« Travailler explicitement les spécificités de la langue en contexte mathématique, en faire un objet d’apprentissage intégré, bien ciblé, développé au fur et à mesure des besoins pointés par l’enseignant, pourrait constituer un aspect fondamental et constitutif de l’enseignement des mathématiques et améliorer les performances des élèves ». Serge Petit réagit aux mauvais résultats de l’enquête internationale TIMSS sur l’enseignement des maths.
Un lecteur du Café pédagogique commentait dernièrement un article et utilisait le substantif « naufrage » à la suite de la publication de l’évaluation TIMMS 2019 en mathématiques. M. Durpaire, s’exprimant sur cette même évaluation et voulant illustrer la catastrophe, analysait le cas du calcul 428 – 176 (extrait de « TIMMS 2019, Cadre de l’évaluation pour la classe de CM1, Annexe B, p. 91). Cet exemple s’inscrit dans le fameux triptyque désuet « lire, écrire, compter », cher à nos responsables éducatifs. Dans le Café pédagogique du 17 décembre 2020 , M. Durpaire émet un regret par rapport à l’enseignement des mathématiques en France : « priorité était donnée à l’activité de recherche des élèves au détriment d’autres aspects pourtant essentiels » et précise que dans « tous les cas, les automatismes de calcul auront dû être travaillés, entrainés méthodiquement ».
Ainsi, les propos de M. Durpaire pourraient laisser penser que si les élèves français ont de (très) mauvais résultats à TIMMS, c’est parce qu’ils sont trop souvent placés dans des situations de recherche, au détriment d’un entrainement visant la consolidation d’« automatismes ». Le même auteur souligne ce dernier point : « Il est parfaitement possible de conjuguer plaisir et apprentissage, même en valorisant des notions comme des automatismes à acquérir. » La nostalgie des automatismes ne l’empêche cependant pas d’indiquer que les « autres exercices appellent tous une capacité de réflexion dans des situations « simples » ; lire un graphique, donner l’aire d’un triangle rectangle… ».
Maitriser les « automatismes » pour mieux réussir aux évaluations TIMMS ?
L’auteur précédemment cité n’analyse pas les « autres exercices ». Nous allons donc procéder à une analyse succincte de certains d’entre eux figurant dans le document eTIMSS 2019 – Mathématiques – Exemples d’items libérés – Passation numérique [1], qui contient vingt-quatre items en tout.
Il est loisible de s’interroger sur la place des « automatismes » dans ces items. Deux items seulement pourraient éventuellement se résoudre en « posant » une des quatre opérations ; les items ME02_02 et ME06_02.
La difficulté principale du premier de ces deux items pourrait aussi, pour certains élèves, résider dans la compréhension de l’énoncé que voici : « Maria a voyagé à vélo pendant quatre jours. Elle a parcouru la même distance chaque jour. Au total, elle a parcouru 76 km. Combien de kilomètres Maria a-t-elle parcouru chaque jour ? ». Le QCM propose les quatre réponses suivantes : 18, 19, 20, 24. Cet item, une fois l’énoncé compris, nécessite-t-il de connaitre un algorithme de la division, voire même seulement de connaitre la division pour être réussi ? Pas nécessairement. Il est en effet possible de procéder d’une part par essais et erreurs (le calcul à effectuer est alors une multiplication ou une succession d’additions) ; d’autre part de trouver un ordre de grandeur du résultat par un calcul sur les valeurs approchées (80 km au lieu de 76 km) qui permet d’affirmer que la distance parcourue quotidiennement n’est pas éloignée de 20 km, qu’elle est un peu inférieure à 20 km. Puisque la différence entre 80 et 76 est de 4, elle correspond à un km par jour (« même distance chaque jour »). D’où le choix de la bonne réponse. Une simple observation des valeurs proposées, après compréhension de l’énoncé permettrait aussi de choisir la bonne réponse puisque 4 X a9 se termine par un 6, comme 76, l’autre valeur proposée, 24, réalisant aussi la même finale, étant trop grande est de fait éliminée.
