Un matin de la semaine dernière, nous avons réactivé les échelles, en cinquième. Nous sommes entrés par des exercices. D’abord, une mouche. Une grande, grande photographie de mouche, qui s’affiche au tableau en même temps qu’est distribuée l’activité. Je préfère commencer par un agrandissement, qui me semble scolairement plus inhabituel : quand on parle échelle aux élèves, ils citent les plans, les microbes, les maquettes de Tour Eiffel. Alors autant commencer par déconstruire ces réflexes. Et une gigantesque mouche, c’est l’assurance d’obtenir sans effort l’attention de chacun.
Sachant que le corps de la mouche représentée mesure en réalité 1 cm, quelle est l’échelle de cette photographie ? Le problème étant posé, je laisse les élèves chercher et s’interroger.
Première question : madame, une mouche aussi grosse, ça n’existe pas ?
Deuxième question : c’est quoi une échelle ?
Ah, bien. C’est quoi, une échelle ? Je retourne la question à la classe. Un élève propose une référence médicale : sur une échelle de 1 à 10, on peut évaluer sa douleur. Un autre propose que « c’est le nombre de fois qu’on a agrandi la mouche ».
D’accord, mais comment faire ? Les élèves dialoguent en classe entière :
– « On découpe un bout de papier de 1cm de long et on regarde combien de fois on peut le mettre dans la mouche. On la recouvre et on compte. »
– « Non, il ne faut pas la recouvrir, il faut juste utiliser la longueur de 1cm. Tu ne sais pas comment il est large, ton bout de papier, en plus. »
– « Alors on met des bouts de papier de 1cm de long bout à bout pour faire une queue leu-leu tout du long de la mouche et on compte et ça donne le nombre de fois qu’on cherche comme il a dit. »
– « Ouais bah alors autant mesurer, pourquoi tu t’embêtes avec des bouts de papier de 1cm ? »
– « Ah ouais, pas bête. »
– « Alors on mesure et le nombre de cm qu’on trouve c’est l’échelle. »
– « Moi je crois l’échelle c’est une fraction avec un 1 quelque part. »
– « Tu nous embrouilles, là. »
– « Peut-être, mais je crois que c’est comme ça, une échelle. »
– « Des fois sur les plans c’est un trait avec un truc marqué dessus. »
– « Ah oui, j’ai vu ça déjà. »
– « On pourrait mesurer, déjà ? »
– « Oui, mais on mesure quoi ? On part du bout des pattes ? De ses fesses ? On compte les antennes ? »
– « La consigne elle parle du corps. On compte juste la partie qu’est ronde, non ? »
– « Faut demander à la prof, parce que moi mes jambes elles sont dans mon corps. Pourquoi on compterait pas les pattes ? »
25 paires d’yeux se tournent vers moi, qui attends tranquillement qu’on ait besoin de ma participation. C’est moi qui ai écrit la consigne, en entendant par « corps » du bout de la tête à la fin de l’abdomen. J’écris le mot « abdomen » au tableau et je l’explicite.
À partir de là, tout va vite : les élèves trouvent des valeurs qui tournent autour de 7cm, décident que 7cm c’est pratique « parce que les nombres avec des virgules ça complique », et me proposent d’écrire « la mouche est agrandie 7 fois sur la photo », ou de tracer un segment de 7 cm et de marquer dessous « 1 cm ». J’encourage l’élève qui a parlé de fraction à proposer sa notation, et il hésite entre 1/7 et 7/1. Mais des élèves que j’ai eus en sixième se souviennent qu’une échelle s’écrit « longueur sur le dessin/longueur réelle », et nous écrivons aussi alors 7/1. Nous revenons sur la proposition initiale de recouvrir la mouche : dans une échelle, quelles grandeurs sont interrogées ? Cela nous permet de réactiver les notions de longueur, d’aire, de volume.
Ensuite, le collège. Ce n’est pas aussi frappant qu’une mouche géante, mais c’est familier pour les élèves. Il s’agit de trouver la longueur du bâtiment dans lequel se trouve ma salle, le bâtiment dit de techno.
