Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène intervenaient le 23 octobre dans le cadre de l’Université d’automne (UDA) du Snuipp Fsu. Après le suppression de l’observatoire de la laïcité par le gouvernement, ils animent « La Vigie de la laïcité ». Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène insistent sur la nécessité de ne jamais tomber dans la facilité des préjugés. C’est la citoyenneté co-construite par tous les acteurs de la société qui pour eux permettra de donner sens au principe de laïcité.
« La laïcité n’est pas à géométrie variable »
Nicolas Cadène fait un rappel bref mais important de l’histoire de la laïcité. Elle découle de la déclaration des droits de l’homme, des lois Ferry, de la loi du 9 décembre 1905 et des lois de ces dernières années qui demandent aux élèves d’être discrets en ne portant pas de signes ostensibles. La laïcité amène une multitude d’interprétations. Mais il n’y a qu’une laïcité en droit et elle n’est pas à géométrie variable. Nicolas Cadène insiste sur le fait que le système laïque français repose sur trois fondements : la liberté de conscience, la séparation des organisations religieuses et de l’état (car c’est de cette séparation que découle la neutralité de ceux qui représentent l’Etat) et l’égalité de tous devant la loi. C’est de cet ensemble de fondements qu’émanent à la fois la garantie du respect de l’autre dans sa croyance ou dans sa conviction mais aussi notre citoyenneté commune qui suppose les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous. Ce sont ces deux dynamiques qui contribuent à l’idéal républicain de fraternité. La laïcité est donc un principe qui permet la déclinaison des valeurs républicaines : liberté, égalité, fraternité.
Crispation sociale et instrumentalisation de la laïcité
Pour Nicolas Cadène, le contexte est à la crispation sur cette question. Il n’y a pas eu suffisamment de pédagogie de la laïcité. « On n’a pas assez parlé de manière concrète de la laïcité dans le débat public, ce qui a laissé le champ libre aux contestations et à l’instrumentalisation notamment politique de ce principe important dans notre pays ». Et c’est un vrai problème surtout dans une période de polarisation de la société. En effet, il y a une sécularisation de la population en France de plus en plus importante y compris dans l’Islam. A l’opposé, une très petite partie de la population réaffirme de manière très forte voire virulente sa religion. Cela crée une crispation. « Et en raison du contexte politique, des différents attentats islamistes, en raison des conflits importés, du peu de relations sociales culturelles, ainsi que de la tension issue du passé colonial… La crispation se fait sur l’islam. « Les tensions sont palpables et l’important est de trouver des solutions ».
Des solutions concrètes
L’observatoire de la laïcité avait fait deux recommandations importantes. Tout d’abord accélérer les expérimentations pour favoriser la mixité sociale et d’autre part former les enseignants.
« De façon concrète dans les écoles, la pratique de la laïcité à l’école, c’est la construction de la citoyenneté. C’est donner les outils aux élèves pour développer leur esprit critique, et leur permettre de se forger leurs propres opinions, leur faire comprendre la diversité des points de vue et des convictions religieuses. Et ça c’est l’émancipation ». Dans le droit les professeurs des écoles (PE) ont une obligation de neutralité. Et les élèves ont un devoir de discrétion. Sur la question des parents accompagnateurs, « il ne devrait pas y avoir de débat. Ils n’exercent pas de service public d’éducation. Ils sont là pour une aide logistique bénévole. Donc ils ne sont pas soumis au devoir de neutralité mais ne doivent pas perturber le fonctionnement de l’école ».
Une histoire de France diverse à rappeler
Il semble aussi important de construire à l’école un sentiment d’appartenance pour tous les élèves. Rappeler que la France est diverse. « Et cela passe par le rappel et le travail sur toutes les personnalités étrangères qui ont participé à la construction de la France, on peut citer Abdelkader, Sédar Senghor et d’autres. Des personnalités d’origine géographique et de confessions différentes. Quand on parle de cette diversité cela touche les élèves qui certainement se sentiront appartenir à la nation ».
Le piège des mots
Jean-Louis Bianco insiste lui, sur « le piège des mots ». Les débats aujourd’hui se déroulent dans un contexte de passion, un contexte tendu. Les mots sont des armes pour discriminer celui qui ne pense pas comme vous. Et à force de répétition dans tous les médias par des penseurs, des politiciens, des journalistes, une thèse se développe et pénètre le cerveau. « On parle de la théorie du grand remplacement. Il y a « zémmourisation » des esprits. Il faut alors résister. Les enseignants sont une force de résistance. Pour s’en sortir il faudrait prendre des mesures importantes. Tout d’abord traiter de la question des parents accompagnateurs avec bon sens dans le cadre de la loi et du droit. Ensuite mener une politique systématique, voulue, pensée, murie de mixité scolaire. Partout où un travail a été mené associant l’école, les collectivités et les associations cela a réussi. Mais on n’en parle pas. La mixité produit de la citoyenneté. Pour que la laïcité ne soit pas uniquement un discours sur la liberté et l’égalité il faut de la citoyenneté. »
Résister !
On parle de communauté ou communautarisme, d’islamisme, d’islamophobie, ou encore d’islamogauchisme. Des mots utilisés pour disqualifier un interlocuteur mais sans jamais être définis. Sans jamais définir ce qui se cache derrière. Il faut selon Jean-Louis Bianco, préciser le sens des mots. « C’est lorsqu’il est érigé comme un principe politique, comme un but que le communautarisme est un danger. Concernant l’islam, ce qui pose problème, c’est l’islam politique. Le choix des mots se pose dans le choix du titre de la loi. On parle de « communautarisme », puis « séparatisme », puis « loi confortant le principe de laïcité », puis « loi permettant de conforter les principes de la république ». Avec beaucoup d’humour, Jean-Louis Bianco s’interroge sur le bien-fondé d’une telle loi car elle alourdit les contraintes. Il s’interroge aussi sur le bien-fondé du contrôle des associations et de la création d’un comité interministériel. « Quarante-deux ministres seraient concernés et se réuniraient deux fois par an. Une administration de la laïcité avec un bureau de la laïcité tout proche d’un bureau des cultes… C’est une manière de noyer les fonctionnaires et les enseignants en particulier sous des tas d’instructions, de circulaires, de documents parfois contradictoires ». Pour Jean-Louis Bianco, il faut s’en tenir au droit. Les enseignants, comme d’autres, sont ceux qui peuvent résister. « Il faut tenir ! » dit-il.
Ovationnés Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène ont répondu aux questions des enseignants en valorisant le travail fait sur le terrain et en incitant chacun à prendre part au débat.
Laaldja Mahamdi