« Le temps est largement venu de passer des mobilisations défensives aux propositions offensives ». Face à la crise scolaire mais aussi sociale, politique et écologique, Christian Laval et Francis Vergne dressent dans « Education démocratique » (La Découverte), le programme de ce que devra être l’école de demain. Une école où l’enseignement est conçu pour préparer l’égalité sociale et une gouvernance réellement démocratique tout en assurant la durabilité de la planète. L’ouvrage conduit une réflexion sur ce que devrait être l’égalité en éducation et les moyens pour l’assurer. Il définit ce que serait une culture commune pour une société démocratique. Et il dessine les grands traits d’une « pédagogie instituante ». L’ouvrage est très précis et se présente comme un programme. Mais on y verra plutôt une vision large de l’école, de même nature que celle de Condorcet, avec des emprunts à Freinet, à Freire, à Gramsci. Pour les auteurs cela crise écologique va rendre cette école indispensable. Leur livre a déjà l’avantage de redonner de l’espoir à notre Ecole et notre société.
Un nouveau paradigme éducatif
« Cette éducation démocratique, il nous faut l’inventer », nous disent les auteurs en introduction. « On peut énoncer le sens général de la transformation désirable : aller vers société qui élargira les capacités politiques de ses membres, assurera leur égalité sociale et garantira le respect des milieux de vie ». Voilà les trois objectifs posés avant les (5) principes à venir. Pour les auteurs, le moment est venu . « La double crise de l’éducation, à la fois sociale par le creusement des inégalités entre les classes et politique par la perte de sens du collectif, ne sera pas résolue par des remèdes autoritaires et conservateurs, elle ne peut être surmontée que par une démocratie radicale ». C’est cet espoir qui va alimenter la réflexion qui va suivre pour définir ce que devra (ou devrait ?) être une éducation démocratique. Ajoutons que pour eux tout se tient : si l’éducation est en crise c’est que le fonctionnement de l’école ne peut pas se séparer des défaillances de la société et du régime politique.
Cette nouvelle éducation, les auteurs, sociologues, la définissent à travers 5 principes : la liberté académique, la recherche de l’égalité d’accès au savoir, la définition d’une culture commune, une pédagogie instituante et l’autogouvernement de l’école.
Quelle culture commune ?
L’égalité en éducation est bien sur un grand défi pour notre système éducatif si inégalitaire. « Cette égalité ne peut progresser qu’a condition d’une reconnaissance de la réalité des classes sociales et de toutes les formes d’inégalité dans la société ». Les auteurs dénoncent les explications individualisantes mises en avant dans l’école, notamment depuis l’appel aux neurosciences. Pour l’égalité il faut bien sur agir sur « le cadre économique social et culturel des familles », ce qui va bien au delà des bourses largement insuffisantes. Il faut en finir avec la ségrégation scolaire, ce qui , dans un pays où le privé scolarise 20% des élèves, est un défi.
Surtout les auteurs posent la question de la pédagogie de l’égalité. Comment transformer le rapport social des élèves au savoir ? Pour eux, « le sens qu’y mettent les élèves est largement déterminé par l’anticipation d’un avenir social et professionnel possible ou d’ailleurs impossible ». Moins d’injustice social devrait avoir un impact sur le rapport au savoir à condition de ne pas brider l’horizon culturel des élèves d’origine populaire. Une revendication qui rencontrera de l’écho en enseignement professionnel.
Il est donc question de culture et de culture commune. Christian Laval et Francis Vergne considèrent le socle commun comme une invention libérale dans une école dominée par le souci de la productivité. Pour eux la culture scolaire est « un projet historique et la projection d’un idéal ». Cette culture scolaire commune doit préparer à la gestion démocratique mais aussi au défi écologique. « La culture commune que suppose la démocratie à venir doit intégrer ces trois dimensions : l’autonomie individuelle, l’autogouvernement populaire , la responsabilité envers la terre ». Cette culture ne doit pas se piéger dans une culture nationale. Elle doit être « plurielle et cosmopolite ». Elle n’est commune qu’à cette condition. Les auteurs montrent l’intérêt pour une école démocratique de l’enseignement de l’histoire. Ils expliquent le peu d’appétence pour la littérature par le rôle qu’elle joue dans l’institution scolaire. Ils veulent « déhiérarchiser » les savoirs.
Quelle pédagogie pour l’égalité ?
Mais quelle pédagogie pour cette école démocratique ? Les auteurs mettent dos à dos les partisans de la tradition et ceux des méthodes actives accusés d’un « scolarisme qui masque la fonction réelle de l’école ». Ils veulent s’appuyer sur des pédagogies « sociales au sens où elles cherchent à développer une responsabilité envers le groupe et envers la société, démocratiques au sens où elles développent la participation effective des élèves à l’élaboration de la règle collective ». Aussi parlent ils de « pédagogie instituante ».
On pense bien sur à Freinet, à Oury et la pédagogie institutionnelle mais les auteurs en appellent plutôt à Dewey. Les auteurs rejettent l’idée de contraintes disciplinaires sans pour autant nier le rôle du maitre. « Ce qui fait autorité en pédagogie n’est pas la hiérarchie de pouvoir, la soumission aux dogmes , la croyance dans la souveraineté mais ce qui est le plus vrai, ce qui peut être démontré en raison ». L’éducation démocratique repose sur la puissance de l’argumentation censée entrainer les jeunes.
Une nouvelle école fruit de la transition écologique
On retrouve la même inspiration dans la gestion des écoles qui doit être confiée à une assemblée générale des élèves, parents et professeurs. Assemblée où la présence est obligatoire. Les écoles s’autogouvernent selon ce principe dans un « gouvernement démocratique d’établissement ». « Il ne peut y avoir de communauté scolaire tant que l’établissement est commandé par du haut ».
Une semaine après le discours d’E Macron à Marseille, on mesure le chemin à parcourir entre le réel et cet appel à une éducation démocratique. Car c’est bien un appel. « L’espérance en un autre monde possible est la condition pour que l’enseignant soit entendu par les jeunes qui auront à opérer ce qu’on appelle une « transition écologique » qui est en réalité une mutation radicale dans les manières de produire et de vivre ». C’est là que se situe pour les auteurs le moteur de cet avènement d’un nouveau monde scolaire. « Le réel impose un changement radical ».
François Jarraud
Christian Laval, Francis Vergne, Éducation démocratique, La révolution scolaire à venir, La Découverte, ISBN 9782348072246, 20€.