Nous reformulons l’échelle : le bâtiment réel est 1 750 fois plus long que sur la photo. La photo est une réduction ; ses mesures de longueur sont le résultat des mesures réelles divisées par 1 750. Les élèves me proposent de mesurer la longueur sur la photo et trouvent 4 cm. Ils ne sont pas tous d’accord : certains trouvent 3,8 cm ou 3,9 cm, voire 3,5 cm, mais nous avons tous envie que le calcul soit simple. Alors zou pour 4 cm qui semble faire consensus. 1 750 x 4, ça fait le double du double de 1 750, soit le double de 2 000+1500, soit 7 000. Nous nous accordons sur l’unité : 7 000 cm, ou encore 70 m. Je voulais parler unités de longueur, ça c’est fait. Bien.
Comme des élèves ont proposé pour conversion 0,7 m ou 700 m, nous discutons ordre de grandeur : 1 m, c’est quoi ? C’est la longueur de ma règle de tableau, c’est un « grand pas ». Le couloir peut-il raisonnablement mesurer 7 dixièmes de ma règle ? « Noooon ». Et 700 longueurs de règles ? Heu non, sinon aller aux toilettes demanderait un gros bout de temps. J’ajoute : si ça vous tente, mesurez-le, ce couloir ! Comptez des grands pas d’un bout à l’autre et dites-moi. Et je continue sur les échelles.
D’habitude, je dis ça aussi, mais il ne se passe rien. Cette année, un groupe d’élèves d’une de mes classes s’est posé la question pour de vrai. À la récréation de l’après-midi, elles ont gambadé d’un bout à l’autre du couloir en dénombrant leurs grands pas, puis leurs petits pas. J’ai adoré cette démarche, évidemment, et plus encore quand j’ai compris qu’elle nous emmènerait plus loin. Car elles sont revenues me voir, perplexes :
– « Madame, on a mesuré et ça va pas trop. On a 58 grands pas. Pour trouver 70, il faut compter des petits pas. »
Ah, voilà qui est intéressant. Mais avez-vous fait des grands pas d’1 m ? Comment faire pour vérifier plus précisément ? Et si je vous confiais des règles de tableau ? Alors c’est parti :
Un élève d’une autre cinquième voit la scène et me dit qu’on pourrait compter les carreaux par terre, plutôt. Un élève de sixième venu lire dans ma classe sur le temps de la récré sixième se charge de mesurer le côté du carreau, en tenant compte du joint.
Bilan des courses :
• 70 petits pas, pas possible de l’interpréter ;
• 58 grands pas, donc sans doute dans les 58 m (au lieu de 70 m par mesure sur le document) ;
• 54,5 règles, donc 54,5 m (les filles ont tenu compte des « petits bouts pas gradués » de la règle) ;
• 173 carreaux de 30 cm de côté chacun, soit 173 x 30 = 5190 cm, ou environ 52 m.
Alors que faire de tout cela ? Parce qu’en effet, ça ne va pas du tout… L’exploiter, bien sûr !
Puisque ces élèves se sont donné du mal pour mesurer de différentes façons, nous allons y réfléchir collectivement : quelle méthodologie de mesure semble la plus sûre ? Pourquoi une telle différence avec le résultat obtenu à partir du document ? Nous pourrons parler geste de mesurage, précision, impact d’approximations selon l’échelle, manipulation d’images, et peut-être les élèves penseront-ils que moi-même, j’ai arrondi l’échelle pour permettre le calcul mental rapide… Forcément, ma programmation va s’en ressentir, car nous allons sans doute passer une demi-heure sur la question. Mais nous aurons donné du sens, et ces élèves pourront témoigner, expliquer, j’espère avec autant de bonheur que lorsqu’elles ont décidé d’expérimenter.
Je ne sais pas ce qui me satisfait le plus : que ces élèves aient eu envie d’aller au bout de la démarche et se le soient permis avec confiance, qu’elles se posent des questions de façon très ouverte, ou de les voir vivre les maths avec de si beaux sourires…
Claire Lommé