Lancée en 2017, la politique de dédoublement des classes de CP et CE1 de l’éducation prioritaire est régulièrement mise en avant par JM Blanquer. C’est aussi la vitrine sociale du gouvernement qui y a consacré des moyens importants : près de 11 000 classes ont été créées depuis 2017. Le bilan que vient de publier la Depp montre pourtant peu de progrès dans les résultats. Si les élèves des classes dédoublées font de véritables progrès en CP et en CE1, ceux ci ne se détachent pas vraiment entre classes dédoublées et classes à composition identiques mais non dédoublées. L’écart entre l’éducation prioritaire et les écoles hors éducation prioritaire ne s’est pas réduit. Compte tenu de son coût, une autre politique éducative s’impose.
Une politique phare
Lancée en 2017 la politique de dédoublement des classes de Cp et CE1 en éducation prioritaire a supprimé les politiques précédentes comme les « plus de maitres que de classes ». Depuis 2017, 10 800 classes ont été ouvertes. Et on peut estimer le coût de cette politique à plus de 500 millions soit deux fois la revalorisation accordée aux enseignants.
L’étude publiée par la Depp, à laquelle collaborent Pascal Bressoux et Thierry Rocher, évalue cette politique sur plusieurs années ce qui est tout à fait nouveau. Une première évaluation était parue en janvier 2019. Elle avait montré des résultats décevants.
Si l’on en croit un communiqué du ministère, « l’étude… met en évidence des effets positifs sur la conduite de la classe, sur le sentiment des enseignants de pouvoir aider leurs élèves et sur les pratiques de différenciation. Concernant les acquis des élèves, l’effet sur deux ans (CP puis CE1) est positif : les élèves de classes dédoublées en REP+ ont, en fin de CE1, des résultats supérieurs aux élèves issus de classes ayant des caractéristiques similaires mais n’ayant pas bénéficié de la réforme. Ces effets sont statistiquement significatifs : cela correspond à une diminution de 16 % de l’écart observé en début de CP entre le groupe REP+ et le groupe hors Éducation Prioritaire en français et de 38 % en mathématiques. Le dispositif favorise donc la réduction des inégalités sociales à l’école ».
Quand les classes dédoublées ne dont pas mieux que leurs équivalents non dédoublées
Malheureusement l’analyse des données de l’étude est loin de confirmer cet enthousiasme. Comme en 2019, il y a un écart important entre le communiqué de presse et les données.
On le voit déjà l’évolution des taux de réussite aux items communs entre le début CP et la fin de CE1.
Comme le dit l’étude de la Depp, « Entre le début de CP et la fin de CE1, les évolutions sont plutôt parallèles entre les 3 groupes, mais les progressions sont un peu plus fortes en REP+, ce qui peut être interprété comme un effet favorable de la réduction de la taille des classes, qui y a été pratiquée. Ainsi, en français, les REP+ rattrapent leur retard initial entre le début du CP et la fin du CE1 par rapport aux Proches REP+ pour arriver à des performances similaires à ces derniers (41,6 % pour les REP+ contre 42,1 % pour les Proches REP+ en fin de CE1, soit un écart de 0,5 point contre 1,4 point au début de CP). En mathématiques, les élèves des REP+ présentent des résultats significativement supérieurs à ceux du groupe témoin (47,3 % en REP+ contre 45,5 % dans les Proches REP+), alors qu’il n’y avait aucun écart en début de CP. »
En français l’écart entre les élèves dédoublés de Rep+ (en rouge) et ceux des classes composées d’élèves de même origine sociale mais hors Rep+ (les proches Rep+ en noir) s’est annulé en français et les élèves des classes dédoublées sont un peu meilleurs en maths. Mais les écarts sont infimes ou inexistants. On a eu beau doubler le nombre de professeurs en Rep+ on n’a pas obtenu de résultats vraiment meilleurs que dans les classes où il y a un seul professeur pour un groupe double. L’écart est minime au regard des investissements consentis : près de 11 000 postes.
L’écart entre les élèves des classes hors éducation prioritaire et ceux de Rep+ n’a pas diminué. La promesse sociale de réduire l’écart entre favorises et défavorisés n’est pas davantage tenue. Du CP au CE1 en maths et en français cet écart se creuse.
