« Dans un établissement de banlieue un CPE utilise des pratiques particulières ». CPE en Seine Saint Denis depuis 25 ans, Sébastien Peyrat a acquis beaucoup d’expérience et acquis des convictions. Il fait profiter ses collègues des unes et des autres dans un livre (Etre CPE en banlieue, L’Harmattan) qui éclaire un métier mal connu. Il le présente dans cet entretien.
Pourquoi avoir écrit ce livre et pour qui ?
J’avais envie de partager mon expérience de CPE en banlieue. Le rôle du CPE c’est d’être présent pour les élèves. Mais pour les jeunes qui débutent dans le métier et qui arrivent en banlieue, le travail n’est pas évident.Il n’est pas évident de bien se positionner. Exercer en banlieue nécessite des pratiques particulières car les élèves sont particuliers.
Quand on est CPE on doit avoir un attachement particulier aux valeurs de la République. Car elles sont incomprises ou contestées dans les cités. Le CPE est le point central de son établissement. C’est à lui que revient la responsabilité de transmettre ces valeurs aux élèves et aussi parfois aux adultes. Il doit éduquer l’établissement aux règles républicaines et faire comprendre ce que veut dire égalité et liberté.
Le livre repose sur un constat : il y a opposition frontale entre les valeurs du collège et celles de la cité. Vous dites que « le jeune tende de lutter contre notre société pour faire triompher les normes de la cité ». Mais qu’est ce qui vous fait dire cela. Et les valeurs du collège sont-elles réellement démocratiques ?
J’ai développé cette thèse dans un autre livre. En collège on a des jeunes qui sont convaincus que ce qu’ils vivent dans la cité est la seule source de justice et que l’extérieur à la cité est source de ségrégation. Ils voient dans le collège, quand il y arrivent, le représentant de cet ordre extérieur source d’injustice.
Tout le travail du CPE est de faire comprendre aux élèves les normes que l’on essaie de leur imposer , de leur expliquer à quoi ça sert d’apprendre pour leur vie actuelle et future.
Par exemple quand on est face à un fort taux d’absentéisme, il y a beaucoup de sanctions come l’exclusion. On peut toujours exclure mais il vaudrait mieux savoir comment faire pour qu’ils ne recommencent pas. Il faut leur expliquer le sens de la règle. Il faut parler, expliquer , faire travailler les élèves . Il faut parler des valeurs c’est très important.
Mais la société dans laquelle ils vivent est elle une société de justice ?
En réalité non. On le voit tous les jours. Mais ce que voient les élèves c’est le territoire de leur cité. Il y a encore des guerres de territoire.
Vous insistez sur la nécessité d’avoir « une posture idéologique républicaine sans faille ». Mais peut on lutter contre l’humiliation et l’injustice avec seulement des règles à suivre ?
Oui si les règles deviennent la norme. Pour cela il fait la faire intérioriser. On doit apprendre par exemple aux élèves les règles du débat. L’échange permet de se retrouver tous.
Vous dites que pour ce travail éducatif les adultes du collège « doivent être réellement présents ». Que voulez vous dire ?
Il y a un souci sur les temps de présence dans l’établissement. Il faut savoir donner des heures pour faire réussir tel élève en échec. Si le professeur quitte l’établissement dès la fin de son cours les jeunes des cités auront plus de mal à le voir comme quelqu’un capable d’éduquer. Un autre souci c’est quand on évite dans un cours telle question ou d’aider un jeune en difficulté. Ils montrent la faiblesse de leurs valeurs.
Que conseillez vous aux CPE pour changer ce regard sur le collège ?
Il faut s’intéresser aux élèves. C’est à dire parler avec eux. Parler de leur vie mais aussi de sa vie. Leur monter qu’il y a autre chose que la cité. Je montre dans le livre comment je vais chercher une jeune absentéiste dans sa cité chez lui. Finalement il sera moins absentéiste. Il a compris que je m’intéresse à son avenir et celui de ses camarades. Du coup je gagne en autorité pour inciter les élèves à venir. C’est plus efficace que convoquer la famille.
Propos recueillis par F Jarraud
Sébastien Peyrat, Etre conseiller principal d’éducation en banlieue. L’Harmattan. 2020. ISBN 978-2-343-20853-4