L’Education Physique et Sportive (EPS) est une discipline d’enseignement obligatoire à l’école (du primaire au lycée) dont le but est l’éducation et la formation physique et sportive des jeunes. Elle ne peut se limiter à l’animation sportive ou au renforcement physique. En apportant de la confusion entre l’enseignement obligatoire et les activités péri scolaires, le ministre de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports et la Ministre déléguée chargée des Sports remettent en cause la place donnée aux valeurs humanistes de la formation physique pour tous.
Les discours politiques actuels fondés sur le mythe d’un sport-santé, éducatif en soi, mettent à mal l’utilité de l’EPS à l’école. Face à ces amalgames, plus que jamais, la discipline EPS et ses enseignants sont amenés à devoir revendiquer la spécificité et le rôle émancipateur de l’EPS pour la formation et le développement des compétences motrices, méthodologiques et sociales de l’élève qui dépasse la simple animation sportive et le renforcement physique. Il ne s’agit surtout pas de dénigrer le travail et le métier des éducateurs ou encore celui des entraineurs, bien au contraire ! Nous ne visons simplement pas les mêmes finalités et n’accueillons pas le même public (des élèves volontaires en club et des élèves aux motifs d’agir différents, parfois éloignés de la pratique sportive à l’école). C’est un fait.
La crainte d’une instrumentalisation politique se comprend d’autant mieux lorsque l’on analyse de plus près les différents discours et propositions politiques. Les confusions sont nombreuses et ont de quoi semer le doute. Le dernier rapport de la Cour des Comptes datant de 2019 (L’EPS et le sport : une ambition à concrétiser), était déjà un rapport assez caricatural sur l’image de l’EPS et de son enseignement, questionnant l’utilité sociale de la discipline, voire son efficacité.
La proposition du dispositif 2S2C (Sport, Santé, Culture, Civisme) que nous avions ouvertement critiquée (Tribunes dans Le Café pédagogique le 15/05/2020, dans Le Monde le 26/05/2020 et dans Libération le 06/06/2020), témoigne de cette confusion entre l’enseignement obligatoire et les activités péri scolaires, mais aussi entre les missions et les finalités de chacun des acteurs. Cette tendance libérale s’accentue aujourd’hui à travers la volonté renforcée de diminuer la régulation de l’Etat et d’introduire systématiquement des espaces concurrentiels dans le secteur public lui-même.
Dans le contexte actuel, les partenariats entre l’EPS, l’UNSS, l’USEP et le mouvement sportif sont donc salutaires. En effet, au regard des contraintes sanitaires liées à la Covid-19, des protocoles stricts sont à mettre en place et l’entraide de tous ne peut être que bénéfique. Les enseignants d’EPS se sont toujours engagés dans des partenariats avec des partenaires extérieurs (sport scolaire, sections sportives, classes à projet sportif, culturel et citoyen, etc.). Les projets collaboratifs sont ainsi nombreux, notamment dans le cadre de la liaison école/collège (cycle 3), où les enseignants d’EPS en sont très souvent les moteurs.
Pour autant, il est important de rappeler que les finalités de l’EPS sont bien différentes de celles du milieu fédéral. Nous défendons davantage une logique de complémentarité et non de substitution entre les acteurs.
L’EPS n’est pas du sport à l’école, encore moins en référence au sport compétitif fédéral
Les Ministres Jean-Michel Blanquer et Roxana Maracineanu ont rappelé que « plus de sport à l’école » est l’une des quatre priorités pour le Sport français en 2020-2021. Plus précisément, le Ministre de l’Education Nationale a donné sa vision du sport et de l’éducation physique : « Le sport est l’amour du dépassement et du collectif. La joie dans l’effort, l’excellence, l’amitié, la solidarité, le respect : les valeurs du sport sont les valeurs de l’Ecole de la République ». Il semble donc clair que le politique confond (encore) les finalités de l’école et de l’EPS, avec celles du sport fédéral et compétitif.
Le mythe d’un sport éducatif « par nature » tel que le défend le Ministre ne soutient pas l’analyse. Cette vision à courte vue a des conséquences délétères sur la mise en œuvre du sport et sur ses pratiquants. En effet, si le sport est éducatif par nature, comment expliquer qu’il se traduise par une baisse de 41% du nombre de licenciés à partir de 15 ans toutes fédérations confondues (olympiques, non-olympiques, multisports). Comment expliquer une telle déperdition pour une pratique sportive qui est présentée par le politique comme une panacée ? Comment expliquer que les adolescents se détournent de sa pratique alors que l’on nous explique que c’est sa simple pratique qui produirait des effets bénéfiques ? Si ses effets étaient aussi bénéfiques, pourquoi les adolescents abandonneraient-ils sa pratique ? Il y a donc un hiatus entre la pratique sportive et les valeurs supposées qu’elle devrait développer.
