Les débats devaient durer deux journées. Il aura suffi de l’après-midi du 29 septembre pour que la majorité adopte la loi Rilhac. Celle-ci fait entrer les directeurs d’école dans la chaine hiérarchique sans leur donner aucun moyen supplémentaire pour exercer leur mission. Le texte doit maintenant être voté par le Sénat pour entrer en application.
Une loi qui vient de loin
Hiérarchique. C’est le mot clé de tout le débat du 29 septembre. La majorité promettant que son texte ne crée aucune hiérarchie et l’opposition affirmant le contraire. « Je n’ignore pas la peur de créer un échelon hiérarchique. C’est tout l’inverse. Plus le directeur pourra prendre d’initiatives, plus on aura d’actions au plus près du terrain », affirme JM Blanquer, avant d’appeler à adopter la loi. Pour lui il s’agit d’une « pleine reconnaissance » du directeur qui aura une « fonction de stimulation de l’équipe pédagogique ». En même temps le ministre fait allusion au modèle québécois où les directeurs sont les vrais managers de leur école.
Cécile Rilhac arrive au bout d’un chemin qui a commencé en 2019 avec l’amendement Rilhac à la loi Blanquer. Impulsé par JM Blanquer, ce texte créait des « établissements publics des savoirs fondamentaux » mettant plusieurs écoles sous la direction d’un principal de collège. Cela échoua du fait de la mobilisation des enseignants et des maires. Seconde tentative avec la première version de sa loi qui aboutit, après un déshabillage intégral inédit à l’Assemblée, à un texte qui sera totalement rhabillé par le Sénat. La majorité craignait encore la mobilisation des professeurs. Le 29 septembre c’est ce texte du Sénat qui revient en seconde lecture à l’Assemblée après de substantielles modifications en commission.
La question hiérarchique
L’article 1 définit l’emploi de directeur. » Il organise les débats sur les questions relatives à la vie scolaire. Il bénéficie d’une délégation de compétences de l’autorité académique pour le bon fonctionnement de l’école qu’il dirige. Il dispose d’une autorité fonctionnelle permettant le bon fonctionnement de l’école et la réalisation des missions qui lui sont confiées ». Chaque directeur recevra de l’IEN une délégation de compétences précise qui lui donnera l »autorité sur les enseignants de l’école dans le cadre de la délégation.
Pour C Rilhac, « il n’est aucunement objet d’instaurer une autorité hiérarchique » mais « le directeur a autorité au sens administratif du terme, comme s’il pouvait y avoir un autre sens.
L’opposition PS et LFI a déposé des amendements pour retirer l’autorité fonctionnelle du texte et pour rétablir une phrase qui était présente dans la version du Sénat qui affirme que le directeur n’est pas le supérieur hiérarchique des enseignants.
« Ce texte ne correspond pas aux attentes des directeurs qui veulent une aide administrative. Nous sommes opposés à cette notion d’autorité fonctionnelle qui sous entend que le fonctionnement collegial n’est plus d’actualité », dit S Tolmont (PS). S Rubin (LFI) voit dans la loi « une face » car « au lieu de répondre aux problèmes des directeurs elle les amplifie ». « Puisque vous mettez dans les motifs de la loi que le directeur n’ets pas le supérieur hiérarchique, pourquoi ne pas le mettre dans la loi ? » M Larive (LFI) expose dans une motion de rejet à quel point la loi instaure un ordre managerial dans l’école. M Victory (PS) rappelle que les syndicats ne demandent pas cette autorité fonctionnelle. Même une députée LREM, T. Degois, demande d’inscrire dans la loi que le directeur n’est pas le supérieur des enseignants ou d’expliquer pourquoi. Pour Elsa Faucillon (PCF) « il y a un ministre qui veut une autorité hiérarchique et vous avez trouvé cette formule de compromis ».
Au final les amendements PS et LFI sont rejetés et l’article 1 est adopté à une large majorité associant la majorité présidentielle et la droite.
Un directeur toujours sans moyens
L’article 2 définit l’emploi de directeur. « Le directeur d’école est nommé parmi les personnes inscrites sur une liste d’aptitude établie dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Ne peuvent être inscrits sur cette liste d’aptitude que les instituteurs et professeurs des écoles justifiant de trois années d’exercice dans ces fonctions et ayant suivi une formation à la fonction de directeur d’école… Le directeur d’école propose à l’inspecteur de l’éducation nationale, après consultation du conseil des maîtres, des actions de formation spécifiques à son école. Le directeur d’école bénéficie d’une décharge totale ou partielle d’enseignement. Cette décharge est déterminée en fonction du nombre de classes et des spécificités de l’école, dans des conditions, fixées par le ministre chargé de l’éducation, qui lui permettent de remplir effectivement ses fonctions. Le directeur d’école peut être chargé de missions de formation ou de coordination. L’ensemble de ses missions est défini à la suite d’un dialogue avec l’inspection académique. Le directeur administre l’école et en pilote le projet pédagogique. Il est membre de droit du conseil école-collège mentionné à l’article L. 401-4. Il ne participe pas aux activités pédagogiques complémentaires de son école, sauf s’il est volontaire ».
Pour bien comprendre ce texte il faut le comparer avec la rédaction du Sénat. La majorité a retiré du texte tout ce qui pouvait être contraignant pour l’Etat. Un bon exemple est la formation du directeur qui n’est plus obligatoire ni inscrite dans le temps (une formation tous les 5 ans par exemple). La loi précise que tous les PE suivront une formation à l’emploi de directeur et il n’est plus mention d’une formation spécifique. La majorité a aussi écarté l’idée de formation certifiante.
