Si les pratiques des enseignants ont un effet sur les résultats des élèves comment les améliorer ? Benoit Galand (Université de Louvain) et Michel Janosz (Université de Montréal) publient un ouvrage (Améliorer les pratiques en éducation, Presses universitaires de Louvain) qui concerne très directement l’école française. Comment se fait-il que les tentatives de changement à grande échelle échouent ? L’ouvrage réunit plusieurs études qui invitent à s’intéresser davantage aux conditions d’application des recherches qu’aux découvertes de l’évidence based education. Et à travailler l’implantation de la recherche dans le monde enseignant.
L’échec de l’evidence based education
« Ce qui marche bien dans des expériences « sous cloche », très contrôlées, avec un nombre réduit de participants, se révèle souvent bien moins efficace, voire sans aucune valeur ajoutée, lorsqu’on tente de le généraliser à de vastes populations », écrit très directement Pascal Bressoux (université de Grenoble).
Il rappelle l’expérience de l’Institute of Educational Sciences (IES) qui, « depuis sa création en 2002, l’IES avait, en effet, commandité pas moins de 90 expériences randomisées. Sur ces 90 expériences, 77 se sont révélées ne comporter aucun défaut majeur (pas de problème d’attrition, pas de problème de puissance statistique, etc.). Le bilan de ces 77 expériences est que seulement 7 interventions (soit 9 %) produisaient des effets positifs ; les 70 autres (soit 91 %) ne produisant que des effets faibles ou pas d’effets positifs du tout.. Ce que nous révèle ce résultat est la difficulté de mettre en place, en situation scolaire, des programmes, des pratiques ou des stratégies qui améliorent effectivement les résultats des élèves. Si bien pensées soient-elles, les interventions ne produisent que minoritairement les résultats positifs attendus ».
Développer une science de l’amélioration
« L’evidence-based education ne doit pas être vue comme une manière impositive d’asséner des résultats de recherche forcément bons à des enseignants, forcément ignorants des grandes avancées de la science. Elle devrait être vue comme la facilitation des relations entre le monde de la recherche et le monde de l’École. Il est tout aussi vrai de dire que le « terrain » ne peut pas se passer des connaissances acquises par la recherche que de dire que la transcription des résultats de recherche en pratiques généralisées sur le terrain pose de redoutables problèmes », écrit P Bressoux.
P Bressoux plaide pour une « science de l’amélioration » au sens de ce que recommande Bryk ce qui implique une collaboration étroite entre chercheurs et enseignants. « Il faut des institutions qui la soutiennent et la promeuvent. Il faut que des institutions incitent chercheurs et enseignants à travailler ensemble, en rendant leurs intérêts, de même que leurs moyens et contraintes, compatibles entre eux ».
S Delisse et B Galand s’intéressent justement à cette implantation, clé supposée du changement pédagogique. « les dynamiques de changement fondé sur les preuves scientifiques visent à fournir aux enseignants des pratiques pédagogiques dont l’efficacité a été testée. Ces nouvelles pratiques sont censées aider les enseignants à améliorer leurs pratiques, et par conséquent, améliorer les apprentissages des élèves. Cependant, les recherches qui ont étudié les effets de la diffusion à large échelle de ces pratiques scientifiquement fondées ont révélé une grande variabilité dans leur mise en oeuvre (Vernez et al., 2006) ainsi que des tailles d’effet moyen relativement faibles sur les apprentissages des élèves (Borman et al., 2005 ; Slavin, 2008 ; Vaughn et al., 2015). Cela s’expliquerait notamment parce que les situations d’apprentissage sont des situations complexes suite aux interactions entre les enseignants et les élèves, et à la diversité des contextes d’apprentissage (Dupriez, 2015). Les situations d’apprentissage ne sont donc pas des situations techniques où une pratique pédagogique ayant fait ses preuves dans un cadre particulier entraînerait de facto la même réponse dans un autre contexte par sa simple mise en oeuvre… L’enjeu pour la recherche n’est pas tant de distinguer les pratiques efficaces de celles qui ne le sont pas, mais de documenter les conditions de l’efficacité de ces pratiques (dans quel contexte ont-elles fonctionné ?, avec quel type d’enseignant et d’élèves ?, par rapport à quelles autres pratiques sont-elles efficaces ?, etc.) ».
Un exemple : l’apprentissage collaboratif
Céline Buchs, Dimitra Filippou, Alain Quiamzade, Caroline Pulfrey et Yann Volpé étudient un cas précis : celui de l’implantation de l’apprentissage coopératif. Ils montrent que si cette modalité est efficace elle a beaucoup de mal à s’implanter dans l’école réelle. « Les enseignants perçoivent une faible adéquation du travail de groupe coopératif avec les objectifs et les moyens d’enseignement dans leur contexte, et rapportent des difficultés à créer des activités coopératives pertinentes tout en déplorant le manque de pistes concrètes adaptées à leur contexte. Les principes théoriques ne sont pas toujours pris en compte dans les mises en pratique et pourraient conduire à des essais contre-productifs et décourageants minant la volonté de mettre en oeuvre des travaux de groupe coopératifs, d’autant plus que l’investissement (en temps de préparation et temps en classe) nécessaire pour mettre en place les travaux de groupe est ressenti comme important et le rapport coût/bénéfices est alors perçu comme un frein. Enfin, la mise en oeuvre effective de pratiques coopératives se trouve contrecarrée lorsque le contexte met en avant des valeurs d’affirmation (pouvoir et réussite) ».
Goigoux : Miser sur des outils didactiques
Roland Goigoux, Juliette Renaud et Isabelle Roux-Baron fixent des objectifs à cette collaboration. « En France comme ailleurs, ceux qui pilotent les systèmes éducatifs se trompent s’ils croient qu’il suffit de communiquer les connaissances scientifiques aux enseignants pour qu’ils modifient leurs pratiques en conséquence ; qu’on peut imposer aux enseignants (et espérer qu’ils appliquent fidèlement) des dispositifs qui ont fait la preuve d’une certaine efficacité dans des situations expérimentales ; qu’une innovation ne peut être correctement diffusée et utilisée que si elle est soutenue par une formation ad hoc ou un accompagnement individuel », écrivent-ils. « Les solutions que nous préconisons reposent sur d’autres types de collaborations entre décideurs, chercheurs, formateurs et enseignants. Elles supposent d’accorder confiance et considération au travail des enseignants, de prendre appui sur leurs savoirs d’expérience ; de miser sur la conception et la diffusion d’outils ou scénarios didactiques innovants pour influencer les pratiques des enseignants et leur permettre d’acquérir de nouvelles connaissances sur les apprentissages ; de considérer l’activité de conception d’outils comme une activité scientifique à part entière associant étroitement chercheurs et enseignants dès le début du processus jusqu’aux phases d’essaimage ».
Tout l’ouvrage plaide donc pour une collaboration entre enseignants et chercheurs et pour la reconnaissance de cette collaboration dans la carrière des uns et des autres. Il siffle la fin de la domination des idées de Hattie sur l’éducation ou, plus précisément, le passage d’une recherche sur l’éducation à une recherche pour l’éducation. Pour la France il reste à mettre en oeuvre cette évolution. Car actuellement seules les recherches sur l’éducation ont à la fois les financements importants des PIA et la bénédiction ministérielle.
François Jarraud
Benoît Galand, Michel Janosz (dir), Améliorer les pratiques en éducation. Qu’en dit la recherche ?, Presses universitaires de Louvain, ISBN : 978-2-39061-094-6
On pourra aussi se référer au dernier numéro de la Revue de Sèvres