Cet Item, ME02_02, dont on pouvait penser qu’il relevait de l’application d’un automatisme, d’une formule, n’en relève pas, puisque bien d’autres manières fondées notamment sur les capacités à inférer, à créer des liens, à réfléchir permettent de choisir la bonne réponse, l’énoncé étant supposé compris.
Le second, l’item ME06_02 (seul énoncé sans texte) consiste à cocher la bonne réponse parmi les quatre propositions suivantes (149, 134, 14, 13) à 804 ÷ 6. Une fois compris que l’obélus est un des signes indiquant une division, cet item peut aussi être résolu sans algorithme. La solution peut être trouvée en se souvenant que l’opération inverse de la division (dans certains cas) est la multiplication, que le résultat se termine donc par 4. 13 est de fait éliminé, 14 étant bien trop petit (ordre de grandeur) l’est aussi. 149 est très proche de 150 et fournirait un résultat trop grand pour être solution (trop proche de 900 -calcul mental sur les ordres de grandeur-), le résultat de la division de 804 par 6 est donc 134. Pour cet item, comme pour le précédent il n’est point besoin d’algorithme, pas davantage que d’automatismes calculatoires, mais une capacité à comprendre (l’obélus), à réfléchir, à exercer peut-être des automatismes de pensée portant sur le concept d’ordre de grandeur, sur des principes élémentaires de vérification de la plausibilité d’un résultat, à comprendre que faire le choix d’une proposition parmi d’autres dans un QCM n’est pas une invitation à poser et effectuer une opération, mais est peut-être une incitation à réfléchir, à vérifier, à éliminer, à développer des stratégies, etc.
Les algorithmes des quatre opérations, principales composantes de ce qui est souvent appelé « automatismes », n’occupent donc aucune place dans les 24 items publics présents dans le document cité ci-dessus.
Un autre facteur doit donc intervenir qui pourrait expliquer les (si) mauvais résultats de la France. Il pourrait s’agir d’un facteur lié aux programmes. M.Durpaire déclarait en effet le 17 décembre dernier : « Dans ces mêmes colonnes du Café pédagogique, nous avancions que d’une part les notions sont enseignées trop tardivement, d’autre part l’enseignement des maths en France reste trop élitiste. »
Le Ministère de l’Education nationale, très réactif dans ce cas, avance donc le plus possible les enseignements au point même d’assassiner les excellents programmes de 2015 concernant la maternelle et de conduire à l’échec les élèves en début de cycle 2 par des exigences déraisonnables en début de ce cycle.
Avancer l’enseignement des notions pour obtenir de meilleurs résultats à TIMMS ?
Il s’agit là d’une question importante et grave puisque c’est dans cette direction que s’oriente le Ministère. Or, sur les 24 items, seuls trois items relèvent des programmes du cycle 3 au sens strict (les autres relèvent du cycle 2).
Ces trois items portent sur les fractions. A ce propos, nous conseillons au lecteur de prendre connaissance de l’étude de Martinez S. et Roditi E. publiée suite à l’évaluation TIMMS 2015 [2]. Les trois items concernés sont : ME02_03 (comparaisons de fractions à ½, réussite 7% pour les élèves français/ 21% pour les élèves européens), ME06_04 (complément à 1 d’une fraction, réussite 38% / 45%), ME06_05 (fabriquer une ou plusieurs tablette(s) de chocolat à partir d’une pièce représentant « le quart » de la tablette, valeur exprimée en langue naturelle, 13% / 29%). Les fractions sont bien souvent encore peu ou pas abordées en classes de CM1 au moment de la passation des évaluations. Il n’y a donc que sur ce seul point de l’enseignement des fractions que l’avancement des enseignements pourrait se poser. Mais quel en serait l’intérêt ? Doit-on piloter la progression des apprentissages en France par les évaluations internationales ? L’essentiel n’est-il pas qu’en fin de CM2, les élèves sachent résoudre ces problèmes ? Est-ce que ce sont ces trois items qui « plombent » les résultats français ? Certainement pas car ils sont noyés dans la masse et ne représentent qu’une faible partie de l’évaluation TIMMS (à supposer que les items libérés soient assez représentatifs).
