On croyait avoir atteint le fond en 2015. Malheureusement les résultats de l’enquête internationale TIMSS sont désastreux pour la France. En CM1 les résultats baissent encore et nous mettent tout en bas en Europe et dans l’OCDE. En 4ème la situation n’est pas meilleure et on observe une véritable dégringolade par rapport à Timss 1995. Le ministère « a pris la mesure des enjeux ». Mais il n’est pas certain qu’il ait pris celle des causes…
Une enquête internationale
L’enquête internationale TIMSS évalue tous les 4 ans le niveau en maths et sciences d’un nombre important de pays : 58 pour le CM1 (plus un certain nombre de régions) et 39 en 4ème. Les épreuves ont été passées en 2019 par près de 4000 écoliers et collégiens dans 150 à 200 écoles et établissements. L’enquête croise les résultats avec de nombreuses informations sur l’environnement de l’élève : son origine sociale, l’équipement culturel de la famille, l’ancienneté et la formation des enseignants, la composition sociale des établissements, la langue parlée à la maison etc. Autant de données qui ouvrent des fenêtres sur des exploitations possibles.
En CM1
En CM1, avec un score de 485 points en mathématiques la France se situe nettement en dessous de la moyenne des pays de l’UE (527) et de l’Ocde (529). Cet écart d’une cinquantaine de points correspond à peu près à une année d’enseignement ! En Europe seuls de petits états des Balkans (hors UE) font moins bien que nous. Et il faut aller chercher le Chili dans l’OCDE pour ne pas être dernier aussi de l’OCDE.
De plus notre score a encore baissé depuis les très mauvais résultats de l’enquête précédente de 2015 où on comptait 488 points. Les pays qui caracolent en tête en 2019 sont les mêmes que lors de l’enquête précédente de 2015 : Singapour, la Corée du Sud, le Japon, l’Angleterre, les Pays Bas, les Etats-Unis, la Finlande. Tous sont au dessus de 527 points.
Ce qui distingue les écoliers français de la moyenne de l’OCDE c’est le faible nombre de très bons élèves : 3% (contre 7% dans l’OCDE) et le nombre important d’élèves très faibles (en dessous du niveau faible) : 12% contre 8% dans l’OCDE.
Ces résultats ne sont pas vraiment une surprise. L’enquête nationale Cèdre, publiée en octobre dernier, montrait une baisse des résultats par rapport à 2016 en CM2.
En 4ème
En 4ème, ce n’est pas plus fameux. La France a un score de 483 points ce qui nous met en dessous des moyennes de l’OCDE et de l’UE (511). Seuls la Roumanie dans l’UE et le Chili dans l’OCDE font pire que nous. On retrouve les mêmes caractéristiques qu’en CM1 : un très faible nombre d’élèves très bons : 2% (contre 11% dans l’UE) et de niveau élevé : 17% (contre 34% dans l’UE). Là aussi nos élèves ont presque une année de retard par rapport à leurs camarades des autres pays européens ou de l’OCDE. Il faut remonter à 1995 pour avoir une participation de la France dans TIMSS en 4ème. Et là la chute est brutale : en 1995 les collégiens français avaient un score moyen de 530 points !
En CM1 comme en 4ème, la France se distingue aussi par un net écart de niveau entre garçons et filles : les garçons font 13 points de mieux en Cm1 et 9 en 4ème. Cet écart augmente.
La faute à qui ?
Comment expliquer des résultats aussi catastrophiques ? A l’évidence la crise vient de loin. En 2016, N Vallaud-Belkacem avait accusé les décisions prises par F Fillon d’être responsables de la situation. En 2019, les élèves qui ont participé à l’enquête ont connu des changements de programmes en cascade : programmes de 2015 révisés par JM Blanquer dans le premier degré, programmes de 2016 révisés en 2018 au collège. Plutôt que pointer tel ou tel programme on peut s’interroger sur la pertinence de cette valse incessante des programmes qui déstabilise les enseignants et inquiète les parents.
Les médias ne manqueront pas d’aller voir du coté des enseignants. Effectivement les professeurs des écoles sont généralement des littéraires et l’Education nationale peine à recruter des professeurs de mathématiques et particulièrement les meilleurs scientifiques. Le niveau mathématique des enseignants expliquerait-il la chute du niveau des élèves ? Ce n’est pas confirmé par TIMSS. En CM1 les professeurs des écoles diplômés en maths ont de moins bons résultats que ceux qui ont un diplôme dans une autre discipline (471 points contre 484). En 4ème les professeurs diplômés en maths font à peine mieux (481) que leurs collègues ayant un autre diplôme (474). Les professeurs expérimentés ont-ils de meilleurs résultats ? Oui mais l’écart n’est pas très marqué en Cm1 (498-480) et il s’inverse en 4ème (488-492). Autrement dit la formation des enseignants ne devrait pas exagérément se focaliser sur les maths pures.
