« L’institution scolaire, en s’ouvrant progressivement aux parents, a contribué à fabriquer une image du parent d’élève idéal, allié de l’école. Cependant, cette image du parent compétent, coopérant avec l’école et en maîtrisant les codes, fait courir le risque d’un jugement négatif sur les parents qui s’écartent de cette norme ». Dans une nouvelle Note du conseil scientifique de la FCPE, Pierre Périer, auteur de « Des parents invisibles » (PUF), fait un point clair et utile sur les relations compliquées entre les parents et l’école. Et sur les malentendus qui peuvent déboucher sur des drames.
La construction de la coopération Ecole – famille
Si l’on en croit les sondages, comme celui réalisé pour la Fcpe en septembre 2020, les relations entre les parents et l’Ecole sont bonnes avec 87% de parents satisfaits et 65% de parents jugeant que c’est l’institution la plus importante. Mais sous ce vernis, les inquiétudes ne sont jamais loin. 86% des parents sont inquiets pour la scolarité de leur enfants, la moitié juge l’école datée et rigide et une petite minorité seulement (16%) compte sur elle pour réduire les inégalités sociales.
La complexité de ce paysage renvoie à celle des relations des parents avec l’Ecole. C’est ce que montre très efficacement la Note de Pierre Périer pour la FCPE. Il rappelle que les relations entre parents et Ecole ont longtemps été des rapports de soumission. L’Ecole de la IIIème République tient les parents à l’écart de l’Ecole et impose le respect de l’obligation scolaire , avec accommodements locaux, aux parents. C’est l’époque où l’Ecole n’hésite pas à « civiliser » les parents en imposant la langue française ou des normes d’hygiène.
Après la seconde guerre mondiale, l’Ecole s’appuie sur de nouvelles associations de parents d’élèves qui représentent les parents toujours tenus en dehors de l’Ecole. P Périer note que c’est l’époque de l’apogée des associations de parents, et surtout de la FCPE. Depuis le mouvement associatif des parents a reculé et a peine à se maintenir. C’est qu’au tournant des années 1980, le rapport des parents avec l’école s’individualise et devient parfois consuméristes. Le recours au controle continu pour le bac illustre cela très bien en ce moment avec les pressions parentales pour la remontée des notes dans les lycées de centre ville.
Les mensonges d’une collaboration
Mais l’apport principal de la Note n’est pas ce rappel historique mais l’analyse critique qui est faite de la coopération demandée « tout naturellement » aux parents par l’Ecole. « L’idée de « travailler » avec les parents s’est donc progressivement imposée au point de représenter une « nécessité ». Elle requiert des parents qu’ils endossent un rôle de « parent d’élève » et acceptent une division du travail éducatif plus communément appelée coopération. Cette attente consiste à « suivre la scolarité », selon l’expression récurrente des enseignants, et à conforter l’école dans ses missions. Bref, le parent d’élève idéal doit se comporter comme un allié, agissant « dans le même sens » que l’école, doublé d’un auxiliaire pédagogique à la maison (que l’on songe aux devoirs), et d’un recours sur lequel compter en cas de difficulté », explique Pierre Périer.
Et c’est là où les problèmes arrivent. Car tous les parents ne sont pas égaux devant ce « métier de parent » que l’Ecole attend. « Une telle légitimité de parent d’élève fait défaut dans les classes populaires qui entretiennent une relation plus à distance de l’école et sans cette connivence permettant le dialogue, l’entente et une plus grande continuité entre le monde familial et le monde scolaire », rappelle P Périer. Il donne en exemple le travail de P Rayou sur les devoirs à la maison et ce qu’ils exigent des parents comme connaissance de l’Ecole.
La construction du parent démissionnaire
Pour P Périer, « L’institution scolaire a fabriqué sans l’expliciter une figure de parent d’élève dont elle attend qu’elle se conforme à un certain rôle et adopte les règles du jeu qu’elle a définies pour eux mais sans eux. Elle reconnaît et gratifie par ce biais un certain type de comportement face à la scolarité et à l’école mais au risque de juger négativement tout ce qui pourrait s’en écarter. En d’autres termes, la norme du « parent d’élève » produit, en son envers, la figure déviante du parent « démissionnaire », jugé défaillant au regard de la fonction et de la place qui lui sont assignées ». Quand les difficultés scolaires arrivent l’Ecole a tendance « à externaliser la source du problème et à voir dans la famille la source du problème ».
