Les vacances sont encore plus inégalitaires que les périodes scolaires, c’est ce qu’en disent les chercheurs qui se penchent sur cette période de l’année pendant laquelle l’école est « absente » de l’espace social. Le rituel de la rupture est d’autant plus important pour les enfants et leurs parents qu’il est aussi largement soutenu par les enseignants et plus largement par l’institution scolaire. En proposant des « vacances apprenantes », le ministère tente de colmater cette brèche dans le principe de l’égalité porté par l’école. Il faut reconnaître qu’historiquement l’été était aussi celui des travaux des champs et celui des colonies de vacances et autres centres aérés. C’est en 1985 qu’une question émerge dans l’espace social et celui de la recherche : Les temps de loisirs peuvent-ils être formateurs ? Peut-on utiliser les vacances ou les lieux de vacances pour aborder l’informatique ?
Le numérique en vacances
En 1985, à partir du plan IPT, il est proposé que les établissements scolaires équipés de matériels informatiques puissent ouvrir ces espaces à d’autres publics en dehors du temps scolaire. Il s’agit de développer une certaine connaissance de l’informatique dans la société. À ce mouvement issu de l’Éducation Nationale s’ajoutent des initiatives privées. L. Bachman, A. Ehrenberg, P. Yonnet évoquent la place de l’informatique au Club Méditerranée, autrement dit ils interrogent cette pratique qui introduit une activité du monde professionnel dans un espace-temps consacré aux loisirs et aux vacances. Ces deux propositions nous amènent à penser que de manière récurrente, les temps de vacances font l’objet d’interrogations dont l’éducation populaire s’est emparée depuis longtemps, mais dont le système scolaire est resté en marge. Si nombre d’enseignants ont été aussi animateurs et directeurs de centres de vacances, nombre d’élèves ont aussi fréquenté ces centres et lieux de loisirs (CLSH…) non pas en vue d’apprendre, mais de faire des loisirs des temps « constructifs ». Jean Houssaye a été un des rares chercheurs à s’intéresser à ces temps comme le signale Dominique Glasman qui lui-même a mené ses recherches sur et « aux marges de l’école » et il met en évidence la manière dont ces « autres moments/lieux » que l’école participent des ambitions de celle-ci. Et pourtant, les fameuses « colonies de vacances » tendent à se réduire de manière importante, voire de disparaître.
Dans les familles, les écrans, en particulier de la télévision et de l’ordinateur (tablette, smartphone) ont parfois remplacé les activités proposées sur temps de loisir aux enfants. À la grande différence des activités proposées par des associations, des collectivités et autres, ces situations ne sont pas ou peu accompagnées. Pour le dire autrement, des parents ne pouvant faire face à ces temps de vacances tentent de trouver des « dérivatifs ». Les travaux sur les loisirs en temps de vacances ont montré des très grandes inégalités entre les enfants. Les vacances renforceraient les inégalités sociales et scolaires. Or la présence de moyens numériques à la maison peut faire penser à un moyen complémentaire pour occuper ces temps (40% des foyers ne quittent pas leur domicile pendant les vacances, sans ignorer les différences dans la manière de vivre des temps de vacances, même quand on se déplace).
Ouvrir la boite noire
Il ne nous appartient pas, ici de revenir à la question des vacances, leurs temporalités, leur organisation. Mais on ne peut ignorer, après l’année et demie de crise sanitaire vécue qu’il y a eu une illustration possible de ce qui pourrait être pensé en matière de « contenu » de ces vacances en y incluant le numérique. Mais il ne peut y avoir substitution, car une dimension présente à l’école mais aussi dans les centres de loisirs est essentielle : les relations humaines, l’accompagnement possible par les adultes et entre pairs. Les enfants, pour la plupart, ont eu hâte de revenir à l’école après le premier confinement pour d’abord retrouver les amis, les copains, les autres. Ils voulaient aussi sortir un peu de l’étouffant (trop souvent) huis clos familial accompagné de la classe à distance. Il ne faudrait pas que certains s’empressent de voir dans les moyens numériques le remède à la carence éducative de notre société contemporaine de plus en plus individualiste. Pas non plus imaginer la systématisation de la forme scolaire, jusque dans les vacances (où sont passés les devoirs de vacances d’il y a longtemps).
Ce qui pose problème aujourd’hui c’est la concurrence possible entre des modes d’accès à l’information : l’école d’une part, les moyens numériques d’autre part. Pour quoi s’intéresser à l’information ? Parce que c’est la matière première du développement cognitif (reprenons ce que dit Michel Serres à ce sujet). Or les temps de vacances sont justement ces temps qui donnent du temps pour accéder à d’autres informations, à davantage d’informations. Selon les milieux sociaux, les moyens matériels, chacun va organiser son environnement de vie. C’est justement cet environnement de vie qui fait question : qu’est-ce qui le compose ? Comment est-il géré ? Quel accompagnement à ces usages ?. Pour l’école, le hors l’école, c’est le plus souvent la boîte noire. Le confinement a révélé qu’il y avait là un vrai problème. Du coup, le ministère a cru bon de s’emparer de la question de la formation des parents (volontaires, tout de même) comme on le lit dans le projet Territoires Numériques Éducatifs (TNE). Dans un petit ouvrage diffusé par nos amis Belges de la fédération Wallonie Bruxelles, la question est posée clairement. Ludovic Gadeau propose « La parentalité désorientée mal du XXIè siècle ? » ouvrage accessible gratuitement en ligne à cette adresse.
Des éditeurs de contenus numériques tentent aussi d’ouvrir d’autres chemins, comme l’éditeur Bayard qui avec sa plateforme Bayam nous propose justement des contenus qui, en période non scolaire, peuvent attirer les enfants sans y ajouter le cadre scolaire. Mais c’est plutôt en sollicitant la curiosité, l’envie d’aller plus loin, de découvrir que ces démarches sont positives. Au-delà des offres gratuites et payantes, les parents sont invités de plus en plus à faciliter chez leurs enfants cette envie d’aller voir plus loin, la curiosité.
Car c’est ce processus mental complexe qui structure aussi bien la motivation, l’intention, l’énergie qu’un enfant peut mettre dans ces activités. Encore faut-il qu’il puisse ne pas y être constamment seul ou coupé du reste du monde, car son corps aussi a besoin d’activité s’il veut participer de ce développement (pas de cerveau sans corps…). Le numérique doit alors pouvoir trouver sa juste place. Il reste au monde scolaire de se lancer dans un travail de réflexion et de propositions sur la manière d’imaginer les temps de vacances scolaires de demain… N’y a-t-il pas là aussi une question de continuité éducative…. ?
Bruno Devauchelle