Alors qu’ils annoncent tous de nouvelles réformes, parfois très lourdes, tous les candidats à l’élection présidentielle doivent faire face à un système éducatif qui a du mal à recruter et où le nombre de démissions explose. Où en est-on vraiment ? Quels remèdes peuvent être apportés à une profession en crise ? La revalorisation va t-elle suffire ?
La hausse des démissions
"Les chiffres sont sans appel : alors qu’aucun.e professeur.e des écoles n’avait démissionné en 2016/2017 ni en 2017/2018, elles étaient deux en 2018/2019, quatre en 2019/2020. Cette tendance prend un nouveau tour cette année dans le département des Pyrénées-Orientales : ils et elles seront 19 à quitter le métier en 2020/2021 !", écrivait en août 2021 le Snuipp Fsu des Pyrénées orientales. Résultat, dans ce département pourtant particulièrement attractif, alors que le nombre de places au concours de professeurs des écoles a diminué, pour la première fois le département est déficitaire en postes. 20 postes ne sont pas pourvus.
Le syndicat mettait en cause la gestion de l’Education nationale. "Lourdeur des tâches administratives, injonctions hiérarchiques et pédagogiques, manque de reconnaissance, déclassement salarial, remise en cause de leur professionnalité par tout un tas de « sachants » qui n’ont jamais vu un élève de près ou de loin, perte de sens du métier pour lequel ils s’étaient engagés… La nouvelle gestion des personnels de l’Education Nationale n’est pas étrangère à cette pluie de démissions. En effet, les enseignant.es du premier degré des P.O. se voient opposer des refus à toutes leurs demandes. Travailler à temps partiel ? C’est non. Demander une mise en disponibilité ? C’est non. Trois d’entre eux se sont même vu refuser un départ par rupture conventionnelle !"
Si l’évolution est particulièrement brutale dans les Pyrénées Orientales, elle est conforme à la tendance générale. En 10 ans, de 2008-2009 à 2020-2021, le nombre de départs volontaires d’enseignants a été multiplié par presque 10, passant de 364 à 2286.
On comptait 186 démissions dans le premier degré en 2008-2009. Il y en a eu 1441 en 2020-21. Dans le second degré on passe de 178 à 845. Là où le taux est le plus élevé c’est chez les stagiaires : 692 départs en2020-21 soit 3.18% des stagiaires, 10 fois plus que la moyenne des démissions. Depuis 2019-2020, une partie de ces départs prend la forme des "ruptures conventionnelles" permises par la loi de transformation de la fonction publique, mais peu encouragées par le ministère.
La hausse des démissions, même si elles sont peu nombreuses, frappe particulièrement car la France a toujours eu un taux très faible de démissions par rapport aux pays voisins (8% de démissions chez les enseignants au Royaume Uni). Dans une Note de 2020, la Depp lie cette hausse à la formation des enseignants notamment la lourdeur de la seconde année de formation. Mais les entretiens que le Café a eu avec des enseignants démissionnaires et l’exemple anglais montrent que la lourdeur du métier joue aussi. Trop de travail et trop de réformes reviennent régulièrement. Les pressions hiérarchiques, l’absence de soutien face à des parents revendicatifs également. Et trop peu de salaire et de reconnaissance.
Des changements de cap importants
A ces départs s’ajoutent les changements de cap. Près de 3300 enseignants quittent chaque année la salle de classe sans quitter l’éducation nationale. Ce sont davantage des professeurs des écoles (0.7%) et des PLP (0.7%) que des certifiés et des agrégés (0.3%). Que deviennent-ils ? "Les professeurs des écoles se tournent principalement vers une mission d’animation pédagogique (35 %) ou une direction d’école avec une décharge totale (32 %). Les enseignants du premier degré peuvent également prendre une direction d’établissement du second degré en devenant notamment directeur chargé de la Segpa. Parmi les enseignants du second degré, les certifiés et PEPS sont ceux qui prennent le plus fréquemment des fonctions de direction d’établissement (53 %) ou des fonctions administratives (27 %). Les enseignants agrégés ou de chaires supérieures se tournent eux vers l’inspection. La mission d’animation pédagogique attire plutôt les PLP (43 %), notamment avec la fonction de chefs de travaux. Ils sont également 32 % à devenir chefs d’établissement", écrivent P Feuillet et D Prouteau. Ce sont plutôt des enseignants expérimentés qui utilisent des concours nécessitant une certaine ancienneté. D’autres trouvent un poste en dehors de l’éducation nationale soit en se mettant en disponibilité (3604 enseignants) soit en se faisant détacher dans une administration ouune association (1510 personnes).