Des résultats moins bons en fin de CE1
De plus, comme le dit l’étude, « En français, pour les élèves les plus en difficultés, comme pour les scores moyens étudiés plus haut, les élèves de REP+ tendent à légèrement réduire leurs différences avec les Proches REP+ en cours de CP, mais cette amélioration ne se confirme pas en fin de CE1 : de 22,4 % en début de CP, la proportion d’élèves en difficultés passe à 21,5 % en fin de CP et remonte à 22,3 % en fin de CE1. De façon cohérente, pour les élèves les plus performants, c’est la tendance inverse qui se produit : une hausse de la proportion d’élèves parmi les plus performants en REP+ jusqu’en début de CE1 avec une baisse en fin de CE1. En mathématiques, la réduction de la taille des classes semble avoir un effet plus fort pour les élèves les plus en difficulté. En effet, les élèves de REP+ les plus en difficultés sont moins nombreux proportionnellement aux Proches REP+ à la fin du CE1 après une baisse continue depuis le début du CP : de 21,4 % au départ, la proportion d’élèves en difficulté passe à 18,5 % en fin de CP, 18 % en début de CE1 et 15,9 % en fin de CE1 ».
Regardons justement cette évolution.
Si en maths la situation est légèrement meilleure pour les élèves des classes dédoublées (en rouge) par rapport aux équivalentes non dédoublées (en noir), en français c’est l’inverse. Mais globalement les variations restent très faibles et l’écart avec les élèves hors éducation prioritaire se réduit à peine en français alors qu’il augmente en maths.
Si l’on s’intéresse à l’effet cumulé des dédoublements, on observe bien peu de progrès chez les élèves des classes dédoublées.
En maths les élèves des classes dédoublées arrivent à dépasser un peu ceux des classes non dédoublées, l’écart entre les deux augmentant légèrement tout au long de l’année. En français les élèves des classes dédoublées arrivent tout juste au niveau des non dédoublées ! Globalement l’écart entre les élèves socialement défavorisés et ceux plus favorisés des classes hors éducation prioritaire a augmenté dans les deux disciplines.
La faute aux professeurs ?
Les auteurs ont vite fait de trouver le facteur qui explique ces résultats décevants dans une étude portant sur l’observation des professeurs et des élèves dans les classes dédoublées. « On observe des modifications significatives du point de vue des élèves ; dans les classes à effectif réduit, ceux-ci bénéficient de plus d’interactions individuelles avec l’enseignant, ont des comportements plus adaptés vis-à-vis du travail scolaire et s’engagent davantage dans les activités scolaires. D’autre part, les résultats indiquent l’absence de modifications majeures dans les pratiques enseignantes telles qu’elles sont appréhendées à travers les observations mises en oeuvre », écrit la Depp.
Pourtant l’étude montre un important effort de formation en Rep+ en faveur des enseignants avec notamment un taux d’accompagnement de ces enseignants supérieur à la moyenne.
Pour les auteurs, « il semble que l’amélioration des performances des élèves, observée lors de la première année de mise en place de la réduction d’effectif en REP+ au CP, si elle se confirme en REP après la mise en oeuvre de la réduction, provienne surtout de l’effet intrinsèque de la réduction qui entraîne des modifications de ce que font et de ce dont bénéficient les élèves. Lorsqu’ils sont moins nombreux en classe, ils sont plus visibles, plus sollicités et bénéficient d’interactions individuelles plus nombreuses avec l’enseignant puisque celui-ci les répartit sur moins d’élèves ».
S’il est certain que la réduction des effectifs a amélioré le climat de classe et les relations entre les professeurs et les élèves, l’amélioration du niveau reste à démontrer. A quelques mois des élections, la politique sociale emblématique du gouvernement rend peu.
C’est peut-être parce que les élèves de Rep+ ne sont pas que des élèves. Ce sont aussi des enfants de parents pauvres. Selon l’Insee si l’on compte 15% de pauvres dans le pays, la pauvreté touche 21% des enfants. Certains sont à la rue. D’autre sont ballotés d’hôtel en hôtel. D’autres encore vivent très mal. Les réformes éducatives poursuivies depuis 2017 ont réduit leur nombre de journées de classe en CP et CE1 et alourdi ces journées. Leurs écoles sont plus touchées que d’autres par le manque d’enseignants. Parallèlement les conditions de vie de leurs parents se sont dégradées depuis 2017. Et on ne voit pas que le système éducatif se soit davantage adapté à eux après le CE1.
Ce que nous disent ces évaluations internes à l’Education nationale c’est que eux qui s’intéressent à l’avenir des enfants pauvres doivent dégager une autre politique éducative.
François Jarraud