Le 14 octobre, Christian Maroy (GIRSEF et Université́ de Montréal) a clôturé le colloque « l’école primaire du 21ème siècle ». C’est sur l’organisation même des politiques publiques en matière d’éducation que son propos s’est porté. New Management et responsabilisation des acteurs du système face à leurs résultats sont loin de démontrer leur efficacité comme le prouve l’exemple québécois, terrain de recherche de Christian Maroy.
La réforme de la gouvernance des systèmes éducatifs, engagée ces vingt dernières années, s’est présentée comme une nécessité. Elle a permis de faire face aux changements économiques, sociaux et culturels de la société mais aussi à l’évolution des élèves et de la place des parents au sein du système scolaire. Les nouveaux modes de gouvernance s’assimilent à des modes de régulation du système scolaire, « des moyens de coordination et d’orientation des conduites des professionnels, des organisations ou des usagers au sein du système scolaire ».
L’école au service d’une société compétitive sur la scène mondiale
Depuis les années 80/90, la mondialisation des interdépendances économiques pousse les États à défendre leur compétitivité. Et pour ce faire, ils développent des politiques néolibérales telles que la limitation du coût de la main d’œuvre, la flexibilité du marché du travail, des politiques de recherche publique en soutien des entreprises dans le but d’innover toujours plus. Dans ce contexte de concurrence technologique et mondiale, l’investissement dans les ressources humaines devient un enjeu. « Une analyse inspirée de l’économie de l’éducation et de la théorie du capital humain insiste sur le lien entre la croissance, la compétitivité et l’investissement dans les ressources humaines. Ce discours insiste sur la nécessité d’élever le niveau général d’éducation, et d’orienter le système d’éducation vers les compétences les plus demandées par l’économie », explique le chercheur. L’école devient donc le lieu de formation d’un futur citoyen « employable », au service de la compétitivité sur la scène mondiale. Il s’agit donc de développer des compétences en lien avec les technologies nouvelles, telles que les TIC, ou encore la communication, l’adaptabilité et le travail en équipe.
D’un autre côté, l’accroissement des diplômés sur le marché du travail engendre une montée d’anxiété chez les parents des classes moyennes et supérieures. Ils s’inquiètent du devenir de leurs enfants et demandent que la qualité de l’enseignement délivré tienne compte du potentiel et la singularité de ces derniers. C’est ainsi qu’apparaissent des stratégies de scolarisation, scolariser dans le public ou dans le privé, dans telle ou telle école…
De l’égalité des chances à une école inclusive
L’égalité des chances, garante d’une forme de justice sociale, est l’un des principes régissant l’école, particulièrement dans l’école républicaine française. « Chaque enfant doit avoir la même chance d’être instruit et éduqué au meilleur de ses capacités. Dans ce modèle, l’important est que chaque enfant puisse être mis sur la même ligne de départ, et ensuite puisse disposer des mêmes opportunités d’apprentissage par un programme d’enseignement commun, des enseignants également formés, des critères d’évaluation identiques, une forme d’égalité de traitement de chaque élève ». Cette égalité d’accès est formalisée par une école gratuite pour tous et sur tout le territoire.
Pour autant, ce modèle de justice sociale basé sur l’égalité s’est petit à petit transformé en modèle basé sur l’équité, et plus récemment sur l’inclusion. « Je ne reviens pas sur l’apport de la sociologie critique, de Bourdieu notamment, sur la critique de l’égalité des chances, mais je voudrais insister sur les travaux de philosophie morale et politique qui vont faire place à d’autres principes que la seule égalité des ressources dans la conception d’une société juste. Plutôt que de se soucier seulement de la question de la distribution plus ou moins égale des biens entre les citoyens, il faut se soucier de la reconnaissance et de la dignité égale des individus et des différences culturelles au sein de la société ».
Dans la foulée de cette reconnaissance et de l’acceptation des spécificités individuelles, culturelles, ethniques ou religieuses, c’est la montée d’une école dite inclusive qui remet en cause la forme scolaire existante. « Ce principe de valorisation des différences culturelles conduit ainsi à questionner les orientations implicites dans les programmes, les pratiques de l’institution scolaire et permet de critiquer le cas échéant les effets de domination symbolique et culturelle qu’ils peuvent générer, à l’égard par exemple des femmes, des enfants issus de l’immigration, ou de cultures minoritaires… »
L’individu au centre des politiques publiques d’éducation
Dès les années 60, l’évolution de la société va de plus en plus vers l’individualisation. « L’individu est de moins en moins perçu comme inscrit dans des communautés et institutions collectives qui en régulent la conduite. L’autonomie et la responsabilité individuelle sont de plus en plus valorisées ». Cette évolution sociétale n’est pas sans répercussion sur l’école. « Dès les années 60/70 de nombreuses réformes et rénovations des systèmes d’enseignement vont affirmer la centralité de l’élève à la fois comme finalité de l’action éducative. Il s’agit de développer sa subjectivité et son épanouissement personnel, ses qualifications, son instruction et sa socialisation dans la société. Mais aussi comme norme et moyen de cette finalité. L’élève n’est pas le simple réceptacle des savoirs qu’on lui transmet, il les réélabore dans son apprentissage en fonction de son projet et de son passé ».
