Par Françoise Solliec
Avec cinq écoles, huit sites, plusieurs centaines de stagiaires suivant des formations en moyenne de 9 mois, deux projets d’ouverture en 2008, le dispositif « deuxième chance » est désormais , l’Ecole de la Deuxième Chance est désormais un élément essentiel de l’insertion professionnelle et sociale des jeunes en Ile-de-France. A quoi sont dues ses réussites ? Comment est-il amené à évoluer ? Pourra-t-on continuer à en garantir le succès, si on augmente massivement le nombre de jeunes concernés ?
Donner à des jeunes une formation qualifiante et une intégration dans la vie professionnelle
Le dispositif européen des « Ecoles de la Deuxième Chance », E2C, a été imaginé en 1995 par Edith Cresson, alors Commissaire européen, dans le livre Blanc sur la Société de la Connaissance. La première Ecole a été créé en 1997 à Marseille pour aider les jeunes de 18 à 25 ans, sortis sans diplôme ni qualifications du système scolaire et en recherche d’emploi infructueuse, à déboucher sur une intégration professionnelle réussie. Dès 2002, le Conseil Régional d’Ile-de-France, très soucieux d’agir pour limiter le nombre de jeunes sortis du système scolaire sans qualifications, contribuait largement à financer l’ouverture d’une école en Seine-Saint-Denis, à l’initiative de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, du Conseil Général, et des municipalités. Olivier Jospin en a été le premier directeur.
Le décret du 13 décembre 2007 reconnaît les E2C comme établissement ou organismes de formation dispensant des formations professionnelles. Elles bénéficient d’un label et délivrent une attestation (certification) de fin d’études reconnue dans les procédures de positionnement ou de validation d’acquis. Elles peuvent percevoir de la taxe d’apprentissage. Leur financement est en général assuré par les collectivités et les fonds européens (FSE), d’autres recettes telles que taxe d’apprentissage ou subventions de la DIV intervenant pour une moindre part.
Toutes les E2C labellisées adhèrent à une charte des principes, rédigée en 2004, selon laquelle l’E2C « est une institution portée par les collectivités … dont l’objectif est d’assurer l’insertion professionnelle et sociale de jeunes en difficulté, … en partenariat étroit avec le monde de l’entreprise, … qui accompagne le projet personnel et professionnel du stagiaire, … qui travaille en réseau avec tous les acteurs intervenant auprès de leur public ».
En 2004, les 6 E2C françaises alors existantes se sont constituées en réseau. En 2007, on dénombrait 15 écoles membres, correspondant à 35 sites sur 12 Régions et 23 départements (avec une tendance croissante au maillage territorial). Les 3 800 stagiaires accueillis représentaient une augmentation de 41% par rapport à 2006. L’objectif visé d’ici 2012 est de 10 000 stagiaires.
L’étude réalisée en 2006 par le réseau sur les 2 669 stagiaires des écoles françaises donnait une moyenne d’âge de 20,4 ans, une proportion de 54% de femmes et 95% des inscrits n’avaient pas validé le niveau V.
A la sortie du dispositif on retrouve 82% des entrants et 63% de ces stagiaires encore présents connaissent une sortie positive (formation, contrat en alternance ou emploi direct).
La forte dimension de partenariat inscrite au cœur de l’E2C est aussi locale. On la retrouve à 3 niveaux :
· la constitution du projet tout d’abord, soutenu par un comité de pilotage où sont représentés tous les acteurs, collectivités, chambre de commerce, entreprises et parfois l’éducation nationale ou d’autres institutions et associations ;
· le recrutement des stagiaires, souvent repérés par les missions locales ;
· le déroulement de la formation, notamment en ce qui concerne les périodes d’alternance et l’insertion espérée en fin.
Une forte ingénierie de formation et une pédagogie sans cesse en évolution
L’E2C est une école, avec ses règles et ses contraintes et on n’y réussit pas sans consentir d’effort mais elle est fondée sur « la découverte de l’autonomie, la reprise de confiance en soi, le développement des compétences personnelles, notamment les compétences sociales qui apparaissent décisives pour réussir une intégration professionnelle », selon les informations données sur le site de l’E2C 93. Les candidats y viennent en général après être passés par les missions locales. Un entretien avec deux formateurs permet de confirmer ou non l’entrée du jeune dans l’école. En 2007, l’E2C 93 a reçu près de 800 demandes et en a accepté pratiquement 600. Les entrées se font par groupe de 15, au rythme d’une nouvelle promotion toutes les 5 à 6 semaines.
