Dans une nouvelle Note du conseil scientifique de la FCPE, Dominique Glasman revient, après son article de 2018 dans la Revue française de pédagogie) sur les enfants non scolarisés. Le choix de la formule des « enfants qui ne vont pas à l’école » ne doit rien au hasard. D Glasman montre que les familles ne font pas forcément le choix de ne pas envoyer leur enfant à l’école et que toutes ne pratiquent pas non plus l’instruction en famille. Alors que l’Etat a mis ces enfants sous surveillance au nom de la lutte contre le séparatisme, D Glasman montre la grande variété des situations et des motivations, ce qui est confirmé par les quelques études dont on dispose. Voilà une note toute en finesse…
Non scolarisés subis ou voulus ?
La note ne parle pas des enfants pauvres qui ne sont ni inscrits ni reçus à l’école et que certaines associations estiment être 100 000. Ceux là n’intéressent pas l’Etat. Ils passent sous le radar des statistiques. Ils sont invisibles pour les autorités même si nous les croisons tous les jours dans la rue. Elle ne traite pas non plus des jeunes dits « réglementés » c’est à dire inscrits gratuitement au CNED parce que l’Etat reconnait qu’ils ont un motif reconnu : pratique sportive, famille itinérante par exemple. Elle s’occupe des autres : des enfants qui pourraient fréquenter l’école mais ne le font pas. On estime qu’ils sont 19 000.
Parmi ces jeunes, il y a des enfants dont les parents ne veulent pas les scolariser. « Il s’agit de permettre aux enfants d’apprendre à leur rythme (ils jugent que l’école, organisée en classes, impose un rythme uniforme), de choisir leurs centres d’intérêt. Pour d’autres parents, il s’agit surtout d’échapper à tout ce que la simple fréquentation de l’école, le contenu des programmes scolaires mais aussi le « curriculum caché », inculque aux enfants : une vision du monde ne correspondant pas à celle des parents, des influences jugées néfastes, des effets d’imitation fâcheux en termes de consommation « obligée », ou encore de « mauvais exemples » (comportement, langage…). Il s’agit encore d’échapper aux problèmes que les enfants rencontrent (ou pourraient subir) dans la cour de récréation ou sur le chemin de l’école », dit très bien D Glasman. Et puis il y a des jeunes qui auraient voulu scolariser leur enfant mais qui ne le peuvent pas : cas de phobie scolaire, mauvaise relation avec un enseignant, harcèlement etc.
Instruction en famille ou pas ?
D Glasman nous fait ainsi entrer dans l’univers très varié également des pratiques pédagogiques des familles. « Certaines familles optent pour l’école à la maison, au sens où, au sein de l’espace domestique, est organisé, pour l’enfant ou les enfants de la famille, un lieu dédié au travail scolaire, selon un emploi du temps découpé comme à l’école (par matière), avec des épreuves scolaires de validation des apprentissages. D’autres parents préfèrent laisser à l’enfant le choix de ses horaires, de ses activités, de son programme, selon ses centres d’intérêt du moment, convaincus qu’ils sont que l’on n’apprend bien et efficacement que si on est motivé pour le faire. Parmi ces parents, certains sont adeptes du unschooling, c’est-à-dire refusent de se mettre dans une posture d’enseignants ou de transformer une portion de l’espace familial en petite école ». L’expression « instruction en familles » convient plutot à ceux-ci, « école à la maison » aux autres. Un des apports de la Note de D Glasman c’est de montrer que dans tous les cas ce sont les mères qui portent l’instruction. Ce que rappelle Glasman c’est que dans la plupart des cas ces jeunes fréquentent à défaut de l’école des clubs sportifs, des associations : ils ne sont pas isolés des autres enfants. Quant aux résultats de ces modes d’instruction on les connait mal, estime D Glasman.
Evidemment cette méconnaissance surprend alors que la loi séparatisme va, dès la prochaine rentrée, encadrer très strictement ces jeunes et imposer dans un nombre de cas qui risque d’être élevé la scolarisation. Le risque de radicalisation a été beaucoup utilisé pour justifier la loi. D Glasman aurait pu citer les enquêtes de la Dgesco sur ces jeunes que le ministère n’a communiqué qu’après le vote de la loi. En effet elles montrent le très faible nombre de cas préoccupants. Sur les 19 008 enfants concernés en 2018-2019, 11 994 ont été contrôlés cette année là. Les inspecteurs ont relevé 1134 niveaux jugés insuffisants. Au final il y a eu 115 mises en demeure de scolarisation et 35 saisines du procureur , soit 0.18% de cas problématiques.
Des enfants indispensables pour l’école ?
D Glasman aurait pu aussi citer une autre étude, publiée dans Education et sociétés n°45, en 2021. Deux travaux qui tournent autour de la même idée. « L’intérêt d’étudier ces groupes, du point de vue d’une gouvernance réflexive, tient justement à l’image d’elle-même qu’ils renvoient à l’institution par un effet de miroir créé grâce à leur extériorité. De plus, par leur recherche de nouvelles solutions aux défis rencontrés, ils offrent à l’institution une possibilité d’apprendre de leurs expérimentations et de les intégrer dans son développement », explique Christine BRabant à partir de travaux français, suisses et québécois. Pour Alice Tulman, qui étudie le mouvement aux Etats Unis, avance une hypothèse : » c’est l’autoréférentialité accrue du système éducatif –le fait même que l’éducation se réfère plus exclusivement à sa propre logique et développe une forme d’indifférence à l’égard de critères non strictement scolaires –qui conduit les uns (progressistes expressifs) à considérer le système comme inhumain, impersonnel et les autres (conservateurs religieux) à regretter le manque de limites morales et religieuses à l’oeuvre dans le système ». Plus qu’un sous produit de l’école, les enfants sans écoles permettent de mieux la comprendre et de l’améliorer. S’en priver n’est pas forcément bon pour l’école…
François Jarraud