De l’élaboration d’une banque de graines au semi d’arbres, il n’y a qu’un pas. Jérôme Joubert, professeur de SVT au collège Gabriel Seailles à Vic Fezensac (32), encadre une végétalisation sur un terrain de 9 hectares avec toutes ses classes. Troëne, viorme, cornouiller mais aussi alisier, chêne vert et pommier ont été semés par ses élèves. « Les graines récupérées dans nos assiettes, dans les haies, les vergers, ou les bosquets alentour ont été conditionnées pour être semées ». L’enseignant a su mobiliser associations et collectivités locales pour porter ce vaste projet d’arborisation. Inclus dans le dispositif des aires éducatives terrestres, ce travail de terrain collectif sera suivi sur du long terme avec un protocole scientifique précis. Jérôme Joubert nous confie ses motivations et ses clés « pour remettre à l’honneur le vivant ».
Pourquoi ce projet de végétalisation d’un terrain de 9 hectares mené avec vos élèves ?
Nous assistons aujourd’hui à la 26ème conférence sur le climat. Suite aux effets d’annonces de ces différentes COP qui se sont succédées, les avancées politiques restent laborieuses et décevantes face à l’urgence. Or, quotidiennement dans nos classes, l’inquiétude grandit face aux connaissances sur l’état du monde. Sur cette commune gersoise dont le territoire rural est artificialisé à 90 % par une agriculture essentiellement intensive et où il semble bon vivre, les aléas climatiques se font plus nombreux et plus intenses chaque année, (inondations, sécheresses, canicules, érosions des sols).
Aussi les collégiens sont-ils avides d’explications, et attendent des solutions pour changer la situation actuelle. Malheureusement, ce ne sont pas des petits gestes comme trier le papier, éteindre les lampes dans nos classes, faire des affichettes pour prévenir les gaspillages d’eau à la cantine qui feront changer les choses à grande échelle même si elles y contribuent.
Il faut des actions qui bousculent les représentations que l’humain se fait de lui-même, dans les écosystèmes qu’il occupe. Il faut accepter de rendre aux écosystèmes une part de ce qu’ils sont capables de nous donner. C’est pourquoi nous nous sommes engagés dans ce projet d’arborisation. En effet, les végétaux, les arbres sont à la base des écosystèmes et de nos existences.
Notre projet vise donc à remettre à l’honneur le vivant pour combattre le défaitisme et le laisser-aller, grâce à des actions concrètes, dont l’évolution pourra être suivie par l’ensemble des citoyens de notre commune. Il contribue me semble-t-il à cultiver l’espoir par son ancrage dans le territoire de Vic Fezensac. Il se veut motivant pour les jeunes dans la prise de décisions ou pour mettre la main à la pâte et faire changer les choses près de chez eux pour leurs enfants et petits-enfants.
S’engager dans ce projet, c’est appréhender les notions de temps, anticiper, prévoir sur le long terme pour préparer l’avenir, c’est agir de façon solidaire pour les générations futures en créant un lien entre les générations à condition que nos regards sur le vivant, sur le sol, le monde sauvage, et sur les modes de production ou de vie soient remis en question fréquemment. Notre devise, c’est: « Agir maintenant, partout et toujours, pour soi et pour les autres vivants. »
C’est pour atteindre ces objectifs que nous avons entrepris de restaurer cette friche agricole. L’action a débuté en 2020 avec les élèves de 6° qui ont découvert sur le terrain l’effet de la nature du sol sur la décomposition de la matière et la croissance des végétaux, ainsi que le phénomène de l’érosion des sols.
Cette année, une spirale solidaire de 1200 m linéaire sur 1,50m de large, tracée sur une surface de 4 ha a été semée par l’ensemble des élèves du collège. Chaque élève avait à sa charge une bande de sol de 5 m2 délimitée par des jalons de couleur selon leur niveau, pour y semer des graines d’arbres et de plantes arbustives d’espèces endémiques essentiellement.
Quels partenaires extérieurs vous soutiennent ?