Un autre exemple est le régime des décharges. Jusque là les décharges sont données en fonction du nombre de classes. Cela donne un droit. Ce n’est plus le cas. Dorénavant la décharge est donnée » en fonction du nombre de classes et des spécificités de l’école » ce qui redistribue les cartes. Cette nouvelle répartition laisse de la marge aux Dasen pour décharger différemment Pierre et Paul, la part donnée à Paul pouvant être prise à Pierre…
L’article 2 bis est un autre exemple. » Lorsque la taille ou les spécificités de l’école le justifient, l’État et les communes ou leurs groupements peuvent, dans le cadre de leurs compétences respectives, mettre à la disposition des directeurs d’école les moyens permettant de garantir l’assistance administrative et matérielle de ces derniers ».
Il s’agit de rien de moins que l’aide administrative, une demande aussi fondamentale pour les directeurs que les décharges. Le Sénat avait écrit que l’aide administrative serait donnée par l’Etat. En inscrivant au conditionnel l’Etat et les communes, on ne sait plus qui finalement est responsable de quoi. Gageons que l’Etat laissera faire les communes qui le voudront et qu’on aura au final de très fortes différences entre les écoles.
L’article 3 crée des « référents » dans les académies pour aider les directeurs. L’article 5 décharge les directeurs des élections de parents d’élèves. » L’élection des représentants des parents d’élèves au conseil d’école peut se faire par voie électronique sur décision du directeur d’école, après consultation du conseil d’école ». M Larive LFI a eu beau dire que 15% des parents ne sont pas des utilisateurs d’internet (donnée INSEE) c’est un cadeau fait aux directeurs qui ne coute pas cher. Dans le même esprit le texte prévoit que le plan pour parer aux risques majeurs puisse être fait par l’académie ce qui décharge aussi le directeur.
Une loi qui ne répond pas aux demandes
Il faut rappeler la consultation de 2019 organisée par le ministère de l’éducation nationale. Elle montrait que seulement 11% des PE et directeurs demandaient un statut pour le directeur. Par contre 90% demandaient une revalorisation, une aide administrative et des décharges. Aucune de ces demandes n’est traitée. Seul le statut est modifié.
D’où la déclaration finale de Victory (PS) : « Deux années après le décès de Mme C Renon plutôt qu’apporter une réponse, des moyens nécessaires aux directeurs, vous organisez un passage en force contre la profession et contre l’école publique. A votre vision de management autoritaire nous ne renonçons pas à voir prospérer un fonctionnement horizontal et démocratique ».
La loi a finalement été adoptée en ces termes par 65 voix contre 15. Ont voté contre le texte PS et LFI. Ont voté pour la majorité (LREM, Agir, Modem), l’UDI et Les républicains. Cela bien que M Minot (LR) ait décrit ainsi l’école : « gangrenée par le communautarisme et le multiculturalisme l’école de la République est en danger. Sa mission de transmission des connaissances est remise en cause. Trop de nivellement par le bas ».
Et maintenant ?
Dans l’immédiat le texte n’entre pas en application. La loi doit être adoptée dans les mêmes termes par le Sénat ce qui est possible vu que les députés LR ont voté le texte.. Elle doit y passer le 20 octobre. La loi devrait entrer en application pour la rentrée 2022.
Que va t-elle changer ? Elle inclut les directeurs dans la chaine hiérarchique. Les directeurs vont devoir accepter une délégation de compétences dictée par leur IEN qui va leur imposer des missions nouvelles. Cela se traduira par un controle plus étroit de l’IEN et du travail supplémentaire. On peut prévoir que ce que l’IEN n’a pas réussi à obtenir des enseignants il tentera de l’avoir via le directeur. Et c’est lui qui aura à imposer ces injonctions aux enseignants.
En aura t-il les moyens ? Il n’aura ni les droits ni les outils pour imposer facilement son autorité. C’est notamment ce qu’explique C Roaux dans son livre qui va paraitre aux PUF. Dans le Café pédagogique, C Roaux dit que » Si la loi Rihlac a le mérite de remettre sur le devant de la scène la question du pilotage de l’école primaire, il est à craindre qu’elle ne modifie pas réellement le quotidien des directions d’école et leur pouvoir d’action… Même avec une autorité fonctionnelle, le directeur devra se débrouiller avec ce dont il dispose, c’est-à-dire pas grand-chose ».
Car la loi ne donne au directeur aucun moyen matériel supplémentaire. Elle ne fixe pas de revalorisation. Elle permet de personnaliser le régime des décharges. Elle noie le poisson en ce qui concerne l’aide administrative. Et ce n’est pas le directeur seul qui pourra se battre pour décrocher les moyens nécessaires. Sans décharge et sans moyens matériels la mission d’animation et de pilotage des directeurs ne sera pas plus assurée.
Une petite minorité de directeurs attendait une loi qui fasse des directeurs de simili chefs d’établissement. Il est vrai que l’autorité fonctionnelle des directeurs n’est pas délimitée par la loi. Mais les IEN souhaiteront-ils se décharger de leur pouvoir de notation ou de sanction des professeurs ? Probablement pas. La loi ne crée pas non plus un corps de directeur. La délégation de compétences peut être retirée à tout moment par l’inspecteur et le directeur se retrouver simple PE. Aussi gageons que la position des directeurs va devenir encore plus difficile et que rapidement le manque de directeurs va s’aggraver.
François Jarraud