Qui aurait dit que le PS soutiendrait un projet de loi gouvernemental ? Et que B Retailleau, apôtre doucereux de la droite la plus autoritaire se ferait le chantre des libertés ? C’est pourtant ce qu’on a vécu le 6 avril au Sénat lors du débat sur l’instruction en famille. Après un long débat le Sénat n’a pas rétabli l’article 21 qui avait été rédigé par l’Assemblée comme le voulait le gouvernement et la gauche. L’instruction en famille n’est pas soumise à autorisation.
L’alibi de l’islamisme
Jusque là les débats au Sénat pour le projet de loi séparatisme ont été marqués par un défoulement de la droite interdisant le port de signes religieux aux mères accompagnatrices et aux mineurs dans l’espace publics dans une atmosphère qui ne laisse aucun doute sur la religion ciblée.
Le débat du 6 avril touche un article qui a mobilisé l’opinion et déjà fait débat à l’Assemblée. L’article 21 traite de l’instruction en famille. Le projet de loi gouvernemental prévoit que la règle soit la scolarisation. L’instruction en famille est soumise à autorisation avec 4 cas prévus d’autorisation. Mais c’est l’administration qui va juger si les parents sont capables de remplir les critères et d’assurer l’instruction de leurs enfants. Une situation qui ouvre la porte à pas mal d’abus.
La commission du Sénat a supprimé cet article du projet de loi. Et le débat du 6 avril porte sur son rétablissement comme le demandent des amendements déposés par les sénateurs Rietmann (LR) et Magner (PS), la sénatrice LREM N Havet ou encore le gouvernement.
» L’instruction en famille n’est pas mise en procès dans ce texte », affirme JM Blanquer. « C’est une liberté, qu’il convient de préciser pour lui donner une assise plus solide… Nous visons l’instruction en famille dévoyée, qui sert le séparatisme… Plus de la moitié des élèves des écoles clandestines que nous démantelons sont déclarés en instruction en famille. Et nous devrions rester à ne rien faire ? Où sont ceux qui reprochent quotidiennement au Gouvernement de ne rien faire contre le séparatisme islamiste et qui, aujourd’hui, deviennent comme aveugles aux problèmes sur le terrain ? » Il accuse ceux qui s’opposent à cet article de démagogie. « Pour maintenir la République, gardons-nous du combat permanent des droits individuels contre le commun, ou c’est la République qui s’affaiblit… Ceux qui voteront contre le rétablissement de l’article 21 en prétendant défendre l’instruction en famille sont au mieux dans le hors sujet, au pire dans la démagogie ».
Il est paradoxalement soutenu par des sénateurs PC et PS. Ainsi Laurence Rossignol : « Le législateur doit souvent trouver un équilibre entre droit et liberté. Selon l’Unicef l’enfant a le droit d’aller à l’école et d’avoir des loisirs. Il a donc le droit de se socialiser, de rencontrer d’autres idées que celles de sa famille, de développer son esprit critique pour se forger ses propres opinions. Avec l’article 21, nous garantissons l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant. En outre, l’école est le lieu où l’on peut détecter les maltraitances sur des enfants ». JB Magner (PS) estime que ne pas rétablir l’article 21 « c’est l’école publique qui y perdrait ».
La droite l’emporte
Les Républicains s’opposent au gouvernement. » Ma conviction intime est que la pluralité des offres éducatives est le signe d’une société apaisée, plurielle et moderne. Avec une politique au doigt mouillé, vous êtes incapable de mesurer le lien entre menace séparatiste et instruction en famille. Au nom d’une démocratie de l’émotion, vous proposez des mesures disproportionnées. La liberté de choix des parents est jugée suspecte a priori. Je ne discute pas le contrôle a posteriori. Mais, avec un contrôle a priori, on change de paradigme », dit Max Brisson. « L’article 21 institue un régime d’exception pour l’instruction en famille. Or un régime d’exception est tout sauf un régime de liberté !… Jamais aucun gouvernement n’aura d’ailleurs autant porté atteinte aux libertés que celui-ci ! C’est bien de lutter contre l’illibéralisme à l’international, mais c’est mieux de respecter les libertés ici », s’exclame B Retailleau.
Finalement le Sénat rejette les amendements de rétablissement de l’article 21 par 225 voix contre 114. La question reviendra devant l’Assemblée qui aura probablement à couer de rétablir le texte original. C’est une nouvelle journée de défaite pour le gouvernement.
François Jarraud