Comment étudier la notion de modèle et de microbiote ? Avec des défis évoquant la compétition bactérienne, l’effet des antibiotiques et le bienfait des fibres dans l’intestin, Olivier License, enseignant de SVT au lycée Richelieu de Rueil-Malmaison (92), propose des séances clé en main pour les lycéens avec le logiciel en ligne Edu’modèles. « L’activité est conçue pour s’adapter au niveau des élèves, du néophyte à l’expert en algorithmique », souligne l’enseignant qui donne aussi de nombreux conseils pour optimiser la séance. « Il faut bien sûr aussi ne pas oublier de critiquer les modèles réalisés ».
Quels sont les objectifs pédagogiques de cette modélisation du microbiote ?
Cette activité a 2 objectifs principaux. Elle permet d’aborder différents aspects du programme de seconde sur le microbiote à partir d’un seul et même modèle de base. L’activité permet aussi de faire comprendre aux élèves ce qu’est un modèle (numérique en l’occurrence) et comment il se construit, en leur proposant d’améliorer eux-mêmes un pré-modèle algorithmique (multi-agents), ce qui s’inscrit dans les attentes du programme de seconde 2019 qui promeut l’algorithmique et la modélisation.
Quels sont les modèles proposés ? Comment sont-ils conçus ?
L’activité est conçue sur 3 défis successifs basés sur un même modèle de base que les élèves vont compléter au fur et à mesure des défis. Le logiciel choisi pour la modélisation est Edu’modèles. Le premier défi consiste à compléter le pré-modèle fourni pour rendre compte de la compétition entre bactéries, notamment entre les bactéries dites anti-inflammatoires et une bactérie couramment à l’origine d’une inflammation intestinale Clostridium difficile. Ce premier défi permet de prendre en main le modèle et le logiciel en ajoutant un nouvel agent et deux nouvelles règles. Une fois ce modèle complété et opérationnel, les élèves peuvent passer aux défis suivants, chacun pouvant être réalisé indépendamment de l’autre.
Le deuxième défi a pour objectif de montrer que la prise d’un antibiotique peut expliquer l’apparition de diarrhées suite à un déséquilibre transitoire du microbiote. Les élèves doivent donc rajouter un nouvel agent et une nouvelle règle pour arriver à l’objectif.
Le troisième et dernier défi se base sur l’une des recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), reprise par le gouvernement français dans le cadre d’une campagne prophylactique du Programme National Nutrition Santé (PNNS) : « Mangez au moins 5 fruits et légumes par jour ». L’objectif est ici de montrer que la consommation de fibres participe à réduire une inflammation chronique de l’intestin (dans une certaine mesure !). Cela nécessite donc l’ajout d’un nouvel agent et de deux nouvelles règles.
Comment vos lycéens s’emparent-ils de la séance ?
L’activité est conçue pour s’adapter au niveau des élèves, du « néophyte à l’expert » en algorithmique. Les plus à l’aise peuvent faire tous les défis, alors que les autres n’en feront qu’un ou deux. Les moins à l’aise ont des aides « coups de pouce » qui leur permettent de savoir quels agents et règles rajouter si cela n’est pas évident pour eux, quelles simulations réaliser et quels paramètres observer pour valider leur modèle et réaliser l’objectif du défi.
Cette activité ayant été réalisée la première année pendant le confinement, j’ai conçu un support Genially interactif permettant sa mise en œuvre en totale autonomie, seul ou par groupe. On a donc une pédagogie réellement différenciée puisque chacun avance à son rythme et peut choisir des chemins différents.
Quelles sont les informations scientifiques proposées aux élèves ?
Pour comprendre et implémenter le pré-modèle fourni, les élèves ont accès à 5 documents leur présentant différentes informations scientifiques dont ils doivent tenir compte et dont certains éléments sont à modéliser. Parmi les informations scientifiques proposées, on trouve des cellules immunitaires dans la paroi intestinale sont capables de détecter certaines molécules provenant du microbiote et de libérer des molécules à l’origine de l’inflammation des tissus (utile pour comprendre le pré-modèle). Un autre document évoque Clostridium difficile qui est une bactérie du microbiote sécrétant des toxines à l’origine de l’inflammation de l’intestin et de diarrhées, qui est résistante à de nombreux antiobiotiques.
