« Il est possible et intéressant de travailler autrement que selon les modalités classiques d’une pédagogie « traditionnelle » encore très fréquente. J’essaierai ainsi de préciser en quoi les effets de certains changements de pratiques peuvent être conséquents non seulement sur le climat scolaire et le bien-être des élèves et des enseignants, mais aussi sur la lutte contre l’échec scolaire ». Les pédagogies différentes, Yves Reuter les connait bien pour avoir suivi pendant longtemps et étudié des expériences pédagogiques, comme l’école Freinet de Mons-en-Baroeul. Alors qu’il n’est question que de neurosciences et de comportementalisme, il invite à regarder en détail les principes fondamentaux des pédagogies différentes, leurs valeurs et les conditions de leur mise en place. Son petit livre tient de la réflexion du chercheur, du guide pour l’expansion de ces pédagogies et de la réflexion sur ce qu’est l’Ecole, sur ses orientations récentes et ce qu’elle devrait être. Il présente les résultats de cette étude au Café pédagogique.
Pourquoi un livre sur les pédagogies différentes en ce moment ?
Je trouve qu’il y a beaucoup de discours peu fondés sur ces pédagogies. Les gens qui les mettent en oeuvre subissent des attaques alors qu’au delà des discussions légitimes, ces pédagogies ont des intérêts certains. C’est pour mieux les faire comprendre et rendre justice à ceux qui cherchent d’autres voies sur le terrain pour lutter contre l’échec scolaire que je publie ce livre.
Mais c’est quoi les pédagogies « différentes » ? Elles sont différentes de quoi ? Et qu’ont-elles en commun ?
Je ne traite pas de toutes les pédagogies différentes. J’ai beaucoup travaillé sur la pédagogie Freinet, sur la pédagogie de projet et certaines expérimentations liées à l’article 34. Le point commun c’est qu’elles ne fonctionnent pas sur les mêmes principes que la pédagogie dominante. Elles ne conçoivent pas l’enseignement comme une transmission mais comme la construction des conditions permettant aux élèves de s’approprier le savoir, en étant attentif aux différences des élèves et aux difficultés des apprentissages. Ce sont aussi des pédagogies qui font de l’évaluation une aide et qui sont très attentives aux relations avec les familles. Elles prennent de la distance avec la manière dont la forme scolaire est mise e oeuvre traditionnellement.
Quelles valeurs les animent ? Sont-elles différentes ?
Elles ont des valeurs différentes de celles du pouvoir politique actuel. Mais ce qui est curieux c’est qu’elles remplissent mieux les impératifs du pouvoir politique : lutter contre l’échec scolaire, réduire les inégalités scolaires, tout ce que le discours officiel affiche mais qui n’est pas réellement réalisé. Elles visent à construire un citoyen critique, respectueux des autres et de l’environnement, ce qui est là aussi dit dans les discours mais pas mis en pratique. Elles visent le respect des élèves, des familles et des enseignants qui ne sont pas considérés comme des exécutants mais comme des concepteurs. C’est une Ecole de la confiance, où celle-ci existerait vraiment et qui serait en cohérence avec les discours du ministre actuel alors que les pratiques politiques actuelles sont en contradiction avec les discours.
Un bon exemple est la coopération. C’est un moyen de construire une société où chacun n’est pas en lutte avec les autres et où la réussite est au service de tous. Dans l’école traditionnelle il faut qu’il y en ait qui réussissent pour que les autres échouent. La démocratie n’y est pas un discours lointain mais quelque chose qu’on essaye de faire vivre dans l’établissement avec des conseils et des règles élaborées par tous, expérimentées et publiques.
Ces pédagogies différentes sont-elles efficaces ?
A partir où tout le monde se trouve bien dans l’école c’est déjà de l’efficacité. Je ne peux parler que des expérimentations que j’ai suivies qui étaient inspirées par la pédagogie Freinet et la pédagogie de projet. Elles étaient efficaces en ce que le climat scolaire était bon et que les élèves progressaient sans que les écarts se creusent entre jeune de milieu favorisé et défavorisé. Au pire il n’y avait pas d’écart dans les apprentissages avec les autres écoles mais avec des élèves ayant acquis d’autres apprentissages comme la capacité à s’adapter à un interlocuteur, à travailler en équipe, à organiser leur travail. Un autre critère est le développement professionnel des enseignants : ils n’arrêtent pas de se réunir et se former.
C’est possible de défendre ces pratiques dans un système éducatif élitiste ?
C’est difficile. Mais c’est possible car des enseignants en font la démonstration bien que ce soit devenu plus difficile. On voit les moyens de ces écoles différentes disparaitre. On voit des pressions sur les postes à profil. En même temps le ministère ne peut pas faire sans parce que des structures de retour à l’école s’inspirent de ces pédagogies. Le ministre leur est défavorable mais il doit faire avec vu l’ampleur des problèmes qui existent.
Quelle place ont les enseignants dans ces pédagogies ?
C’est une place fondamentales. Ils sont des concepteurs qui articulent en permanence des choses contradictoires. Par exemple ils doivent à la fois permettre le cheminement individuel des élèves et celui du collectif classe. Ils doivent garantir des fonctionnements démocratiques tout en étant les garants de ce fonctionnement démocratique.
Qu’est ce qui empêche le développement de ces pédagogies ?
D’abord elles ne sont pas suffisamment connues. Il y a beaucoup de mythe sur elles. Par exemple, on disait que Freinet ne marchait qu’à la campagne. Il y a aussi un discours qui avance que les pédagogies différentes sont néfastes. Enfin ce sont des pédagogies qui demandent du temps pour se former et le soutien des collègues. Certains partis politiques ne sont pas favorables à ces pédagogies qui entrainent un engagement contre l’élitisme et la sélection sociale. POurtant ces pédagogies ne coutent pas plus cher et ont de meilleurs résultats.
Des pédagogies différentes font la Une des magazines. C’est donc qu’elles se diffusent facilement ?
Il y a surtout de la confusion. C’est vrai qu’on voit des matériels Montessori partout par exemple. Mais c’est un effet de mode où tout se mélange. A coté de cet effet de mode il y a le fait que de plus en plus de familles ont des difficultés avec l’école traditionnelle car leurs enfants ne s’y sentent pas bien.
C’est pour éviter toutes ces confusions que j’ai mis un référentiel dans le livre. Il fournit aux enseignants un instrument qui permet d’analyser le fonctionnement et les effets de leur pédagogie sur tous les acteurs. C’est une aide pour ceux qui veulent travailler différemment et une arme pour répondre à certaines critiques.
Propos recueillis par F Jarraud
Yves Reuter, Comprendre les pratiques et pédagogies différentes, Berger-Levrault, ISBN : 978-2-7013-2145-5.