Deux items (ME06_01, réussite 35% / 55% et ME06_03, analysé dans la colonnes du Café pédagogique du 8 décembre dernier, réussite 12% / 25%) font appel au concept de parité, concept qui ne figure pas aux programmes de l’école. L’item ME06_03, riche, fait cependant appel à bien d’autres compétences, mais il est difficile de le réussir en ignorant le concept de parité.
Pour ces deux derniers items l’absence de la parité dans les programmes français de l’école a sans doute échappé aux deux coordinateurs nationaux de TIMMS travaillant à la DEPP alors que la France n’était pas représentée dans le Comité d’examen des items de sciences et de mathématiques TIMSS 2019 [3].
Le concept de « double » figurant aux programmes du cycle 2, ajouter les mots « pair » et « impair » dans les programmes ne constituerait pas une aberration, mais ne constituerait pas non plus un avancement de l’enseignement des notions. Il s’agit peut-être d’un simple oubli.
Les autres items peuvent être résolus avec les seuls outils purement mathématiques figurant explicitement dans les programmes du cycle 2 (nous écrivons bien deux), à savoir : une bonne connaissance du système de numération, du sens des quatre opérations fondamentales et de la capacité à « représenter », à laquelle s’ajoute celle de comprendre un texte.
Il n’y a donc pas lieu d’avancer l’enseignement des notions, une telle pseudo solution, outre qu’elle tendrait à piloter notre éducation nationale par une évaluation internationale, n’améliorerait absolument pas les résultats à TIMMS. Il conviendrait peut-être davantage de savoir prendre le temps d’enseigner des fondamentaux comme, entre autres, le système de numération de position, la si fondamentale égalité ou d’autres outils, mais lesquels ? Ou de développer d’autres postures chez l’élève face à un QCM, face à un problème, ou plus généralement en mathématiques.
Que révèlent les autres items du corpus public de TIMMS 2019 ?
Nous ne pourrons pas analyser ici tous les items même s’ils présentent tous un intérêt particulier mais nous interrogeons les compétences en jeu dans quelques items qui nous semblent représentatifs de l’esprit de cette évaluation.
Commençons par l’item ME10_11 : Réussites France (F) 71%, Europe (E) 84%, International (I) 81%. Cet Item évalue la capacité d’un élève à effectuer ce que R. Duval appelle une « conversion », c’est-à-dire, à transformer une représentation d’un registre sémiotique vers une représentation dans un autre registre. Ici, d’une représentation tabulaire vers une représentation sous forme « d’histogramme » pour reprendre le terme utilisé par TIMMS. Les résultats des élèves français sont les moins bons. L’« histogramme » relève-t-il d’un apprentissage explicite en maths ou dans d’autres disciplines ?
Considérons maintenant l’item ME02_04 : Réussites F 38%, ; E 72% ; I 59%. Cet item, QCM, estimé « simple » par M. Durpaire, ne consiste pas à d’effectuer des opérations, mais vise à convertir une représentation donnée dans le registre de la langue naturelle vers le registre des écritures symboliques mathématiques (notamment comprendre ce que d’aucuns appellent le « sens des opérations »). Il s’agit de trouver l’opération qui représente une équidistribution de 48 autocollants entre 4 amis. L’élève doit choisir entre 48 + 4 ; 48 – 4 ; 48 × 4 et 48 ÷ 4.
