La conférence d’ouverture du colloque « école primaire du 21ème siècle » traitait de la transformation du métier de professeur des écoles. Lors de la conférence sur « les transformations du métier de professeur des écoles perçues à partir de l’investissement de la formation par les étudiants », Patricia Tavignot et Jean-François Thémines ont présenté les résultats d’une recherche longitudinale de quinze ans. Ce qui les amène à dessiner le portrait du professeur des écoles en caméléon…
Un collectif professionnel mis à mal par les réformes de la formation
Patricia Tavignot, du laboratoire CIRNEF de l’Université de Rouen et Jean-François Thémines, du laboratoire ESO-Caen de l’Université de Caen, ont présenté les résultats d’une enquête statistique conduite en 2007, 2012 puis 2015 auprès d’étudiants de deux IUFM, transformés en ESPE entre-temps. Il s’agissait pour ces deux chercheurs de comprendre comment les étudiants, professeurs et professeures des écoles en devenir, se représentaient, en fin de formation, les compétences qu’ils avaient construites pour exercer leur métier. Pour ce faire, ces derniers étaient soumis à un questionnaire en fin de formation – questionnaire qui été réajusté et adapté aux évolutions du référentiel de compétence entre 2007 et 2015.
L’un des aspects de la professionnalité des professeurs des écoles (PE) étudié par les chercheurs est la dimension collective du métier. Cette dimension, qui relève d’une contrainte organisationnelle prescrite par les différents référentiels, n’est pas d’emblée dans la culture professionnelle. Ainsi, il apparaît nettement que les réformes de la formation des professeurs et professeures des écoles ont des effets sur la représentation du métier. Par exemple, en 2007, les sondés reconnaissaient une forte adhésion à la dimension collective du métier. En 2012, cette adhésion est en net recul. Jean-François Thémines l’explique par une forme d’opposition au discours institutionnel, une concentration des préoccupations des étudiants vers l’obtention du cours et, surtout, la diminution drastique des départs en stage qui ne leur permet pas de se confronter à la réalité du travail en collectif dans une école. En 2015, les chercheurs notent un rejet et un délaissement massif des différents espaces de collaboration collective proposés par l’institution et un investissement d’espaces informels mais aussi virtuels. Ces différents constats ont pour conséquence un affaiblissement de la formation et de la difficulté à faire fonctionner dans les écoles les instances et groupes de travail formels. Et, pour finit, lors des stages en responsabilité, les futurs PE constatent un décalage entre les discours institutionnels sur l’aspect collectif du métier et la réalité du terrain.
La recherche reconnue comme nécessaire à la formation des PE
Autre aspect étudié, l’évolution de la place de la recherche dans la formation initiale des professeurs et professeures des écoles. 2006 a vu apparaître un nouveau cahier des charges de la formation : « La transmission des pratiques qui réussissent par des collègues plus expérimentés constitue une dimension fondamentale de la formation professionnelle. Cependant, l’expérience du terrain ne suffit pas pour apprendre le métier de professeur. En formation professionnelle initiale, les maîtres doivent être initiés à la recherche scientifique, à ses résultats et à ses applications dans l’enseignement. Les pratiques didactiques et pédagogiques doivent se nourrir de l’évolution des connaissances ». En 2010, la masterisation a, quant à elle, donné la part belle à la recherche avec un bloc de formation à et par la recherche sur les deux années de formation. Et, à partir de 2013, les professeurs et professeures des écoles stagiaires ont tous eu a réaliser un mémoire de master qui devait articuler une problématique, un cadre théorique et une méthodologie de recherche en relation avec une question pédagogique afin d’être titularisés. L’évolution de la perception de la place de la recherche dans le métier est donc intrinsèquement liée au changement du cadre national, à la masterisation de la formation. En 2015, elle semble légitime même si le lien entre ce qu’elle révèle et les pratiques n’est pas clairement identifié par les PE.
Une nouvelle figure du PE, celle du caméléon
« Les résultats des trois enquêtes montrent que les changements d’organisation de la formation depuis 2006 ne sont pas sans effet sur les représentations du métier auquel elle prépare » conclut Patricia Tavignot. Ainsi, apparaissent plusieurs figures du métier qui parfois se croisent et parfois s’opposent : le praticien obéissant, le praticien réflexif, le maître construit, l’acteur social, le praticien pédagogue et le praticien innovant. « Cette pluralité de figures rend compte de l’embarras des étudiants pour construire une vision structurée du métier pendant la formation initiale suivie en 2012 et 2015. Entre prescriptions multiples et diversité des expériences constituées auprès de professeurs et professeures qui exercent dans des contextes notamment territoriaux mais aussi pédagogiques différents, la formation pourrait être propice à l’émergence d’une figure nouvelle, celle du caméléon, adaptable, flexible… Les effets de changements actuels ou à venir sur des structures de représentations déjà fortement déstabilisées sont par conséquent difficilement prédictible ».
Lilia Ben Hamouda