Alors que le covid a mis à nu les inégalités scolaires, comment raccommoder le tissu scolaire ? L’OCDE propose le 14 mars, dans un nouvel ouvrage appuyé sur les résultats de Talis 2018, des solutions qui font écho à la campagne présidentielle en France. Pour l’OCDE le salut est dans la gestion libérale de l’école, selon le modèle du nouveau management public. Des établissements autonomes, recrutant, salariant et licenciant leurs professeurs créeront un vaste marché éducatif où une main invisible viendra d’elle même répartir les « bons » professeurs entre les établissements. La doctrine est affirmée avec force, même si entre les lignes apparaissent des restrictions. Même si les exemples historiques de ces politiques démentent leur efficacité.
Plus d’autonomie pour mieux répartir les meilleurs professeurs
Alors que le covid a mis en évidence les inégalités sociales de réussite scolaire, l’OCDE, dans un nouvel ouvrage (Mending the Education Divide) dresse un sévère bilan de ces inégalités. L’OCDE observe que les « meilleurs professeurs » enseignent plutôt dans les écoles favorisées. L’OCDE a sa définition du « bon » professeur : il a été formé, est expérimenté et sait gérer sa classe de façon à ce que le maximum de temps soit dévolu à l’instruction. Ce sont aussi ces écoles, mieux dotées, qui ont su tirer profit de l’enseignement à distance. Or globalement les pays où ces inégalités sont les plus fortes sont aussi ceux qui ont les plus faibles résultats dans Pisa.
Pour l’OCDE, le problème est donc de mettre les « bons » professeurs « expérimentés » dans les écoles populaires pour diminuer l’écart de niveau entre les écoles. Pour cela l’Organisation recommande d’accorder davantage d’autonomie aux chefs d’établissement. En leur donnant le droit de recruter leurs enseignants, de fixer les salaires, de licencier, on aura des écoles qui auront les enseignants correspondant au profil des élèves et globalement une distribution équitable des « bons » enseignants. « Les écoles sont plus à même que les systèmes éducatifs pour identifier les bons enseignants. Plus les chefs d’établissement disposent d’autonomie pour fixer la paye des enseignants pour mieux prendre en compte les difficultés du métier, plus ils sont capables d’attirer les meilleurs enseignants pour leurs élèves ».
La main invisible
Tout l’ouvrage est bâti sur cette idée d’une main invisible qui saurait rétablir l’équilibre entre les écoles. Il est construit sur des indices de dissymétrie qui établissent des corrélations entre cette autonomie revendiquée et la répartition des enseignants ou la maitrise des nouvelles technologies. Ainsi l’OCDE démontre que « plus les chefs d’établissement sont autonomes, plus on a une distribution égale des enseignants entre les écoles ». En installant le recrutement au niveau des écoles, finalement on l’améliore.
Cette loi énoncée l’OCDE la nuance fortement. Ainsi l’organisation reconnait que quand il y a compétition entre les écoles, les meilleurs enseignants se retrouvent dans les écoles favorisées. Si on veut que les « meilleurs » enseignants aillent dans les écoles populaires il faut financer celles ci. L’OCDE donne en exemple l’Angleterre avec ses programmes de primes pour les enseignants dans les écoles et les disciplines rares , comme les maths. Et elle reconnait aussi qu’on peut avoir une répartition équitable des enseignants expérimentés dans des systèmes éducatifs où les écoles ont peu d’autonomie comme au Japon.
Le cas français et le modèle théorique
L’ouvrage de l’OCDE montre aussi la complexité des situations à partir du cas français. En France, la répartition des enseignants expérimentés est parmi les plus inégales.Même si les écoles populaires ont des enseignants mieux formés, ne serait ce qu’avec le programme mis en place avec la rénovation de l’éducation prioritaire en 2014. Ce sont pourtant des écoles où le temps d’instruction est réduit par rapport aux écoles plus favorisées (du fait de l’indiscipline) et où les enseignants se sentent moins efficaces. En ce qui concerne le numérique, on trouve dans les écoles publiques des professeurs mieux formés que dans le privé mais on y utilise moins les outils numériques.
Alors que l’autonomie des établissements, c’est à dire en fait celle des directeurs et chefs d’établissement, s’inscrivent dans les programmes de plusieurs candidats à la présidentielle (au moins Macron et Pécresse), l’ouvrage de l’OCDE semble, malgré les réserves émises, leur apporter le soutien de l’OCDE.
Un modèle contesté par les faits
Si l’OCDE sait calculer des corrélations pour montrer la pertinence du modèle, l’histoire récente montre que les résultats ne sont pas forcément au rendez vous. On pourrait bien sur objecter à l’idée de l’OCDE que l’enseignant « expérimenté » est plus à même de réussir dans les écoles défavorisées. Une répartition équitable des enseignants en terme d’ancienneté entre les écoles augmenterait elle réellement le niveau scolaire des élèves ? On comprend que des candidats s’en tiennent à cette idée simple plutôt que chercher les conditions d’accompagnement des enseignants exerçant dans ces écoles.
Mais on dispose de l’étude de Florence Lefresne et Robert Rakocevic (Depp) sur l’échec des modèles suédois, anglais et hollandais. Voilà trois pays qui ont appliqué une large autonomie des établissements. La Suède est allée le plus loin en ce sens en municipalisant le recrutement et les salaires des enseignants et en accordant aux écoles un large autonomie pédagogique.Dans les trois pays on a d’abord assisté à une forte perte d’attractivité pour le métier enseignant avec des pénuries obligeant les établissements à recruter des enseignants très peu formés. Finalement les résultats des élèves dans Pisa 2015 sont inférieurs à la moyenne OCDE en Angleterre et aux Pays Bas. En Suède il y a eu une telle dégringolade que l’Ocde elle même a fini par recommander de revoir l’autonomie des établissements.
Raccommoder la fracture scolaire n’est pas indépendant du raccommodage social en général. C’est le vice de départ de ces modèles qui considèrent qu’on peut réparer l’Ecole indépendamment de la société. Il se trouve que les écoliers sont aussi des enfants qui ont des conditions de vie qui influent fortement sur les résultats scolaires. Reconnaitre cette réalité ce serait aussi remettre en question le « mérite » et « l’égalité des chances ». Et c’est peut-être ce qu’on veut éviter de faire.
François Jarraud