Dans les familles populaires, on assiste alors à trois stratégies. Soit on passe de la confiance dans l’Ecole à la méfiance. Et on a vu dans le passé que celle-ci peut aller très loin. Soit on naturalise la difficulté scolaire :l’enfant est déclaré « peu doué » pour l’Ecole et on ne fait rien. Soit on évite l’Ecole et ses jugements et on devient un parent « invisible », pour reprendre le titre du livre de P Périer.
Une forme de domination
Pierre Périer attire l’attention des parents de la FCPE sur trois points. Le premier c’est que la coopération entre l’Ecole et les parents n’est pas naturelle. Elle est récente et ne va pas de soi. Le second c’est que « loin de corriger les inégalités, la coopération entre les familles et l’école pourrait bien paradoxalement les redoubler, celles des enfants dans les apprentissages se combinant à celles des parents face à l’école ». Le troisième c’est que la réponse es dans l’association des parents à ce qui les concerne dans l’institution scolaire « de façon à ne pas agir pour eux ou avec eux mais à partir d’eux ».
Dans un entretien qu’il avait donné au Café pédagogique en septembre 2019, Pierre Périer voyait les relations entre l’Ecole et les parents comme une « domination douce ». Il ajoutait : « Sous le prisme de la coopération avec les parents on fabrique des parents défaillants et l’école se dédouane à bon compte ». La remarque est exacte pour les parents des milieux populaires. La domination peut aller dans l’autre sens dans les établissements de centre ville où Jean-Paul Payet parle de « professeurs domestiqués » par les parents.
Une domination aggravée par le confinement
Il y a plusieurs sous-entendus dans cette Note de Pierre Périer. La plus visible c’est que l’idée de proximité coopérante entre l’Ecole et les familles est une idéologie et une politique qui favorise une partie de la population. Son rappel incessant, implicite ou explicite, dans l’institution scolaire rappelle que celle-ci tourne au bénéfice des favorisés et de la reproduction sociale. Tout enseignant ou parent qui ne se conforme pas à cette norme est forcément « déviant ».
Le second c’est que le confinement n’a pas changé la donne. C’est JP Payet qui en parle le mieux dans un entretien donné au Café pédagogique en avril 2020. « La crise sanitaire, sous sa dimension de fermeture des écoles et de confinement des familles, a permis d’expérimenter une situation qui me paraît très révélatrice du fantasme de nos élites dirigeantes en matière de scolarisation. L’outil technologique de la connexion à distance rend possible la mise en œuvre de ce qu’aucune politique n’avait osé faire jusqu’à présent : l’école à la maison, au sens non pas d’un choix des parents, qui scolarisent à domicile, mais au sens d’une intrusion et d’une installation de la forme scolaire dans l’espace familial. Là où les devoirs à la maison réussissaient à prendre un peu d’espace et de temps, mais parfois beaucoup avec des élèves en difficulté et des parents n’étant pas en mesure de les aider, l’école à la maison version télé-enseignement a totalement envahi et conquis, au sens presqu’impérialiste du terme, l’espace familial. Les parents ne sont plus invités à être des partenaires, ils sont sommés de l’être, et sous la forme décidée par l’institution, c’est-à-dire d’être des auxiliaires de l’école ». Pour lui, « Cette incapacité à penser les dégâts de la crise sanitaire sur les familles précaires est sidérante. Comme si, l’angoisse de rapporter le virus à la maison pour les travailleurs du « front », la baisse des revenus pour ceux en chômage technique ou mis au chômage, la faim qui s’installe à la maison, étaient des réalités négligeables et sans effet sur l’engagement des parents dans l’accompagnement scolaire de leurs enfants ! Si l’égalité devant la situation de fermeture des écoles avait été au premier plan du souci politique, on aurait pu imaginer d’autres façons de préserver le rapport des élèves à l’apprentissage, en desserrant la pression scolaire, en s’éloignant du programme, en restaurant le rôle apprenant des parents dans leurs domaines de compétence, en favorisant des réseaux d’échange de savoirs entre familles ».
Dans la période actuelle où un nouveau confinement, sous une forme ou une autre, s’annonce, il n ‘est pas inutile de rappeler les analyses de Pierre Périer et Jean-Paul Payet. Du moins si on veut construire une société où les rapports sociaux évoluent.
François Jarraud
P Périer : Des parents invisibles
JP PAyet : réinterroger la relation parents école