L’école est le haut lieu de transmission des savoirs. Mais c’est surtout un lieu où l’on apprend à penser. Pourtant, comme l’explique Daniel Gostain, professeur des écoles spécialisé en aide relationnelle (option G), dans les textes sur l’école, on lit très rarement ce verbe, penser. « Penser l’école, penser à l’école C’est un combat vital, un combat politique, un combat humain ». Daniel Gostain essaie de donner des billes aux élèves pour apprendre à penser, à analyser, à verbaliser, à mettre les mots sur ce qu’ils vivent et ce qu’ils ressentent. « Depuis des années, je milite pour que des espaces de pensées soient inscrits dans les emplois du temps des classes, car on ne peut pas véritablement apprendre, surtout pour les enfants qui n’ont pas la chance de bénéficier de ces espaces à la maison, sans penser ce qu’on apprend et ce qui s’y joue ». « Ma vie du dedans » est un des dispositifs proposés par D. Gostain pour permettre de penser ses ressentis.
Des clowns pour mettre les mots
Il y a quelques années, le Café pédagogique présentait la compagnie de clowns « Tape l’incruste », dont Daniel Gostain est membre, et son travail sur « les empêchements d’apprendre ». Apprendre, c’est prendre un risque et pour certains le risque est trop grand. C’est ce que Serge Boimare a appelé les empêchements d’apprendre. Des situations où l’enfant, dépassé par ses émotions et ne sachant les canaliser, se retrouve dans une telle confusion qu’il préfère mettre en place des stratégies pour éviter d’apprendre.
Dans sa classe, avec ses élèves, Daniel Gostain, professeur des écoles fait le même constat et ce, dès le début de sa carrière. Enseignant dans un RASED en tant que maître G à Paris, adepte de la pédagogie Freinet, « on ne peut être que sensible à ce qui peut faciliter les apprentissages » explique Daniel. Alors avec sa compagnie de clowns, une bande de cinq copains/copines, ils ont décidé de mettre leur talent au service des élèves. « La Compagnie Tape l’incruste, c’est une compagnie de clowns de théâtre dont l’objectif premier est d’apporter un regard clownesque, donc décalé, et dans l’émotion et l’imaginaire, sur le monde et ses manifestations. Nous sommes beaucoup intervenus sur des congrès – notamment les Congrès de l’ICEM-Pédagogie Freinet, des colloques, des réunions pour apporter ce fameux regard, souvent en fin de journées. Une façon pour les participants de recevoir quelque chose de différent sur ce qu’ils venaient de vivre ».
Travailler ses émotions
Très vite, le clown et enseignant, se rend compte que ce regard singulier pouvait être pertinent, voire riche, s’il était porté sur le monde de l’école et ses apprentissages. « Grâce aux personnages des clowns, les enfants peuvent s’emparer plus naturellement des savoirs avec l’Encyclopédie clownesque, des empêchements inévitables lorsqu’on apprend avec « Les empêchements à apprendre » et, aujourd’hui, de ce qui se passe en notre intérieur et qui joue dans notre vie scolaire dans « Ma vie du dedans »».
Dans le prolongement des « empêchements d’apprendre », « Ma vie du dedans », c’est l’idée que l’on ne peut faire abstraction de ce qui joue en nous, dans notre vie, et, par ricochet, à l’école. « Les enfants y arrivent porteurs d’un quelque chose qui a obligatoirement un effet sur leur travail d’élèves. Ce quelque chose, c’est le rapport aux autres, ce sont leurs émotions, ce sont leurs zones de fierté et de difficulté, leurs forces, leurs fragilités, leur particularité à chacun ». Sur le site dédié, le projet est explicité. « Nous accueillons des enfants en difficultés pas seulement scolaires, pas seulement en rapport avec ce qui se passe à l’école, car nous avons affaire à des jeunes personnes ayant déjà un vécu, une « déjà-vie », avec une naissance, un développement, avec aussi une découverte intérieure de « goûts qui vont vers » ou de « goûts qui ne vont pas vers », etc. Bref, des enfants déjà pleins d’un quelque chose qui intervient aussi dans leur vie d’élève.
C’est pourquoi, nous avons, au sein de la compagnie Tape l’incruste, élaboré des scènes de clowns mettant en jeu ce lien à notre existentiel à chacun, quel que soit notre âge » peut-on y lire.
Des séances simples à réaliser
Dix capsules vidéo de moins de dix minutes mettent en scène quatre clowns qui ont chacun leur propre façon d’appréhender « la vie du dedans ». Par exemple, dans la vidéo « comment je fais avec mes émotions », on les découvre qui abordent chacun à leur manière leurs émotions. Pour le premier, « c’est avec les autres que ça va pas… que ça provoque de la colère, moi je suis calme… Quand je suis tout seul, je suis un océan de tranquillité… » explique le clown complètement envahi par ses émotions. Pour la seconde, c’est tout le contraire, les émotions, « waouh… les émotions, c’est trop bien ». La troisième mime la façon dont les émotions l’envahissent, prennent littéralement possession de son corps, comment chaque partie de celui-ci réagit face à la colère ou tout autre sentiment. Et pour le dernier, ses émotions le laissent sans voix, « d’abord je sais pas d’où elles viennent… je sais pas où elles sont… ». Autant de situations où chaque enfant peut s’identifier. « Dans chaque vidéo, chaque clown a une façon différente d’appréhender sa vie du dedans et les enfants peuvent se sentir plus familiers à l’un ou l’autre et par conséquent l’exprimer » complète Daniel.
Les capsules sont à utiliser dès le CE1 et bien après. Dans le secondaire, au collège tout particulièrement, là où l’on sait la difficulté d’appréhender le monde, les autres et surtout soi pour les jeunes adolescents. La démarche est détaillée dans un padlet sur le site dédié. Après un visionnage des vidéos en classe, Daniel Gostain propose un temps d’échanges entre les élèves autour de la thématique abordée par les clowns, « un temps durant lequel les enfants discutent de leur propre « vie du dedans », qu’elle soit à l’école ou non d’ailleurs » avant d’aborder une phase de création. Cette dernière peut prendre plusieurs formes : écriture, dessin… Des exemples sont à retrouver sur le padlet.
Daniel est ouvert à toute discussion, n’hésitez pas à le contacter sur daniel.gostain@netcourrier.com
Lilia Ben Hamouda
L’encyclopédie clownesque des savoirs