» Si les RUPN (mais aussi les ERUN) sont devenus indispensables dans le paysage scolaire, on s’interroge sur l’absence d’évolution du cadre légal de leur fonction. En effet, il ne suffit pas de déclarer la révolution pédagogique par le numérique sans prendre en compte les besoins réels d’accompagnement de proximité et donc l’élargissement de la fonction et donc du statut de ces enseignants ». Bruno Devauchelle fait le point d’une fonction qui se situe juste au point de non-rencontre entre le pédagogique, mission étatique, et la maintenance, mission des collectivités locales.
Des référents numériques souhaités depuis longtemps
La demande d’accompagnement des enseignants en matière de numérique pédagogique est avant tout une demande de « proximité ». Cela s’est traduit depuis de nombreuses années (à partir des années 1990) par la mise en place d’enseignants dits « référents » TIC dans les établissements scolaires (parmi d’autres référents sur d’autres champs éducatifs et pédagogiques). Ce besoin est clairement mis en avant dans de nombreux rapports et études sur le développement du numérique dans les établissements scolaires. En mettant en place ces personnels enseignants ayant une mission spécialisée, s’est posé alors, et continue de se poser, la question de leur statut et de leur rémunération mais aussi leur nomination (si tant est qu’elle soit effective). Ainsi, dans ce document « Rapport sur la contribution des nouvelles technologies à la modernisation du système éducatif » publié en 2007 rejoint-il l’avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de mars 2021 qui écrit et préconise: « … de réaffirmer la place des référents numériques dans chaque circonscription du premier degré et dans chaque établissement du second degré. Il s’agit d’augmenter leur nombre et de donner davantage de moyens pour mieux accompagner les équipes pédagogiques dans l’utilisation du numérique dans leurs pratiques. Ces référents doivent pouvoir faire émerger des projets pédagogiques numériques innovants avec les équipes pédagogiques. » (L’école à l’ère du numérique CESE 2021).
En d’autres termes, si cette notion de référent numérique semble installée dans le paysage scolaire depuis longtemps, les réalités locales sont très variables. Il est souligné par différents spécialistes que les textes de cadrage national sont souvent transformées localement et adaptés (cet écart entre les préconisations et leur mise en œuvre réelle est analysée depuis très longtemps). Selon certains responsables, ces adaptations, concernant en particulier le numérique, sont liées à l’autonomie de l’établissement et le pilotage effectué par les chefs d’établissement, elles seraient dépendantes des choix internes à chaque établissement (projet pédagogique, projet d’établissement, moyens horaires). En 2012 déjà, un sévère rapport de l’Inspection générale intitulé « Suivi de la mise en œuvre du plan de développement des usages du numérique à l’école (p.31) met en évidence la faible rémunération et surtout la variabilité des nominations et des missions de ces personnels enseignants dans les établissements.
Peut-on séparer la technique du pédagogique ?
La loi de décentralisation de 2013, en confiant la maintenance des équipements numériques aux collectivités, a ouvert un chantier nouveau. En effet si les récriminations évoquées dans les précédentes années mettaient en évidence de nombreux problèmes techniques et donc de maintenance, le ministère s’est déchargé sur les collectivités. Mais il a oublié une dimension bien connue dans les établissements depuis de nombreuses années : les usages pédagogiques ne sont pas indépendants des conditions matérielles de leur mise en oeuvre. Ce n’est pas pour rien que, dans plusieurs départements (Landes, Bouches du Rhône) ont été mis en place des personnels en charge du suivi technique dans chaque établissement scolaire. En Ile de France, la région a même souhaité « rémunérer des professeurs de l’Éducation nationale volontaires dans les lycées afin qu’ils puissent se constituer ‘référents informatiques » dont la mission concernerait la sensibilisation, l’initiation et l’assistance des enseignants . Or un texte de 2015 publié au BOEN est explicite : « Le décret n° 2015-475 du 27 avril 2015 préconise la présence (nomination, rémunération, fonctions) d’un référent pour les usages pédagogiques du numérique (RUPN) dans les établissements. » D’un côté la question technique de l’autre la question pédagogique rappelée encore récemment par des responsables du ministère qui insistent pour dire que ces RUPN n’ont pas de vocation technique. D’ailleurs le texte qui définit les fonctions est clair : « Fonction de conseil de l’équipe de direction dans le pilotage du numérique, Fonction d’accompagnement des équipes pédagogiques, Fonction d’administration des services numériques. » On peut tenter de comprendre ce que cela signifie en accédant à tous ces documents académiques qui tentent de préciser ces fonctions, ainsi que les lettres de mission que le chef d’établissement est amené à rédiger pour l’enseignant concerné. On se rend compte de l’écart qu’il peut y avoir d’un lieu à l’autre. Cet écart semble justifié, au moins dans le propos, par le projet académique et celui de l’établissement, en application des textes officiels issus du ministère dans le domaine.