Des concours qui ne recrutent pas
Troisième symptôme, les postes non pourvus. Près de 300 postes n’ont pas été pourvus au capes externe 2021. C’est le cas particulièrement en lettres classiques, où il manque la moitié des enseignants, en allemand et en maths. Une centaine de postes ne sont pas pourvus aussi chez les PLP par exemple en biotechnologies. Dans le premier degré tous les postes n’ont pas été pourvus à Créteil et Versailles. La crise du recrutement résulte d’abord du manque d’attractivité des concours. En 2021 le capes externe ne compte que 30494 candidats inscrits contre 30 797 en 2020 et 33 490 en 2019. Comment expliquer cette situation ? Le ministre a beaucoup communiqué sur la revalorisation des enseignants. Du coup les candidats savent encore mieux qu’avant à quoi s’attendre. La modeste revalorisation en tout début de carrière ne cache plus l’écart de rémunération avec les carrières de la fonction publique ou du privé. Elle n’occulte pas l’absence de revalorisation pour la moitié des enseignants pour qui l’effort ministériel se résume à 150€ par an. La réforme de la formation des enseignants dégrade davantage encore la situation. Les étudiants en master meef ont pu encore en 2021 devenir fonctionnaire stagiaire pour leur seconde année de formation et être rémunérés. Cette possibilité disparait. Les futurs professeurs sont des étudiants ordinaires durant les deux années de master avec la possibilité d’avoir des stages rémunérés. L’écart entre le niveau exigé (master + concours plus sélectif) et la rémunération offerte ne peut qu’éloigner du métier davantage de candidats. La disparition du statut de fonctionnaire stagiaire joue particulièrement contre les candidats venus de milieu populaire.
Des réponses à la hauteur ?
Que proposent les candidats pour sortir de cette crise ? Emmanuel Macron promet une revalorisation contre l’exigence, bien concrète, de nouvelles missions. Alourdir la charge de travail pour une profession qui estime déjà faire le maximum n’est pas bien reçu. Les phrases injustes et agressives sur les professeurs dans son discours du 17 mars montrent en réalité le peu de cas qu’il fait de la crise de recrutement. On ne peut pas dénigrer une profession et prétendre la développer. Peut-on la dénigrer autant et faire croire qu’on va augmenter ses membres ?
Valérie Pécresse croit avoir trouvé une réponse avec un capes régionalisé. Cela peut faciliter le recrutement localement. Mais ce sera au détriment des académies déficitaires : Créteil, Versailles, Amiens , Lille etc. Finalement c’est là où le recrutement est le plus difficile que les choses vont empirer. Elle promet aussi du recrutement purement local avec un salaire individualisé dans des établissements largement autonomes. En même temps elle veut augmenter la paye des enseignants en début de carrière "pour ceux qui s’impliquent davantage". On retrouve la même promesse chez E Macron. Avec en prime une dégradation plus nette du statut. Or le statut c’est ce qui limite les démissions, si on compare la France avec l’Angleterre par exemple.
Y Jadot veut recruter pas moins de 65 000 enseignants. Il promet une revalorisation de 20%. JL Mélenchon annonce 190 000 recrutements et une revalorisation de 15%. Deux visions très optimistes s’il n’y a pas de modification en profondeur des modalités de formation et des conditions de travail des enseignants.
Mais ces engagements nous interrogent. On se rappelle les prévisions économiques et budgétaires de la Cour des Comptes. "Les capacités de production et la productivité seraient plus faibles en sortie de crise que ce qui était anticipé en début 2020", écrivait la Cour. Pour elle la France a perdu 2% de capacité de production pendant la crise sanitaire. Par conséquent, "même avec des hypothèses volontaristes, la croissance économique, condition indispensable du redressement des finances publiques, ne permettrait pas à elle seule une décrue durable de la dette publique rapportée au PIB". Ca c’était avant la guerre en Europe. Celle-ci impose un nouveau choc économique à l’Europe que l’on commence seulement à percevoir. Il y aura aussi un choc budgétaire avec une concurrence nouvelle entre des dépenses militaires qui vont augmenter et les dépenses civiles. Pour le moment, tous les candidats affichent des programmes qui ne tiennent pas compte de ces réalités. Est-ce bien raisonnable ?
François Jarraud