Édition du 15-01-2007
– Jean-Paul Delahaye –
– Le collège unique, pour quoi faire ? Entretien avec Jean-Paul Delahaye
« Ce qui fait problème au collège, c’est qu’on a trop souvent confondu » unique » et » uniforme « . Premier outil de la démocratisation de l’enseignement, le collège unique semble définitivement condamné. Jean-Paul Delahaye nous rappelle les enjeux d’une école moyenne ouverte à tous et montre des pistes pour sa réussite.
Un élément important de la morosité ambiante à l’intérieur du système éducatif, c’est le sentiment que tout a été essayé pour assurer la démocratisation scolaire et que tout a échoué. Partant de là beaucoup pensent qu’il faut soit revenir aux vieilles recettes, soit désinvestir l’Ecole de sa mission et la confier à d’autres (le patronat, l’armée, Internet même…), soit perdre de vue l’objectif de scolarisation et éjecter précocement les enfants de pauvres de l’Ecole. Dans ce brouillard votre livre apporte un éclairage intéressant. Vous dites qu’il faut revenir au collège unique. Pourquoi ?
JP D.- Je ne dis pas les choses comme cela car, malgré toutes les difficultés rencontrées, le collège a globalement atteint les objectifs qui lui étaient fixés. Les enseignants de collège, les pionniers de 1975 comme les professeurs qui leur ont succédé, ont permis à un nombre sans cesse plus important d’élèves d’acquérir les connaissances et les compétences attendues dans le tronc commun de formation, alors même que les moyens étaient comptés au collège et que le contexte social dégradé rendait de plus en plus difficile l’action pédagogique en direction d’adolescents à l’hétérogénéité croissante.. Tout n’a donc pas échoué et mon livre est d’abord un hommage rendu à tous les personnels d’enseignement, d’éducation et de direction qui travaillent quotidiennement dans les collèges. Ce que j’essaye de montrer dans ce qui est d’abord un essai historique sur le collège unique depuis sa fondation en 1975, c’est qu’à côté de ce collège dont notre pays n’a pas à rougir, il apparaît aussi un collège qui ne parvient plus à réduire de façon significative le nombre des élèves en grande difficulté, élèves issus massivement du peuple, ceux que vous appelez à juste titre les enfants de pauvres. Le retour sur trente ans de politiques scolaires concernant le collège montre qu’on ne pourra pas dire que le collège unique a échoué tant que sa construction ne sera pas achevée. Mais on ne pourra pas achever cette construction tant qu’on considérera le collège comme la propédeutique du seul lycée d’enseignement général et non comme un niveau d’enseignement ayant sa personnalité propre au sein de la scolarité obligatoire. D’une certaine manière, il est quasi miraculeux que l’Education nationale et ses enseignants soient parvenus à intégrer dans ce « petit lycée » une proportion aussi importante de collégiens. Mais, pour 15 à 20 % des élèves, le système atteint ses limites.
Pourtant le collège unique semble totalement rejeté aussi bien du ministère (par exemple avec l’apprentissage junior) que de nombreux professeurs, sans parler des parents qui votent avec leurs pieds. Comment expliquer ce rejet ? En quoi ont-ils tort ?
JP D- Depuis trente ans, il y a beaucoup plus de continuité que de rupture dans les politiques ministérielles pour mettre en place des formules permettant de diversifier les parcours afin de rendre le collège plus efficace. Chaque période apporte sa contribution, notamment en matière d’alternance qui n’a jamais cessé de faire partie des possibilités offertes aux élèves des collèges. Ce travail d’ajustement permanent est une œuvre de longue haleine qui a obtenu des résultats, mais on peut comprendre ce que ressentent les enseignants qui travaillent dans des endroits particulièrement difficiles.
Il me semble qu’il y un point qui est difficilement contestable, en tout cas tant que notre République fonctionnera avec les valeurs qui sont les siennes aujourd’hui : on ne construit pas une société de citoyens libres, égaux et fraternels en séparant les enfants et adolescents dès le milieu de la scolarité obligatoire dans des filières précocement distinctes, étanches et socialement marquées. Si on refuse l’hétérogénéité au collège, on ne peut pas ensuite se plaindre de la montée du communautarisme et du creusement de la fracture sociale. Ce qui fait problème au collège, c’est qu’on a trop souvent confondu « unique » et « uniforme ». Hétérogénéité et uniformité sont incompatibles, et c’est leur télescopage qui n’est plus supporté à juste titre par les enseignants et les parents. Rassembler au même endroit tous les jeunes adolescents dans des classes hétérogènes n’est possible que si l’on met en place de façon réaliste, comme l’avaient d’ailleurs imaginé les fondateurs de 1975, dans le prolongement du projet de Jean Zay et du Plan Langevin-Wallon, un tronc commun et non un collège unique uniforme. L’idée de tronc commun suppose une base et donc une culture commune suffisamment large et solide (c’est l’idée de socle commun) pour construire une société dans laquelle on puisse s’épanouir et vivre ensemble, mais elle inclut aussi l’idée de branches multiples et diversifiées se nourrissant de ce tronc commun et proposant, à partir de celui-ci, des parcours différenciés d’égale dignité à des élèves différents.
