Fidèle et éclairant. Le rapport de synthèse du colloque du Conseil scientifique de l’Education Nationale (CSEN) organisé à l’occasion du Grenelle de l’éducation sur le thème du professeur du XXIème siècle est conforme aux contributions du colloque. Organisé autour de 5 questions, il décrit un métier où, sous couvert du développement du travail d’équipe, l’enseignant est en permanence sous surveillance et en évaluation. Le principal enseignement du rapport est de montrer à quel point des membres du CSEN l’utilisent au service d’une ambition politique, celle de JM Blanquer.
Cinq questions pour un nouveau métier
Le rapport de synthèse du colloque organisé par le CSEN lors du Grenelle de l’éducation, élaboré par Yann Algan avec les contributions de Stanislas Dehaene, Élise Huillery, Elena Pasquinelli et Franck Ramus, dessine un nouveau métier enseignant entièrement fidèle à la vision ministérielle, telle que JM Blanquer a pu la présenter dans ses ouvrages récents. Il le fait en s’appuyant sur des travaux et des modèles soigneusement choisis et en écartant les nombreux échecs des politiques vantées dans le rapport.
Il est construit autour de 5 questions : » Pourquoi l’éducation et les professeurs sont-ils l’investissement du 21ème siècle ? Quelles sont les nouvelles connaissances et compétences des élèves au 21ème siècle, et les pratiques pédagogiques associées pour les professeurs ? Quelles sont les formations initiales et continues pour le professeur du 21ème siècle ? Quelles sont les nouvelles conditions de travail et d’enseignement, notamment grâce aux technologies numériques ? Quels nouveaux modes de gouvernance et comment favoriser la collégialité et la gestion des ressources humaines à tous les échelons du système éducatif ? »
Légitimer les inégalités
Sur le premier point, le rapport utilise les données de Pisa qui, depuis des années, montrent l’intéret économique pour la société et les individus et aussi le bénéfice social du niveau d’instruction. Ainsi les personnes les plus instruites gagnent plus, sont en meilleure santé et sont plus satisfaites de leur vie. Ce qui n’est rien d’autre que la légitimation par l’Ecole de la construction sociale. Cette question sert surtout à valider l’idée très à la mode de l’importance des compétences socio-comportementales dans le système éducatif. Leur enseignement pénètre d’autant plus facilement dans le système éducatif qu’elles sont socialement très clivantes. Avec JM Blanquer on en a des illustrations avec le « grand oral » , certaines modalités d’orientation dans parcours sup (la lettre de motivation par exemple), toutes pratiques descendues des formations du supérieur.
Mettre le métier enseignants sous surveillance
Mais le rapport met surtout l’accent , à travers les 3 derniers thèmes sur l’évolution du métier enseignant. Les auteurs veulent réécrire le référentiel de compétences des enseignants pour en faire un cadre contraignant organisant la progression de carrière. » Réorganiser le référentiel de compétences, dans la lignée du rapport du CSEN, afin de rationnaliser la formation selon les domaines de compétence attendus des enseignants, et leurs différents niveaux de maîtrise, de manière synthétique et lisible. Un tel référentiel présenterait un double avantage : Servir de cadre à la structuration et à l’élaboration des contenus de la formation initiale et continue ; Lier la progression de l’enseignant dans les niveaux de maîtrise de chaque compétence avec le déroulement de sa carrière ». La carrière dépendrait de la conformité acquise à travers des « formations » aux attendus fixés par le référentiel.
» Mettre en place des formations fondées sur « l’apprentissage actif et collaboratif », avec un dispositif d’observation et de formation par les pairs, et le développement de formations en fonction d’objectifs partagés de l’établissement ». Notez bien que les formations seraient toujours décidées sans avis des enseignants (« par l’établissement ») et que l’argument des pairs est lié à « un dispositif d’observation ». Le tout aboutit à « un système de valorisation » dans la carrière des enseignants. Des « temps collectifs » seraient introduits dans les obligations de service pour surveiller le maintien de la conformité des enseignants.
Inutile de chercher où les auteurs ont trouvé ce modèle. Ils l’indiquent eux mêmes : c’est Singapour. Voilà un pays où les enseignants sont surveillés et évalués en permanence en formation et dans leur classe par des pairs un peu plus anciens, selon un système de grades sophistiqué. Tout le système est tendu vers l’application de référentiels imposé à la profession et qui ne peut en aucun cas être critiqué puisque « basé sur la recherche ».
Libéralisme et autoritarisme
Ce modèle fonctionne semble t-il à Singapour, une ville état soumis à un pouvoir autoritaire dans une société de tradition chinoise. Par contre le colloque du Cnesco sur la formation des enseignants a montré les difficultés à l’importer en Europe, souvent en lien avec des tentatives pour brider les organisations enseignantes.
Ainsi en Ontario (Canada), sous prétexte d’efficacité, c’est toute une évolution du métier qui est enclenchée avec des enseignants chargés de nombreuses nouvelles missions et enfermés dans un cadre idéologique très fort. Le lien entre une famille politique et cette « reculturation » des enseignants est parfaitement assumé. L’alternance politique interroge maintenant ce système. Au Québec la tentative d’instaurer ce modèle a échoué. En Europe c’est l’Estonie qui a tenté d’importer les mêmes idées. On y a vu une tentative d’imposer des référentiels et une nouvelle conception du métier, portée par un ordre professionnel (comme en Ontario et au Québec), mais avec un syndicat qui a su résister.
L’impérialisme idéologique d’une partie du CSEN se marie très avec le projet libéral et autoritaire pour l’Ecole qui est porté par JM Blanquer. Ce courant ignore le doute. Il est proche du pouvoir et il ira aussi loin que les enseignants le permettront.
François Jarraud
Grenelle : Un colloque pour modifier la carrière des enseignants
Cnesco : le dossier sur la formation
Notamment : Pourquoi diable les enseignants refusent-ils leur développement professionnel ?