Alors que nombre d’équipes pédagogiques commencent à parler de la mise en place du PIX, plusieurs interrogations surgissent aussi bien de l’histoire des certifications numériques dans l’enseignement que de la communication officielle sur cet « objet » qui semble étrange à certains. On peut se demander si l’histoire ne va pas se répéter. Le PIX subira-t-il le sort du B2i ? Autrement dit, est-ce que la formation et la certification des compétences numériques va être enfin prise au sérieux ? En effet, l’analyse des vingt dernières années met en évidence l’absence de prise en compte sérieuse des compétences numériques dans le champ des connaissances et compétences dites fondamentales. De quelle analyse s’agit-il ? de celle qui, de l’intérieur, a amené à constater l’absence trop fréquente de validité des compétences attestées officiellement, mais aussi la grande difficulté qu’ont eue les équipes enseignantes à s’emparer du sujet sur le fond et donc à participer au développement et à l’évaluation de toutes ces compétences. Et pourtant c’était dans la loi, mais….
En 2004, lors d’un séminaire sur le B2i et ses descendants C2i et C2i2, il était devenu évident que, d’une part, il fallait harmoniser cette certification de la maternelle à la formation continue et que d’autre part, la reconnaissance de cette certification ne pourrait passer que par une intégration dans les services de ressources humaines en charge du recrutement en tant que profil à évaluer et à rapprocher du recrutement envisagé. On peut le constater, le PIX répond à ces attentes. D’une part, le Pix général d’autre part, un Pix professionnel. La lecture que l’on peut faire de l’absence de ces deux éléments est que cela a renforcé le peu de mise en œuvre sérieuse de la formation et de la certification, en particulier au collège et au lycée. Comme la certification était interne aux établissements, la défiance vis-à-vis de celle-ci s’est surtout rencontrée en dehors de l’école. Elle s’est aussi observée en interne parfois dans le discours des élèves, mais aussi celui de certains enseignants. Combien de témoignages du constat de non-compétence d’un jeune, déclarant avoir été validée B2i ou C2i !!! Combien de témoignages de jeunes mettant en évidence la frilosité des enseignants dans ce domaine.
Si le PIX semble aller dans le bon sens pour participer du triangle « informatique, numérique, EMI », on peut s’interroger sur le pourquoi de l’appellation CRCN dans le contexte scolaire. Le Cadre de Référence de Compétences Numériques est donc un objet intermédiaire entre le monde scolaire et le PIX. En effet le CRCN indique aux enseignants ce qu’il convient de développer comme compétences numériques dans le cadre des enseignements, quant au PIX il est l’instrument de certification « officiel » et « non scolaire ». Il sera intéressant d’interroger les enseignants sur leur prise en compte de ces deux dimensions dans leur manière d’agir. Ce que l’on ressent c’est que c’est le PIX qui l’emporte dans les discours tout au moins. Par contre, le CRCN est, pour l’instant peu identifié (pourquoi deux appellations pour un même dispositif ?). Même si on comprend que l’un est la formation et l’autre l’évaluation, on s’étonne qu’il faille différencier dans le discours. À moins que ce ne soit une manière politique et communicationnelle de différencier le propos selon que l’on parle à l’école (CRCN) ou à la société (PIX). On peut se demander si cela ne va pas démobiliser. Pourtant, il semble que ce soit la certification PIX qui tient le premier rôle dans les établissements scolaires, en tant qu’objet symbolique portant des pratiques qui s’imposent.
