de 3 écoles différentes des extraits vidéos de cours pour noter leurs réactions. L’idée de départ c’est de chercher si les collégiens partagent les mêmes règles du cadre scolaire et ont des attentes comparables. Et pour le savoir, rien de mieux que d’observer des cours, l’enseignant étant, plus que tout autre personnel du collège , en première ligne dans sa classe.
Ce qui en ressort est très intéressant pour comprendre comment se constitue l’ordre scolaire. » Nous montrerons que les collégiens, face à cette situation « ordinaire » qu’est la classe, partagent des normes communes, un arrière-plan de connaissances, de présupposés et d’attentes », expliquent les auteurs. En soumettant aux collégiens des extraits de cours d’un professeur qui ne se laisse pas déborder et d’une enseignante qui a du mal à gérer la classe, ils font ressortir ce que les élèves partagent sur les règles non écrites de la classe.
La culture scolaire commune des collégiens
» Les collégiens s’accordent sur ce qui fait classe, sur les objectifs, sur leur rôle et sur celui de l’enseignant. Parfois, pourtant, leurs analyses des micro-situations donnent également à voir des interprétations divergentes où pointe l’influence de leur socialisation et de leurs expériences scolaires antérieures », affirment les auteurs. La perception des élèves peut différer en fonction de leur vécu antérieur. Mais il y a bien accord sur ce qui fait le cadre scolaire.
Plus important encore, les auteurs montrent qu’il y a accord sur les finalités de la classe. Il s’agit bien d’aller à l’école pour travailler. Et tous s’accordent sur la nécessité de maintenir le cadre scolaire, même ceux qui cherchent sans cesse la faille.
Qu’est ce qu’un « bon enseignant » ?
Et le professeur quel doit être son comportement ? » Pour jouer son « rôle » sur la scène de la classe et maintenir le cadre scolaire, l’enseignant doit, selon les enquêtés, respecter une série de règles assez souples puisqu’adaptées aux circonstances pratiques de la classe mais qui n’en sont pas moins « très strictes »… Il doit alors maîtriser un art du jeu de la classe au quotidien, « un système de manières de faire », et ces règles apparaissent comme des « règles de l’art » du jeu scolaire. Un de leurs aspects essentiels consiste dans l’articulation entre collectif et individus. Les collégiens rappellent inlassablement la nécessité pour l’enseignant de faire vivre un collectif, la classe, qui ne se résume pas à une somme d’individus ».
Un exemple est donné par la non utilisation du tableau par l’enseignante. C’est interprété par les élèves comme un empêchement à travailler et finalement une invitation au désordre. Jouent aussi le corps de l’enseignant ou encore sa manière de controler le temps.
Ainsi se dessine le portrait du « bon enseignant » , tel que les collégiens le voient. » Le « bon enseignant » qui se dégage des entretiens est celui qui connaît les règles du jeu scolaire et qui, pour jouer, maîtrise les interprétations intervenant dans la classe à trois niveaux au moins. Il réussit en premier lieu à interpréter correctement les réactions de ses élèves, il dégage en outre une interprétation générale de la situation et il parvient enfin à contrôler la façon dont ses propres gestes seront interprétés par les élèves. Ses gestes ne sont donc pas réalisés à l’aune de leur nécessité mais en fonction de l’anticipation de leurs effets ».
Un savoir qui doit être mobilisé au quart de seconde, notamment parce qu’il est question d’anticiper. Qui s’acquiert avec l’expérience. Mais qui peine à être enseigné.
François Jarraud
Julien Netter, Audrey Boulin, La règle du jeu. des collégiens entre normes partagées et interprétations divergentes, Revue française de pédagogie, n°213.