Même si le sport santé se développe au sein des fédérations, les clubs sportifs s’inscrivent avant tout dans une logique performative qui vise à développer le dépassement de soi, la discipline, le travail, le respect, etc. Cette logique performative va laisser de côté, au fur et à mesure de la progression des pratiquants entre 8 et 15 ans, nombre d’adolescent qui n’ont plus le niveau requis par la structure, qui ne se retrouvent plus dans cette pratique de plus en plus performative, qui ne se retrouvent plus dans une pratique unisport spécialisée et dans un cadre institutionnalisé qui génère chez certains d’entre eux monotonie et lassitude. En effet, selon Patrick Mignon , la pratique sportive en France a évolué : les pratiques se sont désinstitutionnalisées, au sens où elles s’exercent maintenant davantage de façon autonome et non encadrée, « hors structures ». Le rapport au sport et les motivations des jeunes ont également changé. On observe ainsi une prise de distance, du modèle sportif institutionnel et traditionnel au bénéfice d’une pratique sportive moins conventionnelle, auto-organisée et informelle. Au-delà, le modèle sportif se délite par une perte de l’engagement, du bénévolat, que la crise n’arrangera certainement pas.
De plus, certains n’auront qu’un accès limité aux clubs sportifs. Les jeunes obèses, les jeunes ayant un déficit de ressources au niveau physique, les jeunes peu enclins à la logique performative auront des difficultés à s’engager durablement dans des structures sportives qui privilégient au fur et à mesure des années de pratique la performance comme perspective principale. Il est donc normal qu’un nombre très élevé de jeunes abandonnent plus ou moins rapidement la pratique sportive. Il est à noter également que dans certains sports, la pratique se réalise de manière « non mixte », dans le cadre des sports collectifs par exemple. Difficile alors d’avoir un impact sur les problématiques d’égalité hommes-femmes.
Aussi, au regard de ses particularités, le modèle sportif ne peut être éducatif en soi car ses finalités ne s’organisent pas prioritairement autour d’enjeux éducatifs et sociaux. Ces objectifs sont secondaires et ils ne sont que la conséquence d’un objectif performatif prioritaire et omnipotent se posant de prime abord ou progressivement comme un repoussoir à cette pratique pour nombre d’enfants et d’adolescents. Certes, les fédérations sportives, pour contrer cette évaporation des jeunes licenciés ont développé un pôle « loisir », mais les enfants ne s’incluant pas rapidement dans cette logique compétitive sont progressivement mis de côté.
Ainsi, poser le modèle sportif comme une référence pour l’EPS est totalement inapproprié et incongru compte tenu des spécificités de cette discipline scolaire (accueil de tous les élèves de 11 ans à 18 ans sans discriminations au regard de l’hétérogénéité des élèves au plan physique, moteur, culturel et social). L’EPS est une discipline « œcuménique » qui accueille l’ensemble des enfants de la République pour répondre à des enjeux qui dépassent la simple pratique sportive et la performance.
De quelle EPS et de quels enseignants, parlons-nous ?
L’EPS a pour finalité principale de répondre à des enjeux de développement de la motricité, de formation citoyenne et d’inclusion de toutes et tous. Dans ce cadre, l’utilisation des sports comme support est incontournable. Les sports, en tant que patrimoine culturel et humain, apparaissent comme le moyen de répondre aux enjeux fixés par la discipline.
L’EPS vise donc le développement d’une motricité globale, efficiente, conscientisée et éducative. Les notions de coordination motrice générale et spécifique, de latéralisation, d’efficience motrice prennent leur sens par la pratique de sports ayant un ancrage culturel et social. L’EPS n’est donc pas une discipline qui discrimine en fonction des niveaux de performance, des niveaux physiques des élèves, mais elle se veut respectueuse de ces différences pour les dépasser et donner accès à une connaissance motrice indispensable dans nos sociétés modernes. L’enjeu est de faire progresser l’ensemble des élèves vers une efficience motrice au travers de pédagogies et méthodes qui prennent en compte la complexité de la situation d’enseignement : des classes mixtes avec des niveaux hétérogènes. Il nous parait important de rappeler que l’EPS participe pleinement à une culture commune fondamentale pouvant être mise au service du citoyen cultivé, lucide et autonome que l’institution scolaire cherche à promouvoir. On constate que les enjeux de l’EPS sont fondamentalement différents de ceux des clubs sportifs.
Concernant le métier d’enseignant d’EPS, la didactisation, l’individualisation du conseil, la structuration de l’enseignement sur un temps long, sont autant de compétences requises. L’éducateur sportif peut aussi être détenteur de certains de ces gestes professionnels, mais il s’adresse à un public volontaire, et c’est bien une des différences fondamentales avec le professeur d’EPS ! L’enseignant est un concepteur et non un applicateur.