Qu’est ce qui a manqué au collège unique pour réussir ?
En fait, en trente ans de politiques scolaires concernant le collège unique, beaucoup d’aménagements, parfois de transformations plus radicales ont été régulièrement proposées pour améliorer de fonctionnement du collège unique. Je rappelle que quatre importantes consultations nationales ont produit des rapports assortis de propositions. On ne peut donc pas dire que le fonctionnement du collège n’a pas été étudié : il y a le rapport de Louis Legrand en 1982, le livre blanc des collèges d’Alain Bouchez en 1994, le rapport de François Dubet et de son équipe en 1999 et celui de Philippe Joutard en 2001, sans oublier bien sûr, même si cela ne concernait pas seulement le collège, le débat national sur l’école conduit en 2003-2004 par Claude Thélot. Tous ces travaux, tant dans leurs analyses que dans leurs propositions, j’en cite de larges extraits dans mon étude, peuvent être encore très utiles aujourd’hui.
Je crois que le diagnostic a été bien posé dès Alain Savary dans sa déclaration sur les collèges le 1er février 1983 : la France, disait-il alors, « n’a pas encore réussi à faire la synthèse de ce que furent les cours complémentaires et le primaire supérieur, d’une part, et le premier cycle des lycées, de l’autre ». Parce que l’on a choisi le « secondaire inférieur », le premier cycle des lycées donc, et non une voie intermédiaire entre l’école primaire et le lycée comme matrice pour le collège unique, les élèves qui ne se destinent pas à l’enseignement général du lycée sont devenus, à des degrés divers, des élèves en difficulté « à orienter ». En prenant cette option, on a ainsi gommé tout ce qui pouvait ressembler à la mise en place d’un tronc commun portant en germe toutes les diversifications à venir pour maintenir, coûte que coûte, l’hégémonie du seul enseignement général de disciplines préparant à des études longues. Les obstacles rencontrés depuis 1975 pour élaborer un socle commun ou encore l’histoire de la disparition de l’enseignement technique dans le tronc commun du collège, car de fait considéré comme inutile pour les futurs bacheliers de l’enseignement général, sont à cet égard exemplaire. Ne retenir dans le tronc commun du collège que les contenus disciplinaires qui préparent à l’enseignement général des lycées, ce n’est pas construire l’école moyenne pour tous mais c’est faire comprendre à une partie des élèves que le collège qui les accueille n’a pas été pensé pour eux.
Il faut ajouter à cela le fait que, trop longtemps sans horaire stabilisé et gagé sur des moyens pérennes, et sans formation des enseignants à la pratique pédagogique différenciée et en groupes variables, l’aide aux élèves en difficulté (notamment l’aide au travail personnel) n’a pu avoir de réelle efficacité. On ne va pas ou on ne peut pas aller jusqu’au bout de la logique qui préside à l’émergence des solutions – le plus souvent pertinentes – proposées pour les élèves en difficulté. C’est aussi la question du pilotage des réformes qui est ici clairement posée.
Il faudrait revisiter ces éléments fondamentaux pour achever la construction du collège unique : la question des objectifs du collège (le collège unique pour quoi faire ?), et donc celle des enseignements et de la pédagogie. On a donc, pour toutes ces raisons, beaucoup plus une impression d’un collège inachevé que d’un collège en échec.
Peut-on empêcher les collèges, et particulièrement ceux qui ont encore une certaine mixité sociale, de construire des filières internes de bonnes classes ? Finalement l’Ecole n’a t’elle pas toujours séparé les enfants des pauvres de ceux des riches ?