D’autres informations évoquent la production de substances bactéricides par certaines bactéries, la consommation de fibres sur le microbiote, notamment leur consommation par les bactéries anti-inflammatoires et non par les pro-inflammatoires et enfin des rappeles sur l’utilisation du logiciel (agents, règles, paramètres…).
Des écueils à éviter lors de la mise en place d’une telle séance ?
Plusieurs écueils sont à éviter et à avoir en tête durant l’activité (même si les aides sont là pour les limiter). Le premier est le temps, car cette activité nécessite 2 bonnes séances si l’on veut laisser les élèves faire tous les défis et réaliser leur production numérique. Mais on peut aussi leur laisser faire le premier défi puis au choix, le deuxième ou le troisième. Les plus rapides feront les trois, les moins rapides n’en feront que deux.
Mais si l’on veut que les élèves s’imprègnent du modèle et réalisent les améliorations seuls, il faut leur laisser le temps de lire les informations, de réfléchir comment les traduire numériquement dans le modèle, d’essayer, se tromper, recommencer… et ne pas leur donner la solution trop rapidement, sans quoi l’objectif de comprendre ce qu’est un modèle et l’intérêt de modéliser des phénomènes complexes pour mieux appréhender les interactions entre différents paramètres et l’organisme ne sera pas atteint.
Il faut bien sûr aussi ne pas oublier de critiquer les modèles réalisés. Pour le premier défi, on choisit une durée de vie courte pour la molécule bactéricide pour éviter son accumulation qui aboutirait très vite et systématiquement à la disparition de Clostridium. Ce choix est tout-à-fait discutable.
On peut aussi critiquer la façon dont on traduit l’action de cette molécule dans le modèle qui apparaît (comme son nom l’indique) comme une « molécule tueuse » alors qu’elle inhibe plutôt la germination des formes de résistance de Clostridium. Il faut insister ici auprès des élèves que nous ne faisons que valider la « plausibilité » de l’hypothèse des scientifiques avec cette modélisation qui prend en compte différents aspects du réel, mais pas tous. Nous ne validons en rien la « véracité » de l’hypothèse, car il faudrait pour cela observer le réel et donc faire de l’expérimentation animale ou humaine.
Pour le deuxième défi, il faut faire le lien entre la prise d’antibiotiques et l’apparition de diarrhées. Pour cela il faut nécessairement 2 simulations : avec et sans antibiotique. Il faut suffisamment d’antibiotiques dans la simulation pour voir un effet. Le lien sera ensuite fait entre le développement de Clostridium, la production de toxines anti-inflammatoires par ce dernier, qui est responsable de la production de molécules de l’inflammation par les leucocytes de la paroi intestinale, aboutissant à une inflammation très importante de l’intestin, d’où les crises de diarrhées. L’explication devra donc bien montrer les liens de causalité entre les différents paramètres du modèle.
Pour le troisième défi, pour faire le lien entre la consommation de fibres et la baisse de l’inflammation chronique de l’intestin, il faut bien sûr faire un repas sans fibre et un repas avec (par exemple 50/50 pour les fibres/autres résidus alimentaires) en ayant une même proportion de départ des bactéries pro et anti-inflammatoires à chaque simulation. Il faut suivre ensuite à chaque fois, l’évolution de la sécrétion des molécules de l’inflammation pour pouvoir comparer les résultats.
Le choix des valeurs par les élèves peut donner lieu à des simulations très étonnantes voire décevantes au début, ce qui nécessite parfois de nombreux essais jusqu’à obtenir un modèle satisfaisant. Cela peut être décourageant pour certains et des « vérifications coups de pouce » peuvent être nécessaires. Les conseils pour réussir chaque défi sont aussi là pour cette raison.
Enfin, le dernier écueil est le passage de la réalité au modèle, avec la « mise en équation » de l’algorithme dans le logiciel. Elle peut être difficile pour certains élèves et le sera d’autant plus si ce genre d’activité n’a pas déjà été réalisée préalablement. La simplicité de l’interface du logiciel permet assez rapidement de lever la difficulté informatique, mais il subsistera toujours pour certains des difficultés dans la traduction même des données scientifiques réelles en modèle numérique. Les aides sont là pour les orienter et les rassurer.
Propos recueillis par Julien Cabioch
Dans le Café