Cela suppose de maîtriser les signes de chacun des deux registres et leurs organisations, donc, en particulier de comprendre l’énoncé. Les résultats français sont vraiment très faibles alors que les situations de partage sont vécues par les élèves depuis le cycle 1. Les symboles ne seraient-ils pas introduits trop tôt avant la construction du sens dans bien des méthodes ? L’énoncé est-il bien compris ? Quelle place occupe explicitement l’apprentissage de la langue dans les enseignements de mathématiques ?
Examinons l’item M02_12 : Réussites F 24% ; E 38% ; I 34% . Il s’agit ici de montrer que l’on a compris comment fonctionne le registre des « histogrammes » en graduant en quelque sorte son axe des ordonnées (les traits de rappel sont présentés dans l’histogramme). Là encore la capacité de convertir une représentation du registre des tableaux, vers un autre registre est en jeu. Si les résultats sont faibles partout, ils sont très faibles pour la France.
Regardons maintenant l’Item M06_06 : Réussites F 44% ; E 61% ; I 54%. Cet item porte sur le sens même de l’égalité. Il s’agit en effet de choisir parmi les quatre signes opératoires celui qu’il convient de placer dans la case pour obtenir une égalité : 20 – 8 = 6 • 2.
L’égalité ne serait-elle pas trop souvent enseignée comme déclencheur de calcul ? Les méthodes de mathématiques proposent-elles un enseignement explicite de l’égalité ? Et si oui, quel sens ? Rappelons ici que Le calcul en ligne au cycle 2 [4] précise le sens de l’égalité qui doit être enseigné et met en relief son importance dans les calculs.
Cet item permet aussi de s’interroger sur la maîtrise des signes fondamentaux du registre des écritures symboliques mathématiques par les élèves français. Ces signes ne seraient-ils pas introduits trop rapidement, avant la construction du sens des opérations qu’ils désignent ? On peut noter que cet item porte aussi sur la maîtrise de ce que R. Duval appelle le « traitement » de l’information (opération interne à un registre sémiotique, ici le calcul). Mais le premier obstacle pourrait être celui du sens de l’égalité, pas ou peu travaillé explicitement en classes en conformité avec le document cité ci-dessus.
Voyons l’item M06_07 : Réussites F 48% ; E 54% ; I 53%. Il s’agit, ici encore, de convertir la représentation d’une situation dans un registre, celui de la langue naturelle, vers un autre registre, celui des écritures symboliques mathématiques. Un réservoir contient 12 l d’eau. On y ajoute successivement 3 litres d’eau puis 3 litres d’eau. Les solutions parmi lesquelles l’élève doit faire son choix sont : 12 + (2 + 3) ; (12 + 3) + (12 + 3) ; (12 + 2) × 3 ; et 12 + (2 × 3). On doit remarquer que les solutions 12 + 3 + 3 ou (12 + 3) + 3 ou 12 + (3 + 3) ne font pas partie des propositions et que cet item pose le problème du sens de la multiplication et de celui de l’usage des parenthèses indiquant les priorités calculatoires, règle de syntaxe du registre des écritures mathématiques.
Analysons un dernier item, l’item ME06_10 que voici : Réussites : F 17% ; E 27% ; I 27%
L’énoncé précise qu’« Alexandre réalise chacune des formes présentées ci-dessous », le verbe représenter aurait sans doute été plus judicieux que le verbe présenter, mais la distinction entre les formes réellement fabriquées par Alexandre et leurs représentations figurant dans le tableau est levée par l’expression « en trois dimensions » explicite dans l’énoncé. Encore faut-il que l’énoncé soit compris des élèves.
Cet énoncé est particulièrement intéressant pour ce qui relève de la distinction fondamentale à faire entre objet et représentation de l’objet, entre signifiant et signifié, et distinction entre langage usuel et langage mathématique. Dans son sens mathématique, personne n’a en effet jamais vu de carré et personne n’en verra jamais. Dans son sens usuel, tout le monde a déjà eu des carrés en mains, carrés qui, de fait, n’en sont pas ! L’objet théorique, totalement abstrait, nommé carré obéit à des caractéristiques géométriques précises. Il est presque toujours représenté comme dans l’énoncé. Mais, tout comme les rails de chemin de fer pris en photo du haut d’un pont n’apparaissent pas comme parallèles selon la manière dont on présente usuellement le concept de parallélisme en classes, le carré, selon le point de vue sous lequel on l’observe ne se présentera pas nécessairement comme dans l’énoncé et sous la (seule ?) présentation usuelle en classe.
