Peut-on lire et étudier une œuvre aussi longue et complexe que Germinal dans une classe de 4ème ? Le défi a été relevé par Mélanie Bardot au collège REP Joliot-Curie de Lallaing dans le Nord. Pour ce faire, l’étude de l’œuvre devient un projet de classe, motivant et engageant : Zola est accusé par les directeurs de mines de donner une mauvaise image de l’univers minier ; en tant qu’ « experts en littérature », les élèves vont mener l’enquête ; et au final ils vont jusqu’à élaborer le procès du romancier. La démarche favorise aussi interdisciplinarité et différenciation pour développer compétences d’analyse et d’argumentation : jusqu’à susciter l’engouement des élèves, témoigne l’enseignante.
Dans quel contexte avez-vous mené ce travail ?
Le projet a été mené dans le cadre d’un EPI avec une classe de 4ème sur la révolution industrielle et la société minière au XIXème siècle, dans un établissement REP. Il regroupe les disciplines suivantes : Français, Histoire, Physique-Chimie, SVT. La finalité de l’EPI était la création d’une nouvelle sur le thème de la mine. En Français, l’étude de Germinal s’intégrait parfaitement à la thématique du regard porté sur la société.
Quelles difficultés vous semblent présenter la lecture et l’étude d’un roman tel que Germinal en 2020 ? A quelles conditions peut-on selon vous tenter de l’aborder ?
La lecture et l’étude de Germinal semblent poser plusieurs difficultés. Le thème est parfois complètement perdu de vue par les élèves malgré les références présentes dans la commune (terril, décorations, chevalet). L’œuvre est longue et résistante : la lecture nécessitera des adaptations pour certains élèves, notamment pour les élèves dyslexiques. Germinal est une œuvre qui va poser un grand nombre de difficultés lexicales à la lecture, notamment en raison de la spécificité de l’écriture naturaliste. L’œuvre, enfin, met en scène un univers violent qui peut heurter la sensibilité d’un jeune public. L’étude du roman nécessitera donc une préparation préalable pour entrer dans l’œuvre afin de contourner les difficultés rencontrées.
Vous avez réussi à mobiliser les élèves en concevant le travail comme une enquête : en quoi consiste cette démarche ?
La démarche d’enquête permet à l’élève d’être véritablement acteur de ses apprentissages. Le compte-rendu et le point de vue adoptés lors du procès sera propre à l’élève. En tant qu’enquêteur, l’élève doit réaliser des recherches et des analyses qui lui seront personnelles. La démarche d’enquête permet aussi à l’élève de donner du sens à la lecture et à l’analyse de l’œuvre : il y trouvera un véritable objectif, la lecture sera active puisque l’élève devra chercher des éléments de manière autonome, et cela lui fera sens.
Comment avez-vous lancé l’enquête ?
Elle a été lancée de manière fictive grâce à un diaporama dans lequel Zola se faisait accuser par les directeurs de mines de donner une mauvaise vision de l’univers minier, et que cela nuisait à leurs intérêts. Ils en appelaient donc à la justice et, en tant qu’experts en littérature, les élèves étaient sollicités pour mener l’enquête et dire si effectivement Zola donnait une mauvaise vision de l’univers minier. Cela a éveillé l’intérêt et l’appétence des élèves face à cette mission.
Les élèves ont été amenés à concevoir des procès de Zola : avec quelle étapes de travail préalables ?
Les élèves devaient donc étudier Germinal, lire l’œuvre et l’interpréter, en classe dans le cadre des lectures analytiques, ou à la maison en créant un « blog », via l’ENT, de l’un des personnages de l’histoire. Dans le cadre de ce travail, ils devaient finalement relever des arguments. Une fois ce travail mené, ils devaient rédiger un rapport d’enquête afin de synthétiser leurs travaux de recherches. Ensuite, ils pouvaient préparer le procès à proprement parler : soit décider de défendre Zola, soit de défendre les directeurs et actionnaires des compagnies minières.
Quel dispositif pour les procès eux-mêmes ?
Plusieurs procès se déroulaient en même temps. Pour chaque procès il y avait les avocats des deux parties, un juge modérateur du débat qui devait poser des questions si besoin, et des médiateurs assistants du juge qui devaient prendre en notes les principaux arguments avancés durant le procès afin de les présenter ensuite au reste de la classe lors de la séance suivante.
Chaque procès se déroulait en deux temps. D’abord, les avocats de la partie civile faisaient un discours pour incriminer Zola. Ensuite, l’avocat de Zola le faisait afin de défendre son client. Une fois cette première partie réalisée, des joutes oratoires s’en suivaient afin que chaque élève puisse rebondir sur ce que l’autre avait dit.
