Début février, les lycéens de terminale et leurs parents ont reçu, dans leur boite mail, un flyer vantant la nouvelle invention du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer : le « parcours préparatoire au professorat des écoles » (PPPE) qui ouvrira en septembre dans toutes les académies. Dans le même temps, une petite vidéo de présentation circule sur les réseaux sociaux. Le ministre y présente ce nouveau parcours, le qualifiant de « meilleur de l’enseignement supérieur ». Cette vidéo, très consultée ces derniers jours alors que Parcoursup vient d’ouvrir, est accompagnée de commentaires élogieux : nouvelle formation, très bonne chose, etc. La publicité promet d’être efficace. Mais de quoi ce PPPE est-il le nom ? Anissa Belhadjin et Bruno Robbes, enseignants-chercheurs engagés dans la préprofessionnalisation et la formation des enseignants à l’INSPÉ de Versailles, en proposent une analyse.
En quoi consiste cette formation ?
Pour mieux comprendre cette nouvelle formation permettant d’obtenir un diplôme de licence généraliste, il faut lire attentivement le cahier des charges de l’Appel à Manifestation d’Intérêt adressé en octobre dernier aux universités, qui devaient envoyer leur projet un mois plus tard. Ce document de 5 pages, en deux parties (principes généraux et éléments de cadrage), insiste sur la « forte visibilité/lisibilité » dans Parcoursup d’une formation labellisée par la DGESIP, qui doit être clairement nommée comme « préparatoire au professorat des écoles ». Cette formation est annoncée comme pluridisciplinaire et préparant à la polyvalence, mais doit prioritairement s’adosser à une licence de mathématiques ou de lettres. Elle doit également initier les étudiants « aux méthodologies et aux apports de la recherche appliqués aux mécanismes d’apprentissage chez l’enfant », les sensibiliser « à l’environnement institutionnel du MENJS et […] [au] cadre de la fonction publique d’éducation », leur donner des possibilités de « mobilité internationale » ou de stage « dans les structures et dispositifs relevant du handicap ». En outre, un « temps d’observation de ce qu’est la réalité du métier » doit être proposé très tôt, puis tout au long du parcours.
Là où le dispositif surprend, c’est dans l’architecture « de type CPGE couplée avec une formation en université conduite simultanément ». Il s’agit donc de rapprocher des lycées et des universités intéressés, pour former des étudiants se destinant au professorat des écoles . Suivant cette orientation, les contenus de formation sont définis de telle sorte que : en L1, les étudiants passeront 75 % de leur temps d’étude en lycée et 25 % à l’université pour « renforcer les fondamentaux » ; en L2, le renforcement des fondamentaux en lycée s’articulera, à parts égales, à une formation universitaire dans la majeure choisie ; en L3 enfin, c’est la partie universitaire qui sera renforcée, avec une inversion de la proportion de la L1. Un stage est également prévu chaque année : 3 semaines d’observation dans une école en L1 ; 3 semaines d’observation et de pratique accompagnée en L2 ; 4 semaines à l’étranger en L3.
Quant aux disciplines enseignées en lycée, le cahier des charges en donne une liste et un volume horaire très précis, dans le tableau ci-dessous :
Nous y trouvons logiquement les disciplines enseignées en lycée, les « temps d’échanges avec des professionnels et des conférences » étant évoqués « en plus des enseignements ». Enfin, comme s’il redoutait son éparpillement, le rédacteur réaffirme qu’ « il sera primordial de veiller à la cohérence globale de ce parcours de licence grâce à l’étroite articulation entre la partie lycée et la partie université́ ».
Éléments d’analyse
Que cache cette « très belle opportunité » (E. Geffray) qui présente « le meilleur de l’enseignement supérieur » (J.-M. Blanquer) ?