Comprendre l’énoncé, c’est intégrer la distinction entre objet et représentation de l’objet et comprendre que la représentation d’un objet dépend du contexte dans lequel cet objet est représenté. Ainsi, dans les représentations planes des objets construits, les carrés peuvent être représentés par des parallélogrammes non rectangles, a fortiori, non carrés.
L’élève pourrait parfaitement réussir la tâche, objets en mains, et ne pas la réussir dans l’univers représenté. Or, distinguer objet et représentation(s) de l’objet est une compétence fondamentale visée par l’enseignement des mathématiques. Cela s’apprend, cela s’enseigne et fait certainement partie des « fondamentaux », puisque le verbe représenter est mis en exergue dans l’incipit des programmes de l’école.
Le très faible taux de réussite pourrait s’expliquer par ce simple constat davantage que par d’éventuelles difficultés des élèves à effectuer un dénombrement. Cet item est encore une fois très loin de ces « automatismes » dont certains laissent à penser qu’ils sont pour une grande partie la cause des échecs des élèves français !
Cet item renvoie à la compétence fondamentale résumée par le verbe représenter, verbe qui signifie être pleinement présent à la place d’un objet ou d’un concept dans une tâche donnée. C’est bien évidemment le cas des parallélogrammes non rectangles qui représentent les carrés dans la représentation plane du cube.
L’évaluation TIMMS et les représentations sémiotiques
Les 24 items analysés montrent que l’évaluation TIMMS mobilise une grande variété de « registres de représentation sémiotique » [5] : tableau (4), histogramme (2), registre des écritures mathématiques (9) dont 3 fois dans le cas d’une conversion d’un texte vers une de ces écritures, registre des fractions (3) -registre sorti pour ce décompte du registre des écritures mathématiques, figures géométriques (5), graphique -courbe- (1), camembert (1), dessin (3). Le total dépasse 24 car plusieurs registres peuvent être mobilisés dans le même item. Un seul item (ME06_03) ne fait appel qu’au registre de la langue naturelle qui intervient dans tous les items sauf un (ME06_02).
Force est donc de constater que ces items ne portent absolument pas sur des automatismes, bien au contraire et qu’ils invitent à la réflexion, à l’analyse, à l’élaboration de stratégies de résolution des situations proposées, qu’ils s’assurent que les élèves de CM1 ont appris à représenter et savent mobiliser des outils fondamentaux de représentation sémiotique, notamment la « conversion » [6]. Les auteurs de l’évaluation TIMMS affirment que la « représentation des idées est au cœur de la pensée et de la communication mathématiques, et la capacité à créer des représentations équivalentes est fondamentale pour réussir dans cette discipline » [7]. Il s’agit là en effet d’une composante majeure des apprentissages mathématiques, car, comme le confirme R. Duval, « le point fondamental dans l’activité mathématiques n’est pas l’utilisation nécessaire de représentations sémiotiques mais la capacité à passer d’un registre de représentation sémiotique à un autre registre » [6].
L’évaluation TIMMS porte donc en grande partie sur l’évaluation de compétences absolument essentielles qui peuvent être exercées dès le cycle 2, voire peut-être même dès la maternelle, sans pour autant avancer les enseignements des notions.
Il convient de plus de souligner que ces représentations, la capacité à les articuler entre elles constituent un puissant outil de compréhension du monde des informations de plus en plus partagées. La compréhension de ces représentations variées contribuent à la formation du citoyen dans sa capacité à rejeter des fausses nouvelles et à prendre des décisions fondées. Et s’il s’agissait là d’une préoccupation des auteurs de l’évaluation TIMMS ? Se pose alors la question des représentations à enseigner.