Du côté des parents, là aussi les choses évoluent. De plus en plus éduqués, ils sont davantage réflexifs et soumettent de plus en plus les choix des enseignants et des écoles à la critique, notamment en raison des connaissances qu’ils peuvent avoir sur la pédagogie ou l’éducation. Ils sont aussi demandeurs de réponses qui soient adaptées à la singularité de la situation familiale, à la personnalité spécifique de leur enfant, à son parcours… La forme scolaire qui tendait à donner une réponse standard à tous les élèves se voit ainsi contestée, ne parvenant pas à s’adapter à la diversité des situations et à la singularité des élèves. Ces demandes de plus en plus exigeantes des parents se traduisent par des politiques scolaires qui mettent à l’agenda la quête d’une réussite scolaire qui fasse droit aux différences entre les élèves, et prenne pour acquis de répondre de façon diversifiée à des demandes et besoins des élèves de plus en plus variés.
Ces différentes évolutions alimentent les discours prônant une réforme de l’école. Un mouvement mondial de réformes qui va viser à adapter l’école au nouveau contexte et aux nouvelles finalités de l’école, la réussite de tous, émerge. « L’école doit se réformer pour assurer à tous les élèves un bagage de savoirs et de compétences qui leur permettent de s’insérer et d’évoluer professionnellement, de s’affilier à une société démocratique et de se réaliser comme un individu autonome » affirme l’OCDE selon Christian Maroy. Ces réformes s’inscrivent dans un contexte de « théories du changement ». Le New management public vise la rentabilité de l’action publique. Des chercheurs américains prônent des réformes de grande échelle « ne s’arrêtant pas à la porte de la classe » et la promotion des pratiques probantes dans les classes pour améliorer l’efficacité pédagogique. Ce mouvement mondial de réformes possède trois caractéristiques. La standardisation, avec un curriculum standardisé et une évaluation externe de celui-ci, une focalisation sur les compétences de base – littératie et numératie et une responsabilisation des résultats et performances. Ainsi, en échange de leur autonomie, les écoles doivent se responsabiliser et rendre compte avec des objectifs quantitativement et qualitativement mesurables par le pouvoir politique. Mais cette politique dite d’accountability n’est pas forcément efficace.
L’exemple québécois
Au Canada, c’est sous la forme du GAR – Gestion Axée sur les Résultats – que s’applique la politique d’accountability. Elle vise une augmentation de la diplomation et de la qualification avant 20 ans, l’amélioration de la maîtrise de la langue française, l’amélioration de la persévérance scolaire et de la réussite scolaire chez certains groupes cibles et l’amélioration de l’environnement sain et sécuritaire. La GAR œuvre à la réussite de tous, favorise la démocratie scolaire dans « un contexte de transparence, de responsabilisation et de flexibilité quant aux moyens utilisés pour atteindre les buts ».
Mais les résultats ne sont pas des plus probants. « Du point de vue des structures de gouvernance, la GAR marque au Québec un renforcement de l’État. Simultanément, dans la dernière période particulièrement, après 2016, on note un renforcement du pouvoir des parents, à la fois dans les instances locales de participation et décision, et par le développement de leur pouvoir de choix d’écoles et l’accentuation de la concurrence ».
Du côté des apprentissages, les résultats de l’étude menée par Christian Maroy ne montrent pas d’amélioration des résultats des élèves. Les chiffres affichés par l’institution sont loin de refléter la réalité de l’impact de cette nouvelle gouvernance. « La GAR reste une politique contestée, controversée sur le terrain, une politique qui distancie les groupes professionnels au sein des écoles. La légitimité de la GAR est faible chez les enseignants, claire chez les directions. Cette politique pourrait renforcer la distance entre enseignants et cadres scolaires alors que paradoxalement, les stratégies de mise en œuvre officielles de la GAR en appellent à la participation des enseignants au sein de l’équipe-école ». Autre point important, pour les répondants à l’enquête du chercheur, la GAR favoriserait la responsabilisation des enseignants et directions dans la réussite des élèves.
Le chercheur conclue sur l’orientation que devraient prendre les politiques publiques d’éducation. « À l’opposé de cette approche instrumentale de la GAR, il me semble souhaitable d’ouvrir l’autonomie de réflexion à d’autres valeurs et finalités que le rendement sur le plan cognitif de l’instruction. Il y a un risque réel de perte de créativité et d’innovation sur le plan des actes techniques du métier avec la mise en conformité face aux demandes de la hiérarchie ou des experts pédagogiques, légitimées par la recherche ».
Lilia Ben Hamouda
Sur le livre de C Maroy voir cet article : L’école à l’épreuve du pilotage par les résultats
Le livre de C Maroy :
Christian Maroy, L’école québécoise à l’épreuve de la gestion axée sur les résultats. Sociologie de la mise en oeuvre d’une politique néo-libérale. Hermann éditeur, ISBN : 9791037004888.