Pour autant, il nous faut examiner ce que dit le ministère à propos du CRCN : « Les établissements d’enseignement scolaire doivent dispenser une formation aux compétences numériques. Cette formation et l’évaluation des compétences se déroulent dans les enseignements en lien avec les programmes et le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, conformément au cadre de référence des compétences numériques. » On comprend ici qu’il y a d’abord un copier collé du B2i. On s’interroge ensuite sur la fameuse formation dont il est fait état : ce seront les enseignements qui devront se référer à leurs programmes (en particulier disciplinaires) pour réaliser cette formation. Il va donc falloir regarder de plus près les contenus de ces programmes pour identifier ce que sera la formation. Il est écrit dans le site du ministère cette phrase : « les compétences numériques s’acquièrent au cours de formations formelles et informelles, dans le temps scolaire et hors temps scolaire ». On reconnaît là deux éléments différents : d’une part, les enseignements aux contenus explicitement en lien avec le numérique (technologie, maths… et SNT en lycée), d’autre part, l’idée que les compétences numériques des jeunes se développent aussi en dehors du système scolaire. Soit on fait face à la croyance des compétences numériques « spontanées » soit on déculpabilise les enseignants qui sont loin de ces questions de numérique.
Reste donc l’évaluation. La différence entre évaluation et certification est intéressante à examiner. Que va-t-il se passer si un élève obtient une évaluation satisfaisante au CRCN et s’il échoue à la certification PIX (et inversement) ? Il va falloir que les équipes enseignantes permettent aux jeunes et à leurs familles de comprendre cette distinction. L’expérience du B2i qui avait intégré la certification dans l’établissement a été un échec. Le C2i (et le C2i2E) avait tenté de certifier les établissements certificateurs et cela avait amené un peu plus de crédibilité. En sortant complètement la certification, les responsables ministériels prennent en compte d’une part les « faiblesses » du monde enseignant (on peut le voir actuellement autour des débats sur le contrôle continu et le CCF), d’autre part, la nécessité d’une certification crédible au-delà du système scolaire. D’où l’intérêt d’une plateforme PIX-pro, qu’il va falloir aussi vendre au monde du travail.
Pour terminer ce tour d’horizon, il faut parler d’un point essentiel : la notion de profil individuel de compétences. Si le B2i, le socle etc. imposaient un standard de base commun à tous, le PIX propose des profils avec des seuils possibles de maîtrise (les 8 niveaux de maîtrise en quatre groupes : niveaux 1 et 2 : “novice”, niveaux 3 et 4 : “indépendant”, niveaux 5 et 6 : “avancé”, niveaux 7 et 8 (à venir) : “expert”). Ces profils nous indiquent que chaque personne peut avoir un niveau de maîtrise meilleur dans un domaine que dans l’autre. Or cette approche correspond aussi à l’analyse des postes de travail en milieu professionnel qui montre que les compétences numériques requises varient d’un poste à l’autre, d’un service à l’autre. Il est donc possible d’examiner une candidature à un poste ou à une formation en fonction de ce profil qui serait alors un « pré-requis » pour la personne.
En ces périodes troublées de crise sanitaire, les pratiques du numérique se sont multipliées. Indéniablement les uns et les autres ont développé des compétences (enseignants comme élèves). Il sera intéressant d’examiner celles-ci afin d’envisager des actions d’accompagnement au développement des compétences et des formations. Il faudra peut-être faire un inventaire des pratiques effectives qui ont été mises en place au niveau local en particulier pour ensuite définir des stratégies de développement des compétences. En partant des cinq domaines du PIX : « Information et données, Communication et collaboration, Création de contenu, Protection et sécurité, Environnement numérique », les équipes éducatives vont pouvoir travailler dans ce sens d’inventaire et de dispositif d’enrichissement des compétences. Les États Généraux du Numériques ont, certes, évoqué le PIX au service du développement des compétences pour les enseignants, mais ces propositions sont trop généralistes et éloignées du quotidien des établissements scolaires. Il serait intéressant que le ministre s’en empare de manière plus vigoureuse de cela. Pour terminer, rappelons une distinction signalée par l’IGEN créateur du B2i, le PIX n’est pas assez engagé sur la dimension citoyenne dans un contexte numérisé. Il est probable que l’insistance sur l’EMC est considérée comme suffisante dans ce domaine… quant aux rappels sur l’EMI, ils restent aussi en partie en dehors de ce périmètre : le PIX croise certaines compétences de l’EMI, peut-être cela fera-t-il, à terme, confusion.. ?
Bruno Devauchelle