Comment favorisez-vous une lecture différenciée du roman ?
Pour la lecture de Germinal, j’ai proposé plusieurs démarches aux élèves. Soit la lecture intégrale de l’œuvre, accompagnée ou non d’une lecture audio afin de faciliter et motiver la lecture. Soit la lecture d’une œuvre abrégée pour les élèves en difficultés : il ne s’agit pas d’extraits choisis ou d’une histoire réécrite, mais de passages supprimés afin d’abréger l’œuvre. Certes ces éditions suppriment parfois l’essence même de l’œuvre naturaliste en supprimant les passages descriptifs. Cependant, dans cette démarche, l’intérêt était que les élèves lisent l’œuvre afin de trouver des arguments nécessaires à la réalisation du procès. Avec le visionnage du film de Berry en complément ou en substitut, pour les élèves parfois dans l’incapacité de lire une œuvre longue.
Vous adoptez aussi des approches diversifiées des textes étudiés : quelles sont ces différentes approches ?
Pour moi, pour qu’une séance de lecture analytique soit efficace, il faut que le sens émerge des élèves, et donc qu’il s’investisse dans cette analyse. Pour motiver cet investissement, il faut selon moi varier les entrées.
Pour entrer dans l’analyse, je choisis donc de passer par exemple par le dessin : les élèves doivent illustrer le texte étudié et justifier les choix d’interprétation sur une feuille annexe en s’appuyant de manière précise sur le texte. Cette démarche permet aux élèves de manifester leur compréhension et leur interprétation sans que cela ne passe nécessairement par l’écrit. Le travail de justification est alors intéressant : « Pourquoi as-tu représenté ceci ? Explique-toi. Qu’est-ce qui, dans le texte, t’a permis de dessiner cela? ».
Ou encore par l’écriture d’invention : les élèves s’attendent à lire quelque chose, l’écrivent, et ensuite on compare le travail mené avec ce qu’a fait l’auteur. Dès lors, on peut entrer dans l’interprétation : « l’auteur, lui, a procédé ainsi, pourquoi ? »
Ou enfin par la lecture d’images : on interroge une représentation, on la compare ensuite avec l’œuvre originale. Et donc à partir de cela, on peut entrer dans le sens du texte et mettre en relief ce qui est commun aux images étudiées, ou ne l’est pas, et donc entrer dans l’interprétation de l’œuvre.
Comment les élèves ont-ils préparé le procès de Zola à proprement parler ?
Pour préparer le procès, les élèves devaient d’abord avoir une vision objective de ce qu’était l’univers minier à l’époque de Zola. Pour cela, ils ont dû faire des recherches et créer des diaporamas, sur des thématiques précises comme les outils utilisés, les métiers, etc. Ils devaient connaître l’auteur et le mouvement littéraire : ils ont dû réaliser une interview radio de Zola. Ainsi le présentateur posait des questions à l’auteur qui y répondait. Ils devaient encore connaître l’histoire : ils ont dû réaliser le blog d’un personnage en utilisant l’ENT. Ils devaient se mettre dans la peau de ce personnage et imaginer des statuts du blog au fur et à mesure de la lecture. Entrer dans l’analyse des lectures analytiques, travailler l’art argumentatif (comment rédige-t-on une argumentation ?), travailler l’oral de manière régulière : grâce à tout cela, ils pouvaient formuler des arguments afin d’alimenter le procès.
Au final, quel bilan tirez-vous du travail mené ?
J’ai été très contente du résultat. Les élèves prenaient beaucoup de plaisir à réaliser les procès et cet engouement montrait que les élèves s’étaient approprié l’œuvre zolienne. Ils portaient un jugement sur cette œuvre, défendaient leurs points de vue, souvent avec vigueur. Donc, l’objectif était atteint : ils étaient capables de parler d’une œuvre résistante et de donner un avis sur celle-ci.
Les difficultés rencontrées étaient que, lors des procès, les arguments étaient parfois peu probants et qu’ils étaient répétitifs. Malgré l’intervention du modérateur qui relançait le débat en posant des questions. Les élèves avaient du mal à trouver des arguments autres que ceux formulés dans le cadre des lectures analytiques.
Qu’est-ce qui dans ce travail vous semble transférable sur d’autres œuvres ?
La démarche d’enquête est transférable à de nombreuses œuvres. On peut ainsi réfléchir sur un personnage (la question de l’héroïsme par exemple en classe de 5ème, accuser un personnage de monstrueux, alors qu’il ne l’est peut-être pas, en classe de 6ème), autant que sur la démarche d’un auteur (La Fontaine est-il coupable de critiquer les puissants, en classe de 6e).
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut