Il y a deux semaines, c’était la semaine des mathématiques, cette année sur le thème de « maths en formes ». Dans mes classes, nous avons fêté l’événement dignement, sur deux semaines, tant nous avions d’événements prévus. Parmi ces événements, des rallyes, des défis. Parmi les défis, le défi M@ths en vie. Il s’agit d’un défi collaboratif, au travers duquel la recherche est valorisée : la démarche compte davantage que la réussite de tel ou tel défi. La marque de fabrique des défis M@ths en vie, c’est le photo-problème, qui constitue un support vraiment idéal pour pouvoir mettre en recherche tous les élèves, même les lecteurs fragiles, même les allophones, même celles ou ceux qui ont encore peur des problèmes. L’image attire, l’absence de consigne intrigue, le collaboratif libère. Voici donc une narration d’un défi que j’ai vraiment adoré. Ce magnifique défi a été concocté par Richard Cauche (@cauchemaths).
Je ne vous explique pas tout de suite pourquoi je l’avais choisi, pour vous laisser le plaisir de chercher aussi.
Voici une des photos (il y en avait quatre) qui constituaient ce problème imagé sans paroles.
La première étape, c’est de projeter l’image en classe. Aussitôt, la classe est divisée en deux groupes : d’une part les élèves qui, sourcils froncés, silencieux, réfléchissent pour comprendre ; d’autre part les élèves qui mitraillent de questions : c’est quoi ? C’est où ? Faut deviner ce que c’est ? Faut comprendre comment ça marche ?
Moi, j’attends. Les questions retombent, le silence se fait, chacun réfléchit. Des mains se lèvent : « Je pense que vous voulez qu’on comprenne comment ça marche ? Mais faudrait qu’on sache ce que c’est, non ? »
En effet, ce serait plus simple. Avez-vous des idées, jeunes gens ? Bien sûr qu’elles et ils ont des idées : en vrac, un indicateur de bus ou de train, un panneau publicitaire, un panneau qui signale un danger, un panneau d’information pour les pompiers, un panneau de signalisation routière, une horloge.
Là, les conjectures qui fusaient s’arrêtent et les mains qui restaient levées se baissent : les camarades de l’élève qui a proposé une horloge réagissent à cette proposition : « une horloge, oui madame, une horloge ! » Mais pourquoi une horloge ? Qu’est-ce qui vous a donné cette idée, qu’est-ce qui fait qu’elle vous convainc davantage que vos autres propositions ? « Parce que c’est comme l’horloge de Fibonacci, qu’on a travaillée, comme celle sur votre bureau, là ».
Mes deux premiers objectifs sont atteints, et sans peine, en plus : d’abord, amener les élèves à émettre des conjectures. La première salve concernait la nature de l’objet ; la deuxième concernera son usage. Et puis j’espérais montrer aux élèves que les idées s’appuient aussi sur la culture : nous avons travaillé la spirale de Fibonacci pour le Fibonacci Day, en novembre. Depuis, une horloge de Fibonacci trône bien en évidence sur mon bureau, et les élèves ont appris à lire l’heure dessus, au prix de la mise en œuvre d’un algorithme assez compliqué mentalement. L’objet d’aujourd’hui a évoqué à plusieurs d’entre eux cette horloge : hé oui, comprendre, c’est aussi faire des analogies, laisser les neurones transmettre des informations pour faire des liens.
Alors oui, c’est bien une horloge. Dieter Binninger l’a conçue et elle est installée à Berlin, depuis 1975. Et maintenant, comment représente-t-elle l’heure ?
Les conjectures repartent bon train. Les élèves proposent des idées, que nous triturons. Après plusieurs conjectures facilement mises en échec par les élèves eux-mêmes (souvent en lien avec les couleurs, et avec les points lumineux visibles sur l’image), une élève propose que chaque case des deux lignes supérieures représente 3 heures, que la troisième ligne donne les minutes 10 par 10. La ligne du bas, elle ne sait pas trop. D’autres répondent :
– C’est bizarre alors parce que ça colle pour les heures, mais pour les minutes comme il y a 11 cases ça fait 110 minutes.
– Oui, pourquoi ils auraient mis 11 cases s’il en suffit de 6 ?
– Et puis la dernière ligne ?
– En plus ça veut dire on peut pas faire les heures pas multiples de 3.
– Oui mais ça regarde l’horloge de Fibonacci elle fait pas toutes les heures, on va de 5 minutes en 5 minutes.
– C’est vrai.
– Mais quand même entre aller de 5 minutes en 5 minutes et aller de 3 heures en 3 heures ça fait une différence.
– Mais c’est une bonne idée de diviser par ce qu’on veut pour savoir les cases combien elles représentent.
– Ce serait bizarre aussi parce qu’on serait plus précis pour les minutes que pour les heures. Si tu sais pas s’il est 1h ou 2h, à quoi ça sert de savoir qu’il est 11 minutes ou 17 minutes ?
– Mmmmh, pas faux.
– Peut-être la ligne du bas elle apporte ces informations-là ?
– Ou alors comme c’est des grandes cases, la ligne du bas aussi c’est les heures, et ça fait 12, donc chaque grande case ça fait 1 heure.
– Ah oui, pas mal, et le rond en haut il dit matin ou après-midi !
– Oui, c’est ça !
– Mais les minutes ? Elles peuvent pas aller de 10 en 10 avec 11 cases !
– Bah elles vont de 5 en 5 !
– Non, comment tu fais 60 minutes ?
– Tu les fais pas : à ce moment-là tu changes d’heure : 60 minutes ça fait 1 heure de plus !
– Aaaaah oui, ça ferait pile comme l’horloge de Fibonacci : on va de 5 minutes en 5 minutes.
– Juste c’est bizarre de couper les heures avec les minutes en cours de route.
– Oui mais ça marche.
– Bon madame, nous on croit que c’est ça.
Bien. Voilà une conjecture qui en effet mérite d’être étudiée. Ca tient debout. Je félicite les élèves, qui ont vraiment bien cherché ensemble et se sont écoutés ; qu’ils s’écoutent est un objectif très délicat à atteindre, qui demande beaucoup de temps, de patience et d’énergie. Et c’est très important. Mais enfin là, c’est réjouissant. Je parle de nouveau de ce qu’est une conjecture, les élèves choisissent une formulation pour l’exposer de façon complète, et déterminent l’heure de l’horloge projetée : entre 15h30minutes et 15h34minutes (parce qu’il fait jour). Certains ont alors des doutes : pourquoi la dernière case des heures est-elle allumée en bas et pas à la suite des autres ? Alors je distribue mon document, avec quatre horloges représentant des heures différentes. Un constat s’impose : il fait jour sur des horloges « qui ont le rond du haut éteint ». Diantre. Notre belle théorie a un plomb dans son aile.
« Madame, donnez-nous un indice ! » D’accord, je veux bien, moi, mais quel indice ?
– A quoi ça sert le rond ?
– Il est quelle heure sur cette horloge-là ?
– Est-ce que les couleurs ça compte ?
– Est-ce que les points dans les cases c’est important ?
– La ligne du bas, c’est des heures ?
– La troisième ligne, celle des petites cases, c’est des minutes ?
– Elle indique toutes les heures ou pas ? Avec toutes les minutes ?
Ca fait trop de questions, les jeunes. Choisissez-en une et j’y répondrai.
Après discussion, la question retenue est la dernière : les élèves ne savent pas à quoi sert le disque supérieur mais supputent que ce n’est pas décisif ; savoir quelle heure est indiquée sur l’horloge leur semble un « trop gros indice ». Avec la nouvelle photo, les points lumineux leur semblent être des ampoules et la question de la couleur moins cruciale. La dernière question leur paraît équilibrée. Alors je réponds : oui, on peut lire toutes les heures-minutes, sans confusion matin/après-midi.
A partir de là, un court silence et paf : « Je sais ! Je sais ! les deux lignes du haut et les deux lignes du bas marchent pareil ! D’abord de 5 en 5 et après tu rajoutes 1 ! » Bim. Re-silence, tout le monde calcule, et c’est la joie. La joie d’avoir trouvé. Aucun élève ne m’a demandé confirmation : ils avaient compris et savaient que c’était la solution. Les élèves ont alors lu les heures des quatre horloges proposées, puis se sont rués sur les feuilles vierges d’horloges, prévues par Richard Cauche, pour représenter des horaires affichés au tableau.
Il restait une étape, tout de même. Étape que je n’ai même pas eu besoin d’amener moi-même : « mais madame, on est sûrs de pouvoir représenter toutes les heures, ça d’accord, on a vérifié. Mais est-ce qu’on est sûrs que chaque heure on peut la représenter que d’une façon ? Parce que ce serait un peu embêtant, non ? »
Ah, voilà, très bien : après l’existence, l’unicité. Nous l’avons donc discutée, jusqu’à la question de minuit : 00h00min ou 24h00min ? Enfin, les élèves, ne voulant pas s’arrêter là, m’ont demandé d’autres feuilles vierges « pour faire des heures sur l’horloge et on les marque derrière et ça vous fait des fiches facultatives en plus à donner aux autres élèves ! »
Bonne idée, faisons ça.
Merci Richard pour ce magnifique défi, un véritable délice dans chacune de mes classes de 6e et de 5e. Et merci à M@ths en vie de rassembler tant d’idées qui font avancer nos classes, et qui font faire des mathématiques , « pour de vrai ».
Claire Lommé