L’école dans la nature est-elle une retombée provisoire du covid ? Est-ce simplement une démarche pour bobos plus ou moins privilégiés ? Sylvain Wagnon et Corine Martel montrent dans un nouvel ouvrage (L’école dans et avec la nature, ESF Sciences humaines) que l’idée vient de loin, de Freinet, de Decroly, de l’éducation nouvelle. Surtout, iels font le lien entre cette appétence pour la nature et une « révolution de velours » pédagogique. Rapprocher les enfants de leur environnement c’est aussi repenser la forme scolaire, construire une école émancipatrice. Car l’école dans la nature est aussi un projet politique, celui d’une école écologique. L’ouvrage très argumenté et convaincant, n’est pas que théorique. Il donne des pistes concrètes pour amorcer un changement de l’Ecole. Sylvain Wagnon nous l’explique dans cet entretien.
Le premier apport du livre c’est de montrer qu’enseigner avec la nature n’est pas une question nouvelle. Ce n’est pas un caprice de bobo du 21ème siècle. Ca vient de loin ?
On met dans ce livre en perspective ce qui apparait comme un engouement aujourd’hui notamment avec la crise sanitaire. On veut montrer que cette école dans la nature a une histoire liée à l’Education nouvelle. Freinet, Decroly, par exemple, ont pensé une éducation au sein de la classe mais aussi à l’extérieur de la classe. Freinet avait ses classes promenade. Decroly parle d’une école de la vie.
Pour vous l’école dans la nature est une révolution pédagogique, un mouvement de fond. Vous dites que c’est une réflexion globale sur l’éducation. Que voulez vous dire ?
En utilisant l’expression de « révolution pédagogique » on veut parler d’une révolution de velours. Il ne s’agit pas de retourner la table mais de permettre aux méthodes actives de se développer grâce à l’idée qu’on peut enseigner quand on en a besoin sur le terrain. Il y a des résistances à transformer l’éducation. Par le biais de l’école dehors on peut transformer la relation entre l’enseignant et sa classe et aussi la relation aux savoirs. Freinet montrait déjà que sa classe promenade a une valeur de transformation de l’éducation et des liens entre élèves et professeur.
Il y a quand même dans le livre des propos qui méritent d’être expliqués. Par exemple cette phrase : « l’école en dehors implique une nouvelle relation pédagogique ainsi qu’une redéfinition de la forme scolaire ». Ou celle-ci : « C’est un moyen de dématérialiser les connaissances pour se confronter à l’environnement par ses sens et son corps ».
C’est l’idée qu’aller à l’extérieur transforme les choses. Par exemple l’école dehors oblige à sortir de la salle de classe : c’est une forme scolaire complémentaire. Decroly disait que « c’est la classe quand il pleut ». Il montrait que la classe est intéressante à certains moments mais n’est pas le lieu exclusif des apprentissages.
A l’extérieur on s’aperçoit que de nouveaux éléments entrent en jeu. C’est l’idée de l’éducation intégrale, au sens du pédagogue libertaire Paul Robin, qui propose d’aller à l’extérieur parce que cela permet automatiquement un développement des émotions et des sens. Les élèves ont des sensations. Leurs émotions se développent en relation avec les apprentissages. Ce n’est pas la panacée éducative. Mais ce peut être un levier pour une éducation plus active.
Ne charge t-on pas l »éducation dans la nature de toutes les utopies éducatives comme apprendre sans effort « par les sens » ou une relation enseignant-élève toute douce ? Et du coup est-ce qu’on n’oublie pas les réalités tristes de l’éducation : les inégalités scolaires, les inégalités sociales, l’échec scolaire ? L’école dehors c’est l’école des privilégiés ?
Une des questions abordées dans le livre c’est comment faire pour que cette école soit l’école du lien commun, de l’altérité et de l’émancipation. Ce n’est pas parce qu’on va dehors que les questions fortes du système éducatif n’existent plus et qu’on résout tous les problèmes. Le livre montre étape par étape comment on peut changer. C’est un livre qui fait réfléchir.
Par exemple on a un passage dans le livre qui montre comment végétaliser la cour de récréation. Quand on fait cela on rencontre la question des genres dans la cour. Ce sont des espaces très genrés. Végétaliser est l’occasion de repenser la cour et de dépasser le constat des inégalités actuelles où souvent les garçons se sont emparés d’une grande partie de la cour à travers le foot. Enseigner dehors est un outil intéressant pour réfléchir à ces questions. Ca ne résout pas tous les problèmes mais ce n’est pas une utopie pour bobos. Végétaliser la cour c’est prendre en compte le défi écologique et pédagogique.
Quels savoirs peut-on acquérir avec l’école dehors ?
Aller à l’extérieur ce n’est pas nier les savoirs. C’est apprendre autrement. On profite du fait d’être sur le terrain pour acquérir des savoirs. On montre dans le livre qu’on peut avoir des apprentissages plus efficaces à certains moments qu’en classe dans toutes les disciplines. En histoire par exemple on peut aller voir un monument. En géographie on peut analyser un paysage. En maths il y a aussi des exemples réussis. En littérature une poésie dite dehors donne une impression différente. Et on permet à des enfants qui ont moins de lien avec le livre de penser autrement.
Comment se lancer dans l’école dehors ?
On y va modestement à tâtons. Dans le livre on montre les petits pas qu’on peut faire jusqu’au projet d’ensemble engageant son école. On peut aussi sortir dehors en zone urbaine. A commencer par la cour de récréation. Et c’est possible en suivant les programmes. Le livre essaie de montrer des choses simples et pas seulement au primaire mais aussi dans le second degré.
Il s’agit aussi avec ce livre d’encourager une prise de conscience écologique ?
La classe dehors est un défi éco pédagogique. C’est bien un choix politique en plus d’un choix pédagogique.
C’est un détour vers une école plus émancipatrice ?
Clairement oui. Faire de la pédagogie c’est pas une finalité. C’est aller vers des valeurs qui sont celles de l’émancipation, de l’altérité et aussi du service public. Quand on dit remettre en place une relation au vivant, c’est une vision politique de l’éducation.
Propos recueillis par François Jarraud
Sylvain Wagnon et Corine Martel, L’école dans et avec la nature. La révolution pédagogique du XXIe siècle. ESF Sciences humaines,2022, ISBN 978-2-7101-4442-7, 21€.