Membre du groupe d’experts chargé de la rédaction du projet de programme de 2015, Patrick Lamouroux, professeur et formateur en EPS, réagit à la nouvelle Note du Conseil supérieur des programmes sur la maternelle. Il dénonce une méthode « contestable » et « méprisante » et des enseignants » tirés une nouvelle fois à hue et à dia par une nouvelle orientation contradictoire ». Surtout il attire l’attention sur les limites de la Note. « Il apparait très significatif et très contestable que (la Note) ne prenne en compte aucun des autres domaines d’apprentissage. Cette absence témoigne d’un mépris de la cohérence globale du texte et illustre une méconnaissance des nombreux travaux fondant l’importance fondamentale de ces apprentissages à cette étape de la scolarité ».
Une méthode contestable
En 2015, après huit mois de travail, le programme de l’école maternelle est publié dans le cadre de la Loi de Refondation de l’Ecole. La réflexion préalable s’est nourrie de la consultation de dizaines de chercheurs, d’experts porteurs de points de vue divergents et centrés sur des objets de travail différents, de professionnels (et en premier lieu d’enseignantes et d’enseignants), de représentants du milieu associatif et syndical, de fédérations de parents. Cette concertation s’est opérée en toute transparence et avec une envergure sans précédent. L’ambition affichée du groupe des experts chargés de la rédaction du projet de programme (quatre chercheurs, deux professeurs des écoles, une Inspectrice de l’Education Nationale, un conseiller pédagogique, deux responsables de mouvements pédagogiques (le GFEN et l’AGEEM), tous spécialistes des apprentissages des jeunes enfants) était de redonner sa place à l’école maternelle en tant qu’école première, réaffirmer son identité et la spécificité de ses démarches, insuffler aux enseignant(e)s concerné(e)s un élan nouveau et fondateur. Au final, la version définitive du texte n’est rédigée qu’après une consultation nationale des enseignants. Or, en cinquante pages confuses, huit inspecteurs et trois scientifiques viennent de rédiger une « note d’analyse et de propositions sur le programme d’enseignement de l’école maternelle » qui fait clairement part de la mort annoncée de ces avancées majeures saluées par la communauté éducative.
La méthode est profondément contestable. Il suffit donc de travailler à déposséder peu à peu le Conseil Supérieur des Programmes de son indépendance, de réunir trois (!) scientifiques de renom acquis à la direction souhaitée et de confier une plume complaisante à des Inspecteurs Généraux, dont la plupart sont loin d’être des spécialistes de l’école maternelle, pour tirer un trait sur un programme qui a reçu l’approbation unanime du Conseil Supérieur de l’Education et de l’ensemble de la communauté éducative. Voilà donc désormais le niveau d’ambition et l’urgence : faire rédiger en petit comité consanguin, à la va-vite, une note parcellaire (elle ne se centre que sur une partie du programme), d’une rédaction indigente (abusant des copiés-collés, elle peut affirmer une chose et son contraire dans la même phrase ou le même paragraphe), mal structurée (on cherche en vain la logique de sa construction), inexacte et parfois malhonnête (ses interprétations du texte originel sont sans cesse orientées par l’obsession de la démonstration attendue). Le procédé est également cousu de fil blanc. En quoi, si ce n’est par stratégie politique, existe-t-il un lien entre la scolarisation à trois ans désormais obligatoire et la remise en cause du programme de 2015 ? En quoi, si ce n’est par orientation idéologique, ce qui était préconisé il y a cinq ans en matière d’apprentissage des jeunes enfants (déjà scolarisés à 97%) est-il rendu caduque du fait qu’il s’adresse à présent à toutes et tous ? En quoi, si ce n’est par opportunité et désir de déconstruction, sensibiliser les parents à la nouvelle obligation d’assiduité de leur enfant doit-il conduire les professionnels à reconsidérer à ce point les apprentissages attendus ? A l’évidence, le Ministre saisit ce prétexte pour jeter aux oubliettes le fond même du programme de 2015, pour inféoder les contenus et démarches de la maternelle aux attendus du CP, pour justifier l’essentielle centration sur le Français et les Mathématiques et pour appliquer enfin, au cycle 1, son obsession des tests et des évaluations (dès 3 ans !) au nom de la justice sociale. En oubliant en passant qu’il s’était engagé à ne pas promulguer de nouvelle loi et à ne pas toucher à la maternelle…
Argumentation malhonnête
La méthode est également méprisante. En premier lieu pour les enseignants, tirés une nouvelle fois à hue et à dia par une nouvelle orientation contradictoire. Les documents produits en 2015 constituaient une réelle unité ; programme d’enseignement, ressources d’accompagnement par domaine d’apprentissage, modalités d’évaluation et carnet de suivi. Il faut du temps aux enseignants pour se les approprier et en premier lieu du temps de formation, initiale et continuée. Même si des ruptures sont parfois nécessaires, il faut aussi et surtout de la continuité, au risque de décrédibiliser définitivement la notion même de programme d’enseignement. A l’origine, la création du Conseil Supérieur des Programmes était destinée précisément à éviter ces soubresauts politiques, ces effets de balanciers incessants en instituant une structure indépendante, notamment de la tutelle des Inspections Générales.