Ce projet n’aurait pas vu le jour sans le concours d’un partenariat efficace qui a été instauré avec le Conseil Départemental du Gers qui finance l’achat d’arbres dans le cadre du projet 7000 arbres auquel nous avons adhéré, le CAUE (conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) pour le choix des parcelles à aménager. La communauté des communes de Vic Fezensac a mis à notre disposition un terrain de 9ha sur lequel une parcelle de 5 ha nous a été spécialement dédiée pour réaliser des projets pédagogiques à loisir, et qui a permis de tracer grâce à l’action bénévole de Jean Claude Bourguignon notre spirale solidaire. Sans oublier l’association Arbres et paysages 32 qui apporte son appui pédagogique en classe pour de la sensibilisation, et son soutien logistique lors des plantations.
Depuis cette année, le projet est aussi inscrit auprès de l’Office Français de la Biodiversité dans le cadre de la création d’une aire éducative terrestre, et auprès du Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse pour un suivi scientifique et technique de l’évolution de la biodiversité sur le site.
Comment réussissez-vous à impliquer tous les collégiens ?
L’implication des jeunes demande une mobilisation de tous les professionnels de l’établissement scolaire. C’est grâce à la volonté de notre chef d’établissement, et de l’engagement, des agents d’entretien, du personnel des cuisines, des professeurs, du personnel de vie scolaire et de l’infirmière scolaire que nous organisons des moments forts comme la « journée solidaire », ou la journée de clôture de la « Résidence d’artiste » où chacun s’investit sans compter.
Nous profitons de ses temps pédagogiques pour proposer des ateliers s’appuyant sur les compétences de chacun des professionnels, et visant les sensibilités éclectiques des collégiens. C’est par l’organisation d’un comité de pilotage de l’EEDD ouvert à tous, où les participants se trouvent au cœur de l’action, que nous pouvons susciter des vocations chez certains élèves pour prendre en charge des missions, proposer des idées, prendre des décisions qui seront relayées dans les classes et mises en œuvre dans le collège ou sur le terrain.
C’est en instaurant, tout au long de l’année, un climat de bienveillance, de confiance et une écoute des jeunes adaptée à leurs sensibilités, en classe et au dehors, qu’il est possible d’avoir leur adhésion à un projet. Il me semble aussi important de se servir du projet comme fil directeur dans l’articulation du programme des sciences de la vie et de la Terre à chaque niveau.
Cela permet ainsi de traiter des connaissances indispensables à la réussite du projet comme l’évolution de la biodiversité, les cycles de la matière, les transferts d’énergie, les interactions entre les êtres vivants et les échanges entre les enveloppes superficielles de la Terre (sol, atmosphère, biosphère).
La démarche scientifique est l’outil de travail le mieux adapté au développement de l’acuité d’observation, des facultés de raisonnement, d’argumentation, d’esprit critique, et à la promotion des actions à mener pour l’avancement du projet sur le long terme auprès des partenaires. Cette démarche implique à ce titre les élèves à des niveaux diverses en exploitant les atouts des uns et des autres pour la progression du projet.
Quelles espèces sont semées sur la zone ? Comment avez-vous récupéré ces graines ?
Une banque de graines élaborée par les élèves l’année passée a permis de mettre en place une pépinière mais cela n’a pas donné les résultats escomptés. Une invitation à la récolte de graines d’arbres fruitiers auprès des collégiens et du personnel a été faite avant les vacances d’été puis, tout au long du mois d’octobre, quelques enseignants, quelques élèves et moi-même avons collecté des graines de plantes arbustives locales (troëne, viorme, cornouiller, coronille, genêt d’Espagne, aubépine…), mais aussi des graines d’arbres communs (chêne pubescent, chêne vert, cormier, alisier, érable champêtre, robiner, pommier, grenadier…). Les graines récupérées dans nos assiettes, dans les haies, les vergers, ou les bosquets alentour ont été conditionnées, dépulpées pour certaines, trempées dans l’acide pour d’autres, pour être semées.
Chaque lot était identifiable par une fiche portant le nom scientifique de l’espèce et son portrait. Un petit échantillon de la biodiversité locale de 35 espèces a pu être proposé aux élèves. Un livret d’accompagnement permettait de préciser les objectifs de l’opération et les modalités du semis et servait d’enveloppe pour mettre les graines.