Si le chef d’établissement semble être à la base de ces fonctions « Le chef d’établissement apprécie les besoins du service en la matière compte tenu de l’organisation académique mise en place pour le déploiement de la politique en matière de numérique pédagogique et de la part prise par l’établissement dans le dispositif. », on s’aperçoit que ce n’est pas en totale autonomie, mais bien en lien avec la politique académique et nationale en matière de numérique. Si cela porte sur les fonctions, cela porte bien sûr sur l’indemnité qui peut être versée à l’enseignant désigné. Outre la faiblesse de cette rémunération en regard de l’ensemble des tâches on peut s’interroger sur ce que le ministère attend de ces personnels. Sur le site du ministère on liste les trois missions ainsi : « 1- conseiller les personnels de direction dans le pilotage de l’établissement et accompagner les enseignants dans la prise en compte du numérique au quotidien dans les classes, 2- assurer la disponibilité technique des équipements en lien avec les collectivités territoriales chargées de l’équipement et de la maintenance, 3- administrer les services en ligne par délégation du chef d’établissement. » Il semble qu’il y ait des difficultés dans la mise en oeuvre concrète comme nos enquêtes de terrain l’ont confirmé : dans certains établissements, il n’y a pas de RUPN (de plus en plus rare, question déjà identifiée en 2012 par l’IGEN), dans d’autre la tâche est divisée en deux ou trois personnes, dans d’autres encore une seule personne assure les trois missions….
Une mission à faire évoluer
Récemment les collectivités ont interrogé le ministère sur la question du lien du RUPN avec la collectivité. En effet, il semble que les collectivités soient « en dehors » de ce dispositif (elles ignorent qui sont les RUPN dans la plupart des cas) et que cette seconde mission de lien ne puisse être réalisée pleinement. En réalité les situations sont très contrastées d’un établissement à l’autre, d’un territoire à l’autre. Si cela est le signe d’une adaptation aux réalités locales, encore faudrait-il que la place des RUPN soit clarifiée statutairement (ainsi il n’y a pas de décharges d’enseignement alors que cette possibilité est inscrite dans le texte de 2015 actualisé en 2020). D’ailleurs la durabilité de ces personnels dans la fonction est très variable, certains établissements ne trouvant personne pour exercer cette fonction « polymorphe », cela mettant en évidence la fragilité d’une telle fonction indemnisée… mais pas réellement ressentie comme reconnue par les acteurs eux-mêmes.
Parmi les enseignants RUPN que nous avons rencontrés, nous avons perçu la diversité des profils et la diversité des tâches effectives. La fragilité de ces personnels est d’abord institutionnelle : le ministère délègue au local et en particulier à l’établissement la définition du poste et son indemnisation. Dans certaines régions, la gestion des ressources particulièrement est mise en avant. Chaque chef d’établissement rédige une « lettre de mission » pour le RUPN qui finalement précise le cadre de son action, de ses fonctions. Mais la fragilité essentielle de cette fonction c’est que le pédagogique et le technique ne sont pas aussi dissociables que les textes de cadrage le disent. Au moment où l’enseignant utilise le numérique dans sa classe, ce dont il a besoin c’est de la « fiabilité » aussi bien pédagogique que technique. Et souvent, c’est la technique qui bloque la pédagogie : aussi le RUPN est-il, car en proximité, appelé à l’aide et doit alors intervenir aussi sur la technique qu’il le veuille ou non (nous l’avons souvent observé). Dans les établissements où la collectivité a installé un personnel technique, le RUPN peut se consacrer aux usages pédagogiques et éducatifs. Nous avons même pu observer que, dans certains cas, les personnels techniques (rémunérés par la collectivité) allaient aussi aider les enseignants dans le volet pédagogique (car à nouveau il y a une forte proximité) outrepassant leurs missions technique. La frontière est alors si mince que l’on comprend, d’un côté comme de l’autre, les dérives possibles. On comprend bien l’interrogation des collectivités territoriales qui s’interrogent sur la fameuse deuxième mission du RUPN et des conditions de mise en œuvre réelle, voir de formation.
Si les RUPN (mais aussi les ERUN) sont devenus indispensables dans le paysage scolaire, on s’interroge sur l’absence d’évolution du cadre légal de leur fonction. En effet, il ne suffit pas de déclarer la révolution pédagogique par le numérique (trop de discours en attestent) sans prendre en compte les besoins réels d’accompagnement de proximité et donc l’élargissement de la fonction et donc du statut de ces enseignants. Le lien avec les collectivités doit aussi être renforcé. La fameuse séparation entre les compétences des uns des autres (loi de 2013) doit être interrogée. Si les collectivités se tiennent en bordure du pédagogique, car piloté par le ministère d’après la loi, on a du mal à comprendre qu’il y ait si peu de liens entre les acteurs de terrain, à moins de penser que nos ministres successifs ont (toujours) eu une vision descendante du fonctionnement de l’éducation : le ministre dit, la collectivité abonde, l’établissement s’adapte !!!
Bruno Devauchelle