Quelles représentations enseigner ?
On connait la vogue du diagramme en barre dont on rebat les oreilles en formation de RMC, dont on rebat les oreilles des enseignants en formation autour des constellations. Outil de représentation, ce diagramme aurait-il été d’un quelconque secours pour les élèves de CM1 confrontés à l’évaluation TIMMS 2019 ? Non, il n’aurait hélas servi à résoudre aucun des 19 items restants, sauf pour quelques-uns peut-être, mais en exigeant une gymnastique intellectuelle fort couteuse, voire douteuse.
R. Duval affirme que ce sont les mathématiques « qui utilisent la gamme la plus étendue et la plus hétérogène de représentations sémiotiques » [6].
Ne conviendrait-il pas dès lors d’enseigner de manière explicite dès le début du cycle 2 une grande variété de registres de représentations, d’enseigner les « conversions » d’un registre vers un autre, d’être conscient des informations que l’on peut perdre en effectuant de telles conversions (voir ITEM06_10 par exemple). Cet enseignement peut aussi se pratiquer dans d’autres disciplines, comme le montre la même évaluation pour les sciences, item SE06_10A. Les auteurs de l’évaluation précisent l’importance de cet aspect de l’enseignement des mathématiques : « En quatrième année, les élèves devraient être capables de lire et de reconnaître différentes formes de représentation de données » [7]. Généralement, le matheux centre ses préoccupations sur des registres pour mieux « voir ». Mais un registre fondamental est souvent ignoré.
Un méta-registre de représentation sémiotique trop souvent oublié : la langue naturelle
Il n’est pas rare de rencontrer des formateurs de Référents Mathématiques qui délaissent dans leurs formations tout travail pourtant nécessaire portant sur la langue au profit de représentations plus graphiques, voire d’une seule représentation, en argumentant de manière lapidaire « mais ce n’est pas des maths, c’est du français ».
Or, tous les items de l’évaluation TIMMS, sauf un, font appel au registre de la langue naturelle, à propos duquel G. Vergnaud écrit : « Le langage naturel remplit […] une fonction essentielle, puisqu’il n’est pas seulement un système symbolique parmi d’autres, mais le métalangage de tous les autres systèmes de symbolisation » [8].
Sans interroger les élèves, il est impossible de savoir si la compréhension des énoncés des items peut poser problème. La question, même si elle reste ici en suspens, mérite d’être posée car la langue française occupe une place déterminante dans 23 items sur 24.
Les programmes invitent à travailler la langue dans toutes les disciplines, qu’en est-il dans les faits, combien de méthodes de mathématiques intègrent des apprentissages explicites et spécifiques en mathématiques ?
Quelle posture d’élève développer ?
Les énoncés de deux items (ME02_05 et M2_07) se distinguent des autres par leur caractère plus syncrétique, destiné vraisemblablement à éviter de proposer un texte très long qui pourrait, de ce fait ne pas être compris. Le caractère syncrétique de ces énoncés, et plus particulièrement le premier donne à l’élève la possibilité de voir, de créer des liens et de développer une stratégie de résolution plus facilement perceptive. Les voici accompagnés de leurs résultats.
La première question du premier problème revient à reconnaitre une partie dans un tout (une banane et trois prunes dans deux bananes et quatre prunes), puis d’en déduire le prix d’une banane et d’une prune ensemble. La deuxième question revient aussi à un problème partie-tout, une fois résolue la première question. Ce problème, comme le deuxième impose d’observer les données, de créer des liens entre ces données, puis de conclure avec, encore une fois, des outils du cycle 2. Ils invitent non pas à appliquer des procédures, à utiliser des automatismes, mais à développer des capacités à chercher.