Premièrement, il est pour le moins curieux que pour le ministre Blanquer, « le meilleur de l’enseignement supérieur » soit… un enseignement en lycée : trois semaines en lycée pour une semaine en université en L1, même si, en L3, ce rapport s’inverse. S’adresser dans de telles proportions à des non spécialistes de l’école primaire pour amener des étudiants au métier de professeur des écoles est pour le moins étonnant. Imaginerait-on l’inverse ? Selon nous, la formation des professeurs des écoles doit être prise en charge par des équipes pluricatégorielles, associant des enseignants-chercheurs de différentes disciplines universitaires, des formateurs et des professionnels expérimentés, comme c’est le cas dans les INSPÉ jamais cités dans les documents analysés.
Deuxièmement, la présentation du PPPE apparaît peu cohérente avec la conception des savoirs et des enseignements à l’université. S’il est positif de vouloir assurer des bases solides aux étudiants dans les disciplines qu’ils enseigneront une fois qu’ils seront devenus professeurs, notamment en français et en mathématiques – il est vrai que bon nombre de formateurs en INSPÉ déplorent le faible niveau des candidats au concours –, préparer au métier de professeur des écoles ne peut relever d’une conception cumulative de savoirs disciplinaires, occultant la polyvalence et l’analyse réflexive. L’université permet aussi d’accéder à l’épistémologie des disciplines à travers leur histoire, de prendre conscience du caractère transitoire des savoirs, d’organiser ses connaissances et de les mettre en perspective. De même, une formation universitaire par alternance doit comporter un dispositif d’exploitation formative du stage, qui s’appuie notamment sur des modalités guidées d’analyses réflexives. Elle ne peut se limiter à une juxtaposition de cours et de stages.
Troisièmement, le PPPE ignore des pans entiers de savoirs scientifiques, pourtant indispensables au métier de professeur des écoles. Ainsi, un choix délibéré a été fait d’écarter certaines disciplines universitaires et des contenus de formation transversaux. Qu’en est-il, en effet, des dimensions historiques et socio-culturelles, axiologiques et éthiques, didactiques et pédagogiques de l’enseignement ? Où sont passées les recherches portant sur la connaissance des acteurs et des systèmes éducatifs, sur la réalité des situations d’enseignement et des pratiques éducatives, sur les processus de construction des apprentissages et du rapport au savoir des élèves ? Une fois encore, les sciences de l’éducation et leurs disciplines contributives (psychologie, sociologie, histoire, philosophie, didactique des disciplines, pédagogie, anthropologie, analyse du travail, etc.), qui peuvent apporter un éclairage dans ces domaines, ont été volontairement ignorées.
Imaginer une formation professionnelle initiale de futurs professeurs des écoles qui ne s’adosserait pas à la recherche disciplinaire, et plus largement à la recherche en éducation, est pourtant le choix qui a été fait. Il s’explique peut-être par la conception du ministre de l’Éducation nationale sur le « meilleur de la recherche » : « vous aurez accès au meilleur de la recherche en rencontrant des chercheurs, en participant à des séminaires, en visitant des laboratoires ». La recherche n’est-elle qu’un parcours touristique en pays étranger ? Et qu’est-ce qu’un laboratoire dans l’esprit du ministre ? Un lieu où se réalisent des expériences ? La recherche en éducation est pourtant loin de se limiter aux seules démarches expérimentales .
Délégitimer les INSPÉ ?
Pour conclure, le PPPE est donc loin du modèle de formation idéal qu’il prétend être. Les étudiants et leurs parents risquent d’être déçus. Autant les en avertir, alors que l’offre de formation et la sélection dans l’enseignement supérieur deviennent plus opaques que jamais depuis Parcoursup, et que la campagne de communication ministérielle à propos du PPPE lui accorde une place démesurée au détriment des licences , particulièrement de celles les mieux à même de former au professorat des écoles. Au final, le PPPE ne serait-il pas un moyen supplémentaire pour affaiblir les universités et, à travers elles, dénier toute compétence aux INSPÉ à former les enseignants ?
Anissa Belhadjin, Maîtresse de conférence en Littérature
Bruno Robbes, Professeur des universités en Sciences de l’éducation,
Co-président de l’AECSE
Laboratoire EMA (École Mutations, Apprentissages)
CY Cergy Paris Université – INSPÉ de Versailles