Pendant que Mme Pavan, animatrice de l’association AP32, présentait les rôles de l’arbre à un groupe d’élèves à partir des panneaux qui avaient été préparés pour l’occasion, je précisais les modalités pour faire le choix des graines et pour réaliser le semis dans de bonnes conditions. Le mot d’ordre était « diversité ». Ainsi, après avoir fait leur marché, selon leurs préférences parmi les espèces mises à disposition sur l’étal, 250 collégiens et 17 élèves d’une école primaire ont semé entre 20000 et 25000 graines sur cette journée tant l’engouement était prégnant ce jour-là.
Quelques mots sur l’aire éducative terrestre mise en place …
Rien ne vaut le terrain pour comprendre comment fonctionne le vivant et comment nous gérons notre territoire, quelles sont les actions qui dégradent, qui polluent, ou celles qui contribuent à l’épuisement des ressources naturelles, quels sont les effets de certaines habitudes de vie et leur coût environnemental localement et globalement.
Le terrain est très utile pour concrétiser les actions de valorisation, ou de régénération d’un écosystème. Il permet aux élèves d’intégrer les gestes responsables, les habitudes de vie pour s’adapter aux changements climatiques et apprendre à façonner des écosystèmes résilients et maintenir leur équilibre. L’inclusion du projet dans le dispositif des aires éducatives terrestres me semble pertinente à plus d’un titre. Sa philosophie répond tout à fait aux buts recherchés.
Elle permet de redonner du sens à la vie des humains autrement que par le consumérisme effréné qui anime nos sociétés industrielles avides d’énergie, de vitesse, et de devises, en assurant à chacun la possibilité d’agir selon les principes démocratiques s’articulant autour des échanges, de la coopération collective de l’inclusion de tous, pour prendre des décisions, pour agir durablement et de façon solidaire.
Elle incite à imiter les adaptations du vivants, fruits d’une évolution de plusieurs milliards d’années (bio mimétisme) pour trouver des solutions de restauration des écosystèmes et non des solutions techniques coûteuses en ressources, peu durables, voir polluantes, ou contre productives.
Elle encourage à s’appuyer sur les capacités de régénération de la biodiversité pour restaurer un lieu dégradé, produire des ressources, ou les protéger, réguler les populations invasives ou les paramètres climatiques et agronomiques, créer des emplois et des nouveaux métiers, être sensible à la culture, aux traditions locales.
Cette démarche implique la définition d’une charte par un collectif d’élèves où les valeurs démocratiques sont ses principes de fonctionnement, le devoir de respect des vivants doit être mis en avant dont découleront toutes les règles de mise en œuvre du projet ; par ce biais elle favorise une formation citoyenne de nos élèves.
L’accompagnement mis en place assure le soutien des équipes qui s’engagent dans cette démarche grâce à un protocole détaillé s’appuyant sur la démarche scientifique, grâce à l’apport d’activités pédagogiques pertinentes, diverses et éprouvées par des professionnels de terrain, et grâce à l’appui de chercheurs, ingénieurs, impliqués aux quatre coins du monde dans des actions éco-responsables réalisées avec les populations locales pouvant faire émerger des idées applicables in situ.
Quelles suites allez vous donner au projet ?
Le projet s’inscrit dans la durée pour permettre d’aborder les objectifs qui le nourrissent, il est le phare de notre action d’éducation au développement durable. Une plantation d’une centaine d’arbres réalisée par les élèves est programmée en janvier sur le terrain pour délimiter l’entrée principale et donner corps au projet. La pépinière d’arbres du collège sera revue et étendue pour l’obtention d’espèces sensibles dont la germination demande à être contrôlée ; une serre a été aménagée pour cela.
Un entretien des plantules, un inventaire des espèces, des amendements du sol, des aménagements nouveaux, des études variées y seront organisés par les élèves dans les mois qui viennent, selon les envies ou les idées proposées et le temps disponible. Cette spirale d’arbres pour les générations futures suscite déjà beaucoup de curiosité de la part de la population Vicoise, c’est une première victoire.
Il faut espérer que ces nombreux embryons d’arbres, enfouis soigneusement dans le sol par cette jeune génération d’élèves, germent, qu’ils ne restent pas qu’un symbole sans lendemain, mais qu’ils mettent en action des citoyennes et des citoyens pour affronter les changements climatiques modélisés, sans attendre les directives des états qui continueront à se réunir pour débattre de ces questions, sans pouvoir agir efficacement, peut être jusqu’à ce que nos arbres fructifient.
Propos recueillis par Julien Cabioch
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