« Les chiffres sont là. On est le gouvernement qui depuis toujours a fait la plus forte augmentation budgétaire ». Répondant à la député socialiste S. Tolmont, devant la commission des finances de l’Assemblée, le 3 juin, JM Blanquer vante sa gestion de l’Education nationale. « Le mythe de l’Education nationale est faux ». Il s’inscrit en faux sur deux points : son gouvernement est celui qui a augmenté le plus le budget de l’Education nationale. Les reports de crédits qui ont eu lieu en fin d’année 2020 (environ 640 millions) ne sont pas des économies mais des décalages de consommation. Des propos qui méritent d’y aller voir d’un peu plus près…
Une hausse historique ?
« On peut regarder les hausses budgétaires », explique JM Blanquer en réponse à la députée S Tolmont. « De 2012 à 2016 il y a eu 2.4 milliards d’augmentation. de 2017 à 2021 6.8 milliards, affirme le ministre. Pour lui » on est le gouvernement qui depuis toujours a fait la plus forte augmentation budgétaire. On l’a fait en faisant des choix et non du saupoudrage comme le gouvernement précédent ».
Est-ce vrai ? La réponse est déjà dans les propos du ministre. Il inclut dans sa gestion l’année 2017. Or , comme le ministre de l’Education nationale négocie dans ce printemps 2021 le budget 2022 avec Bercy, le budget 2017 a été fixé en 2016 par le gouvernement précédent. Le nouveau ministre l’a trouvé en arrivant rue de Grenelle au printemps 2017.
Or ce budget 2017 suffit à lui seul à renverser l’affirmation. En 2017, N Vallaud Belkacem avait obtenu 3 milliards d’euros de hausse dont, il faut le souligner, plus de 800 millions de revalorisation pour les enseignants. C’est à dire le double de ce que propose JM Blanquer. JM Blanquer fait mine aussi d’oublier l’élargissement de son ministère qui englobe maintenant avec l’Education nationale, la Jeunesse et les Sports.
Une façon certaine de suivre l’augmentation de la dépense d’éducation est de comparer sa part dans le PIB. Pour cela il suffit de consulter le RERS, une publication annuelle du ministère de l’éducation nationale. La part de la dépense d’éducation dans le PIB est stable à 6.7% du PIB en 2018. L’augmentation de 700 millions, en comptant les 400 millions de revalorisation en 2022 et 300 millions qui relèvent de l’application aux enseignants d’une mesure qui concerne tous les agents publics et 100 millions en application des mesures de 2021, représente 0.03% du PIB. Autrement dit elle ne change rien à la part de la dépense d’éducation dans le PIB.
Par comparaison on pourra observer l’augmentation pour le coup historique qui a eu lieu dans les années 1990. De 1990 1994 on passe de 6.6% à 7.7% du PIB soit un point supplémentaire. On est ensuite revenu à 6.6% en 2006, année où JM BLanquer est au cabinet de G de Robien, ministre de l’Education nationale.
Qu’en est-il des reports de crédits ?
La deuxième affirmation ministérielle concerne les reports de crédits qui ont eu lieu fin 2020. Trois arrêtés reportent 212 millions en autorisation d’engagement le 22 janvier sur le programme 214 « soutien de la politique de l’éducation nationale ». Le 12 février ce sont 394 millions d’autorisation d’engagement et 21 millions de crédits de paiement qui sont reportés. La plus grosse partie concerne le sport et les JO 2024. Le 26 janvier 34 millions d’autorisations d’engagement et 41 millions de crédits de paiement sont reportés . Cela concerne surtout le programme 24 mais aussi l’enseignement du 2d degré (pour 10 millions).
A ces 647 millions, la loi de finances rectificative que JM Blanquer défend le 3 juin ajoute 46 millions pour heures supplémentaires non utilisées.
Pour JM Blanquer, « il n’y a pas sous consommation . Le mythe de l’argent rendu à Bercy est faux. Parfois il y a sous consommation mais c’est réinjecté et c’est ce qui va se passer pour les HSE non utilisées ».
« Les crédits reportés reviennent rarement », nous confie Pierre Yves Duwoye, conseiller maître à la Cour des comptes. PY. Duwoye connait bien le ministère de l’Education nationale. Il a été directeur de cabinet adjoint de JP. Chevènement, secrétaire général du ministère de l’éducation nationale puis directeur du cabinet de V. Peillon. « C’est une pratique habituelle de faire des reports de crédit. Mais quand ils sont reportés ils sont remis en question. Le report est presque toujours l’antichambre de l’annulation », nous dit-il. « Si les crédits n’ont pas été dépensés une année on a tout lieu de croire qu’ils seront inutiles l’année suivante. Il y a bien sur des exceptions : des équipements qui n’ont pas pu être livrés à cause de la crise sanitaire par exemple. Mais on préfère toujours reporter plutôt qu’annuler, car l’annulation remettrait en cause le budget lui-même ».
Ce point de vue semble partagé par les inspecteurs (IA IPR) du SIA. Le numéro de mars de la revue de ce syndicat d’inspecteurs, revient sur ces reports. « Les 600 millions rendus à Bercy n’auraient ils pas pu servir à financer les remplacements », demande le SIA. Il relève que « les éléments de langage qui sont mobilisés par les rectorats font porter la responsabilité (des difficultés pour assurer les remplacements) sur le manque de vivier. Or les remplacements le plus souvent ne sont pas mis en oeuvre faute de moyens budgétaires ».
Le SIA pousse le raisonnement plus loin : « Bien d’autres emplois de ces 600 millions auraient été envisageables : un meilleur équipement informatique des professeurs, la sécurisation sanitaire de certains établissements par l’achat de purificateurs d’air. Sans parler de la question de la revalorisation salariale des personnels ». 600 millions et 400 millions ca faisait un milliard pour un million de personnels. De quoi dépasser la revalorisation de 2017…
François Jarraud