C’est une étude originale que publient Jude Brady et Elain Wilson (université de Cambridge). Les universitaires comparent le stress éprouvé par les enseignants du public et du privé. Et elles trouvent de nettes différences. En France cette dimension du malaise enseignant n’a pas été étudiée. Des études ont mis en avant le role de la hiérarchie et du sentiment d’impuissance des enseignants.
L’étude anglaise
Les enseignants anglais sont stressés, établit une étude réalisée par Jude Brady et Elain Wilson (université de Cambridge). Mais pas de la même façon selon qu’on enseigne dans le public et le privé. Leur étude se base sur des entretiens avec une vingtaine d’enseignants des deux systèmes. Le stress des enseignants du public provient majoritairement de l’excès de travail lié aux évaluations et au controles sur travail enseignant en ce domaine. Des enseignants du public avouent d’ailleurs tricher sur ce travail d’évaluation pour apaiser leurs chefs. Le stress des professeurs du privé vient des parents. Les parents exigent des réponses immédiates aux mails et attendent des résultats excellents pour leurs enfants. Ils payent et exigent une bonne rentabilité de leur investissement et el font savoir aux enseignants. L’étude note que ni dans le public ni dans le privé les élèves sont vus comme des sources de stress importantes. La situation est bien différente en France.
En France une profession plus exposée
En France, en 2017, la Depp (ministère de l’éducation nationale) publie une étude de S Jégo et C Guilto sur les risques psychosociaux chez les enseignants. Ce que montre l’enquête c’est d’abord le fait que globalement, tous indices confondus, les enseignants sont plus exposés que les autres salariés aux risques pyschosociaux (RPS) et parmi eux, les enseignants du premier degré. » L’indice global d’exposition aux facteurs de RPS indique que les enseignants, hormis ceux du supérieur, ont une exposition moyenne significativement plus élevée que les autres populations, surtout dans le premier degré ».
Mais la plus forte caractéristique des RPS des enseignants, premier et second degré confondus, c’est le manque de soutien hiérarchique. « Ce sont surtout les enseignants qui déclarent manquer de soutien de leur hiérarchie et de moyens nécessaires pour bien faire leur travail, tant au niveau du matériel que de la formation », note l’étude. « Plus de 30 % des enseignants du premier degré et du second degré ne sont pas ou peu d’accord avec l’item « les personnes qui évaluent mon travail le connaissent bien », alors que les cadres représentent moins de 23 %. L’indice moyen d’exposition au manque de soutien hiérarchique est le plus élevé chez les enseignants, hormis ceux du supérieur, surtout pour le premier degré. Les tensions avec la hiérarchie se font plus ressentir pour eux ». A noter que les enseignants les plus jeunes se sentent plus soutenus que les autres.
Un sondage réalisé par le Se-Unsa en 2018 auprès de 7500 enseignants montre que 76% des enseignants estiment que leur activité professionnelle a des répercussion sur leur sommeil et 27% jugent leur métier « épuisant ». 51% des enseignants déclarent avoir déjà eu un arrêt de travail lié à leur métier. 46% déclarent des problèmes de voix et 32% d’audition. Le bruit apparait comme le premier facteur de risques psychosociaux. Le second ce sont les relations hiérarchiques, signalées par 48% des enseignants. Ils dénoncent un manque de soutien. 90% évoquent aussi une charge de travail qui augmente d’année en année. 31% envisagent de changer de métier
Un travail qui se complexifie
Dans une Note réalisée pour la FCPE, la sociologue Anne Barrère revient sur le malaise enseignant. » Le relatif confort statutaire des enseignants français, pour la plupart fonctionnaires, est contrebalancé par un travail complexe, en forte évolution, et du coup la relative modération salariale aidant (rappelons que les enseignants français sont payés en moyenne 20 % de moins que leurs collègues européens), il n’apparaît plus aujourd’hui pour certains une contrepartie suffisante », écrit-elle.
Elle met en avant plusieurs facteurs sociologiques pour expliquer le malaise enseignant. Le premier c’est le changement des élèves du fait de la démocratisation et la pression exercée par la cours eau diplôme. Le second c’est l’irruption de la culture adolescente dans le monde scolaire. Ajoutons y un troisième ingrédient : la cyclothymie de la classe, toujours à surveiller car elle peut basculer des yeux qui brillent à l’avachissement hostile. « Les risques du métier d’enseignant sont très majoritairement liés à cette usure relationnelle, parfois émaillée de conflits plus ou moins graves, auquel le succès médiatique du thème de la violence scolaire a pu donner un écho. La solitude des enseignants reste grande à cet égard, accentuée par une culpabilité latente devant ce qui est perçu comme un indice synthétique de compétence professionnelle », écrit A Barrère.
Impuissance pédagogique
Mais il y a pire encore : le sentiment d’impuissance pédagogique. « Malgré l’accent mis par les textes sur les compétences pédagogiques de motivation, d’adaptation et de remédiation, bien des enseignants ont le sentiment d’échouer à faire réussir les élèves. … Cette impuissance pédagogique est parfois accentuée du sentiment d’être poussés à « évacuer vers le haut, cyniquement », comme le disait une enseignante, des élèves qui ne pourront pas, selon eux, tirer leur épingle du jeu ultérieurement ».
Enfin il y a la succession des réformes. « La première cause du malaise enseignant est pour 66 % des répondants l’absence de prise en compte des difficultés réelles du métier. C’est ainsi que les enseignants, souvent décrits à tort comme résistants globalement à des « réformes » de petite et moyenne portée qui se succèdent quelle que soit la couleur politique des ministères, font face à des propositions de changements qui ne constituent pas forcément, loin s’en faut, des ressources face aux deux premières épreuves du métier ».
François Jarraud
Que sait-on du malaise enseignant
Stress et besoins éducatifs particuliers