Brouillonne, l’argumentation présentée est souvent malhonnête, procédant de l’amalgame. Non, le jeu n’occupe pas « une place privilégiée » dans le programme de 2015. C’est même à ce titre que le texte originel distingue « quatre modalités spécifiques d’apprentissage ». Non, le programme de 2015 ne sous-entend pas qu’il suffit que « l’enfant joue pour apprendre ». Il dit même le contraire. Non, « tous les apprentissages des jeunes enfants » ne gagneraient pas « à s’appuyer sur des jeux ». C’est à ce titre précisément que le programme de 2015 souligne l’importance des situations où l’enfant « réfléchit, résout des problèmes, s’exerce, se remémore et mémorise ». Encore faudrait-il clarifier ce que l’on entend par « jeu » ce que la note produite ne fait qu’obscurcir par manque de rigueur sémantique. Non, il n’est pas vrai que le programme « ne met pas suffisamment l’accent sur la langue écrite et orale comme premier moyen d’entrer dans les apprentissages et comme condition de la réussite scolaire ». Non, il n’est pas « significatif de noter que l’expression langue française n’apparait que deux fois dans l’ensemble du programme ». De quelle autre langue pourrait-il s’agir ? Non, le programme de 2015 ne réduit pas « les mathématiques à des outils dont la seule finalité serait de structurer la pensée ». Non, il est faux d’écrire que ce programme ne fait pas « une place suffisante à l’appréhension des nombres et à l’expression des quantités ». C’est même un de ses points de rupture essentiel avec les programmes antérieurs. Non, il n’y a pas de sacrilège au fait que, dans l’ordre établi par le programme, ce domaine soit « placé après le domaine dévolu aux apprentissages liés à l’activité physique ». Et il n’y a aucun lien entre ce fait et les faibles résultats obtenus récemment par nos élèves aux enquêtes PISA…
Se garder des simplifications
Oui, par contre, il apparait très significatif et très contestable qu’une « note d’analyse et de propositions sur le programme d’enseignement de l’école maternelle » ne prenne en compte aucun des autres domaines d’apprentissage. Cette absence témoigne d’un mépris de la cohérence globale du texte et illustre une méconnaissance des nombreux travaux fondant l’importance fondamentale de ces apprentissages à cette étape de la scolarité. C’est probablement un des effets délétères d’un comité de rédaction étroitement limité et trop consensuel. Ou trop peu compétent sur ce niveau de la scolarité ? Il faut le dire, le travail du groupe d’experts chargés de la rédaction du projet de programme de 2015 ne s’est pas déroulé sans frictions, ni controverses, bien évidemment. C’est à ce titre que ce groupe a choisi d’entendre, au cours de sa réflexion, les points de vue divergents d’autres spécialistes, de clarifier les objets de dissensus afin de mieux faire apparaître les points d’accord possibles. Et qu’il a toujours choisi de respecter la liberté pédagogique des enseignants en refusant d’énoncer des injonctions, des raccourcis commodes. En se gardant des simplifications, des certitudes absolues et en faisant confiance aux professionnels qu’ils sont. Ce métier est un vrai métier. Il s’apprend, il repose sur des gestes professionnels complexes, il repose sur un doute quotidien tout particulièrement pour cette tranche d’âge. Il est probablement important de signaler aux enseignants que « la technologie de l’Imagerie par Résonance Magnétique révèle que des circuits sont sollicités dans une petite zone de l’hémisphère gauche qui forme une sorte de boîte à lettres » mais ceci est très loin de faire le tour de la question en particulier si l’on prétend « agir à la racine des difficultés scolaires en portant une attention constante aux élèves socialement défavorisés ».
Comment interpréter l’accueil très favorable des professeurs des écoles, enseignant en maternelle, à la lecture du texte de 2015 ? Comment comprendre les efforts des conseillers pédagogiques, des IEN pour soutenir et appliquer ce programme ? Comment appréhender le soutien apporté par les associations traitant des problématiques liées à l’école maternelle ? Par le mépris encore une fois. Tous ces acteurs institutionnels ou associatifs se sont évidemment trompés, naïfs ou incompétents qu’ils sont. Il faut les aider, malgré eux si besoin. Il faut au plus vite leur montrer la bonne voie. En bons opérateurs pédagogiques, incapables de réfléchir et de penser par eux-mêmes, les enseignants de la maternelle retrouveront ainsi le chemin de la vérité et appliqueront à la lettre le futur petit Livre Rouge (devenu orange) qui ne manquera pas d’être publié. Celui qui réduit les questions de pédagogie à celles qui rentrent dans une « sorte de boîte à lettres ».
Patrick Lamouroux
Professeur agrégé d’Education Physique et Sportive, conseiller départemental EPS à la retraite. Membre du groupe d’experts chargé de la rédaction du projet de programme de 2015.