Car, disons le tout de suite, c’est la formation qui est la grande réponse du ministère. Sil « a pris la mesure des enjeux » c’est en promettant de la formation. On sait que dans le cadre du plan Villani Torossian un plan maths obligatoire est dirigé vers les professeurs des écoles avec près de 40 000 enseignants en formation cette année. Même si le recrutement des enseignants référents n’a pas toujours été très judicieux, l’effort est réel. Mais au lieu de soutenir l’existant la formation se focalise sur les nouvelles marottes ministérielles : enseignement des opérations précoce, repères de progression annuels à la place des cycles, qui ont pour principal effet de jeter les parents sur les enseignants. Sans oublier les guides et manuels pour recadrer les pratiques des enseignants. Justement le ministère publie un nouveau guide sur la résolution de problèmes en CP aujourd’hui.
Le rôle de l’organisation de l’école
Pourtant l’analyse des données de TIMSS ouvre bien d’autres portes que la communication du ministère préfère laisser fermées.
D’abord le fait que les résultats soient étroitement liés à la condition sociale des élèves. On a peu d’indicateurs dans TIMSS mais on a quand même les ressources disponibles à la maison (nombre de livres par exemple). Entre les enfants des familles bien équipées et ceux où il y a très peu de ressources l’écart est de presque 100 points (538-419) en CM1 et en 4ème (534-432). C’est deux années d’enseignement d’écart. On voit mal comment résorber cela alors que la pauvreté galope dans le pays.
Il y a aussi des facteurs liés à l’organisation du système scolaire. Et d’abord la ségrégation sociale entre les écoles et établissements. Entre l’école qui compte très peu d’élèves défavorisés et celle qui en compte beaucoup l’écart est de 511 à 453 points en CM1, et 510 à 463 en 4ème. Là aussi plus d’une année d’enseignement. Autre facteur encore plus déterminant l’absentéisme des élèves. En CM1 entre l’élève qui est tout le temps présent et celui qui est absent un jour par semaine l’écart est de presque cent points. C’est la même chose en 4ème. Il y aussi le harcèlement : entre l’enfant jamais harcelé en CM1 et celui qui l’est toutes les semaines l’écart est plus de 60 points (494-430) en CM1.
Remarquez que l’on n’a pas parlé du volume des heures de cours. Car en CM1 la France compte parmi les pays qui a le plus d’heures de maths : 182 contre une moyenne de 154. Au collège on est par contre en dessous de la moyenne (125 contre 137h). Le lien entre niveau et heures de cours existe. Mais il n’est pas automatique. Par contre on peut parler de la taille des classes : Pisa a démontré le lien entre le nombre d’élèves et le niveau atteint par les élèves.
La pédagogie
Il faut donc bien parler pédagogie. TIMSS ne permet pas de dégager des solutions mais indique des pistes. Et d’abord le langage. Les élèves qui ont comme langue maternelle celle de l’enseignement réussissent nettement mieux : 491 points contre 431 en CM1. M Fayol a déjà indiqué que les mathématiques sont un langage. La maitrise de ce langage, qui relève aussi de la maitrise du langage en général, est un facteur important de réussite.
Une pédagogie qui met l’accent sur la réussite est aussi un facteur d’amélioration des résultats. C’est évalué dans TIMSS avec un écart de 519 à 468 points en CM1. En 2014 Camile Terrier, doctorante à la PSE, avait pu montrer que la surnotation des filles par les professeurs de maths a un effet positif sur leur niveau final en maths. Un point à retenir alors que la France se caractérise par un écart important entre filles et garçons.
TIMSS nous le dit d’une autre façon. Si le fait d’aimer les maths a un effet modéré sur le score des élèves, avoir confiance en soi en maths en a un très grand. En CM1 les élèves qui se sentent en confiance ont un score moyen de 524 et à l’inverse de 428. En 4ème on observe 516 points et 446.
Enfin l’informatique ne fait pas ses preuves. Les élèves qui ont un accès à l’informatique régulièrement en cours de maths ont des scores plus faibles que ceux qui n’y ont pas accès en CM1 et pas meilleurs en 4ème.
Le redressement est possible
Face à ces résultats désastreux il est impératif de réagir. Le ministère le fait à sa façon en imposant des formations à la chaine qui , même présentées comme étant « entre pairs », sont très descendantes et suivent la doxa ministérielle. Elles utilisent aussi des formateurs de fortune faute d’avoir pris le temps de reconstituer le vivier. Le ministère continue à publier des guides qui sont autant d’injonctions nouvelles là où il y aurait intérêt à donner de la stabilité.
Surtout il omet totalement tout ce qui relève de l’organisation du système éducatif en terme d’inégalités. C’est quand même le facteur principal d’échec scolaire en France comme ne cesse de l’affirmer Pisa depuis des années. Les expérimentations lancées sous le gouvernement précédent pour mettre un peu plus de mixité sociale dans l’Ecole sont gelées. Au lieu de renforcer la politique d’éducation prioritaire, le ministre est en train de la détruire. Sur ces points le ministère actuel a ses responsabilités.
Mais la chute vient de plus loin. Si l’on ne se résout pas au déclassement durable du pays il va bien falloir prendre tous les facteurs en compte et faire les investissements nécessaires. TIMSS est plein d’exemples de pays qui ont nettement et rapidement amélioré le niveau de leurs élèves. L’Angleterre était à notre niveau en 1995, elle est dans les pays les plus forts aujourd’hui. La république tchèque avait notre niveau en 2007, elle est elle aussi parmi les meilleurs aujourd’hui. Ces exemples, il y en a d’autres, montrent que le redressement est possible.
François Jarraud
Les notes pour changer l’école