Bouger plus, mais surtout mieux et autrement
Promouvoir l’activité physique des jeunes à l’école apparaît primordial. En effet, la dernière enquête de l’ONAPS sur l’activité physique, la sédentarité et le confinement (17/07/2020), rappelle combien « la diminution de l’activité physique et l’augmentation des comportements sédentaires sont fortement associés à la dépression, à l’anxiété, au stress et au bien-être en général ». En temps de confinement et de crise sanitaire, elle constitue un nouveau défi que les enseignants d’EPS sont prêts à relever malgré les protocoles sanitaires renforcés et les pratiques favorisant la distanciation.
Soucieux de développer la motricité de leurs élèves, mais aussi de transmettre des méthodes et des outils pour apprendre à gérer sa santé, leur ambition doit nécessairement être revue à la baisse. Pour autant, cette éducation physique et à la santé ne doit pas être confondue avec le renforcement physique et la seule mise en mouvement des corps proposés par des animateurs dans le cadre péri scolaire.
L’objectif annoncé par le Ministre de « faire bouger les élèves 30 minutes par jour » omet sciemment d’exposer les causes du désengagement des adolescents de la pratique sportive dans les clubs. Plus encore, le programme « Bouger plus » n’évoque jamais les sources d’engagement mais aussi les acteurs de l’école directement concernés. Cette méconnaissance du politique a de quoi interpeler. Le programme « Bouger plus » ne s’appuie donc sur aucun élément factuel sinon de « bouger ». Il renvoie ainsi à « la magie de la tâche » au même titre que l’idée « d’un sport, éducatif par essence ». Nous sommes ainsi dans un registre incantatoire, sans prendre en compte ce qui caractérise l’EPS : le fait d’utiliser des activités physiques, sportives, artistiques comme moyen d’enseignement et non comme fin.
La croyance d’un « « sport santé » par le simple fait de bouger mais aussi d’un « sport éducatif en soi » est donc au cœur de la politique actuelle. Les leviers d’une pratique physique régulière sont pourtant connus : le plaisir à pratiquer et donc l’objectif de bouger mieux et autrement. Partant, l’adolescence, et particulièrement la période du lycée, apparaît comme une période clé de construction du (dé)goût pour l’activité physique et sportive. C’est donc à cette période charnière de l’adolescence que l’effort devrait se focaliser. La baisse d’activité physique des jeunes et plus particulièrement des adolescents, voire leur aversion pour la pratique sportive conduit naturellement à une augmentation de la sédentarité pour les jeunes générations. La construction du goût sportif doit donc être considérée comme un enjeu social fort qui ne peut se contenter de mesures simplistes et caricaturales.
Dès lors, dans une société où la nécessité de se montrer performant peut conduire au mal être, proposer une éducation physique et sportive à l’école ouverte à d’autres modalités de pratique que la dimension compétitive et performative, devient pour les élèves, c’est-à-dire les futurs citoyens, une compétence indispensable à construire.
Pour plus de lisibilité : et si on enlevait le « S » d’EPS ?
Même si les représentations du « prof de sport » demeurent tenaces, force est de constater que la discipline a évolué, non seulement en intégrant des nouvelles pratiques – pratiques de plein air, de glisse, d’entretien ou encore artistiques – mais aussi en repensant les méthodes pédagogiques. L’évolution des formes de pratique a ainsi permis à des élèves parfois éloignés de la pratique sportive, de pouvoir accéder à cette réussite personnelle.
Malgré les discours ministériels, la discipline semble s’éloigner progressivement d’une éducation physique purement sportive. Dans le contexte sanitaire actuel, le « S » d’EPS se rapproche davantage d’une éducation physique et à la santé. Néanmoins, l’EPS ne peut se réduire, ni à une éducation exclusivement sportive ni à une éducation unique à la santé. La spécificité de la discipline scolaire qu’est l’EPS, est de mettre le corps en mouvement pour favoriser l’enrichissement de la motricité des élèves. Enseigner l’éducation physique pour les jeunes, c’est leur permettre d’accéder à une culture corporelle commune équilibrée, à « une intelligence du corps » au sens de Michel Serres , c’est leur donner la possibilité de construire des compétences durables pour optimiser leurs ressources et gérer leur vie physique tout au long de la vie. En cela, on comprend alors les limites d’une approche strictement sportive ne valorisant principalement que la performance, tout comme les limites d’une approche santé se contentant de « faire bouger » les enfants sans envisager les leviers motivationnels.
L’expertise d’un enseignant d’éducation physique s’observe dès lors dans sa capacité à proposer une culture commune équilibrée, diversifiée et respectueuse de toutes et tous, intégrant les attentes, les motivations et les représentations de chacune et de chacun.
Guillaume DIETSCH, agrégé d’EPS, directeur des études du département Staps à l’Université Paris-Est-Créteil (UPEC),
Serge DURALI, agrégé d’EPS, Staps Sorbonne Paris-Nord,
Loïc LE MEUR, agrégé d’EPS, responsable de master à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspé) de Bonneuil (UPEC)