L’enseignement est dispensé en individualisation complète (pas de cours mais un accompagnement personnel du travail de chacun) et vise à faire acquérir un référentiel commun, très proche du socle commun de compétences. Les méthodes, mises au point grâce à une expérience de 10 ans (l’E2C Marseille ouvrit en 1997) font appel à la pédagogie active et utilisent largement les TICE, mais chaque école est autonome et définit les contenus et les modalités de formation qui lui paraissent le plus adaptés à son public.
« C’est mon rôle, en tant que responsable pédagogique de l’E2C 93, que de suivre les évolutions des outils et des contenus de formation ; », nous explique Hamid Manie, « il faut améliorer la pédagogie en permanence car notre public évolue ». Il consacre donc une bonne partie de son temps à une veille sur les évolutions des outils, des supports et des méthodes. Il est en contact avec de nombreux centres spécialisés dans l’ingénierie de formation, dont celui du CNAM, et des chercheurs universitaires, par exemple spécialisés dans le traitement de l’illettrisme, car c’est le problème du moment. Il lui faut ensuite retraduire les nouveaux apports dans les pratiques pédagogiques (outils et méthodes). Il définit également les plans de formation des formateurs et est chargé de trouver les prestataires qui assureront ces formations. Il est enfin en contact avec des centres de formation qualifiante et d’apprentissage, vers qui souhaitent s’orienter certains jeunes de l’E2C en fin de parcours.
La répartition en 4 sites de l’E2C 93 oblige la directrice, Jeanne Schneider, et le responsable pédagogique à un important travail de coordination et de multiples rencontres intersites sont organisées (réunions de formateurs par discipline ou par thématiques). Hamid Manie participe aussi aux rencontres des réseaux qui sont l’objet de faire le point sur les problématiques communes (le référentiel commun reste un chantier ouvert et il y a encore un peu de travail sur les documents définitifs concernant la certification).
Dans l’E2C, les jeunes ont le statut de stagiaires de la formation professionnelle et perçoivent une rémunération à ce titre. A l’E2C 93, la rémunération débute à l’issue d’une période d’essai d’un mois, trois semaines de formation au sein de l’école pour définir un positionnement et une semaine en entreprise pour être certain que les périodes d’alternance seront bien vécues et que la formation pourra déboucher sur une insertion professionnelle. Le rythme de l’année sera très dense, avec 35 heures de présence en permanence et la période d’essai sert aussi à confirmer la motivation du candidat, car c’est là le véritable critère de recrutement. C’est le cas pour la très grande majorité d’entre eux mais, ponctuellement, des jeunes peuvent réaliser que ces modalités ne leur conviennent pas. Au bout du mois, la signature d’un contrat d’engagement pédagogique entre le jeune et l’école officialise le parcours, individualisé en fonction du positionnement, et l’engagement du stagiaire à suivre la totalité de la formation, qui se déroule sur 1400 heures. Les périodes de formation (trois semaines) alternent avec les périodes de découverte, puis de confirmation, en entreprise, qui permettent aux jeunes, au fur et à mesure de l’année, de préciser leur projet professionnel. Environ deux fois par an, des rencontres des jeunes sont organisées, au niveau national ou européen. Elles sont l’occasion d’échanges très appréciés et dynamisent significativement les formations.
Selon Daniel Brunel, vice-président à la formation professionnelle du conseil régional d’Ile-de-France, « la phase d’expérimentation est achevée et on est maintenant entré dans la généralisation. Le budget régional consacré aux E2C est actuellement de 5 millions d’euros, mais on prévoit de quoi ouvrir une ou deux écoles supplémentaires en 2008 [le Val-d’Oise et les Hauts-de-Seine se sont portés candidats] et d’ici 2009, on prévoit de couvrir les 8 départements. Si les annonces du président de la république ne sont pas que des annonces et qu’il y a un engagement de l’Etat, on pourra aller plus vite et plus loin. On s’appuie sur l’existant pour les nouvelles structures et on travaille en partenariat avec toutes les autres structures régionales. C’est un dispositif très efficient, mais pas encore suffisant car notre souhait est de voir les jeunes trouver des emplois pérennes. C’est pourquoi l’apport des chambres de commerces et des entreprises qu’elles font venir est si important. D’où viennent les jeunes qui s’inscrivent à l’E2C, quel parcours faut-il leur faire suivre, comment s’assurer de leur réussite ? On est dans une problématique de réparation sociale, avec une obligation de résultats ».
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