Devant les difficultés réelles et importantes rencontrées dans un collège resté trop uniforme, certains établissements mettent effectivement en place, pour garder une certaine mixité sociale, des modalités de scolarité qui ressemblent à des filières. On peut renvoyer ici notamment aux travaux d’Agnès van Zanten sur la « colonisation » de certains établissements par les classes moyennes. D’une certaine manière, faute de pouvoir mettre en place pour les raisons que j’ai indiquées un véritable tronc commun articulé avec des branches, certains collèges peuvent avoir privilégié les branches, c’est-à-dire quelque chose qui s’apparente effectivement à des filières. Mais il est un peu facile de stigmatiser les équipes qui agissent ainsi, souvent dans un contexte de ghettoïsation qui dépasse d’ailleurs la seule école, car elle n’ont pas véritablement le choix ou alors le « choix » entre des solutions toutes non satisfaisantes tant que l’on aura pas remis de l’égalité (de l’excellence partout) dans l’offre scolaire : garder une forme de mixité sociale dans l’établissement pour tirer celui-ci vers le haut mais au prix d’une moindre hétérogénéité dans certaines classes ou garder une hétérogénéité totale dans les classes, mais en courant le risque de faire fuir les élèves qui le peuvent et donc d’homogénéiser et de ghettoïser tout l’établissement. Les donneurs de leçons sont invités à proposer leurs solutions !
Le collège unique était lié aux Pegc, ce corps de professeurs souvent issus de l’enseignement primaire. Faut-il revenir à un corps similaire ? Quelles solutions peut-on aujourd’hui proposer pour construire un collège qui fasse réussir tous les élèves ?
Vous posez en fait la question de savoir si les enseignants de collège sont aujourd’hui préparés à enseigner au collège et, particulièrement, aux collégiens en difficulté. Il faut ici rappeler que, dès l’origine, en 1975, on a en effet compté sur les enseignants spécialisés de l’ancienne voie 3 et sur les PEGC de l’ancienne voie 2, pour réussir l’amalgame de publics scolaires autrefois séparés. La circulaire de 1979 précise par exemple qu’il est nécessaire de préserver un équilibre entre ces enseignants et les professeurs certifiés pour « parfaire le collège unique ». C’est en 1987 qu’il est décidé et en 1988 qu’il est mis en œuvre une unification du corps enseignant en collège et un alignement sur les compétences de type lycée.
Ce qui pose problème, ce n’est pas tant la disparition des PEGC que l’insuffisante préparation des professeurs à mener à bien par exemple des actions de remédiation en direction d’élèves en grande difficulté. S’il faut un haut niveau d’exigence scientifique pour tous les professeurs, tout le monde peut comprendre que ce n’est pas la même chose d’enseigner les mathématiques en terminale S et dans une classe de sixième qui accueille quelques élèves ayant des difficultés lourdes en lecture et dans les apprentissages de base en mathématiques.
On peut aussi comprendre, qu’au début du collège, un nombre d’enseignants trop important n’est sans doute pas la meilleure manière d’organiser la transition avec l’école primaire.
La question du collège unique est liée à celle des missions des enseignants, des programmes, du pilotage du système éducatif, des méthodes pédagogiques. Peut-on vraiment faire bouger tout cela dans le contexte actuel ? Est-ce possible ?
Comme on peut déjà le voir, l’école sera un thème central des prochaines échéances. Formons le vœu que toutes ces questions soient effectivement débattues, mais le collège unique sera immanquablement au cœur des réflexions.
Quelle pourrait être la première mesure à conseiller au nouveau ministre qui arrivera en mai 2007 ?
Il ne s’agit pas d’une mesure mais d’une orientation de caractère politique car la question du collège est une question éminemment politique. L’école moyenne est une étape essentielle dans la construction de notre société républicaine. Sa mission est de préparer des parcours d’égale dignité à partir d’une base commune à tous les citoyens, non de figer précocement des destins individuels socialement marqués. Comme alternative à l’uniformité qui conduit de fait à la ségrégation, il y a l’organisation de la diversification pédagogique. Cette tâche est longue et difficile. Alain Savary disait que c’est « une œuvre de plusieurs générations ». Sans cette réflexion politique de fond, les « mesures » prises risquent de ne pas avoir toute l’efficacité escomptée. Comme a pu l’écrire en 1994 Alain Bouchez, « si le collège se fixe pour mission de préparer au lycée, si le baccalauréat est l’unique critère de réussite ou le seul viatique admissible, si la société peut se satisfaire des laissées-pour-compte qui n’atteindront jamais ce niveau et assumer sans état d’âme cette exclusion, il conviendra de ne changer que peu de choses aux pratiques du collège : quelques allégements d’effectifs réclamés, quelques heures d’aide et de soutien, mettre en place des structures précoces d’évitement scolaire ne manqueront pas de donner satisfaction ».
Jean-Paul Delahaye
Entretien : François Jarraud
Dernier ouvrage de J.-P. Delahaye :
Le collège unique, pour quoi faire ?, Les élèves en difficulté au cœur de la question, Pars, Retz, 2006, 158 p.
Présentation :
http://www.inrp.fr/vst/Ouvrages/DetailPublication.php?i[…]