Le verbe « chercher » figure aussi dans les six verbes de l’incipit des programmes des cycles 2 et 3 qui caractérisent l’activité mathématique. Et pourtant d’aucuns, rappelons-le, ont émis des regrets que « priorité était donnée à l’activité de recherche des élèves au détriment d’autres aspects pourtant essentiels » [9]. Les deux derniers items analysés montrent clairement que « chercher » est une activité intellectuelle évaluée par TIMMS et que développer cette posture est fondamental. La France n’y brille pas !
Conclusion
Les élèves français n’affichent pas de bons résultats dans les « autres exercices [qui] appellent tous une capacité de réflexion dans des situations « simples » ; lire un graphique, donner l’aire d’un triangle rectangle… » [9]. Comme nous venons de le voir, ces échecs sont indépendants des programmes et avancer l’enseignement des notions serait illusoire, voire nocif, en vue d’une amélioration des performances des élèves. Elle n’en rendrait que l’enseignement français encore plus « élitiste » [9], allant dans le sens de regrets déjà exprimés par M. Durpaire lui-même.
L’analyse des Items montre qu’il est urgent de construire avec les élèves un panel de « registres de représentation sémiotique » et de ne pas enfermer les élèves dans un mode unique de représentation.
Travailler explicitement les spécificités de la langue en contexte mathématique, en faire un objet d’apprentissage intégré, bien ciblé, développé au fur et à mesure des besoins pointés par l’enseignant, pourrait constituer un aspect fondamental et constitutif de l’enseignement des mathématiques et améliorer les performances des élèves.
Mais ces conclusions seraient inutiles si un des objectifs essentiels de l’enseignement des mathématiques ne visait pas, comme d’ailleurs les autres disciplines, la promotion des capacités à créer des liens, à analyser les situations, à comprendre, à faire germer le doute scientifique, à promouvoir des outils élémentaires de vérification, à construire un esprit scientifique, donc critique, bref, à développer une véritable attitude de recherche en classe, ce que TIMMS évalue en grande partie et que les programmes actuels permettent et encouragent.
Les auteurs de l’évaluation TIMMS précisent qu’il « est important de souligner que les items de chaque évaluation TIMSS couvrent un éventail de capacités de réflexion, y compris la capacité des élèves à appliquer ce qu’ils ont appris, à résoudre des problèmes et à utiliser l’analyse et la pensée logique pour raisonner en situation » [7]. Ce disant, mais sans l’oublier, les auteurs de TIMMS ne réduisent pas les mathématiques à un aspect « application », mais expriment que le développement des capacités de réflexion et d’analyse sont essentiels. Il s’agit là sans doutes de véritables fondamentaux.
Mais retrouve-t-on là des finalités de l’école pour tous voulues par le pouvoir en place ? Les décisions prises depuis trois ans par le Ministère de l’éducation nationale semblent hélas démontrer le contraire.
Serge Petit
Professeur de Mathématiques honoraire de l’IUFM d’Alsace,
Université de Strasbourg
Références
[1] https://www.education.gouv.fr/media/73332/download
[2] Martinez S. Roditi E. Programmes scolaires et apprentissage de la notion de fraction à l’école élémentaire, Quelques enseignements tirés de TIMSS 2015, ÉDUCATION & FORMATIONS N°94 septembre 2017.
[3] https://www.education.gouv.fr/media/73328/download , p 82.
[4] Voir ce lien
[5] R. Duval, Sémiosis et pensée humaine, Peter Lang, 1995.
[6] R. Duval, https://gpc-maths.org/data/documents/duvalconversion.pdf
[7] https://www.education.gouv.fr/media/73325/download , p 17.
[8] Vergnaud G. in La Nouvelle revue de l’AIS : adaptation et intégration scolaires, janvier 2002, n° 17, p. 171-179.
[9] Durpaire J.L. Après TIMSS, le bonheur d’apprendre les maths, Café pédagogique du 17 décembre 2020.