« Le métier d’enseignant n’est pas seulement un métier de vocation, fondée sur une autorité naturelle et un don pour la transmission mais un métier de plus en plus complexe qui s’apprend ». Du 16 au 20 novembre, le Cnesco et France Education International réunissent une conférence de comparaison internationale sur la formation continue et le développement professionnel des personnels d’éducation. Nathalie Mons, directrice du Cnesco, Olivier Maulini et Régis Malet, présidents de la conférence de comparaisons internationales, présentent les grands enjeux de cet événement : l’articulation entre formation continue et initiale, l’équilibre entre formation pratique et théorique, le rôle du numérique. Ils expliquent comment les enseignants peuvent participer à cet événement.
Pourquoi cette conférence en ce moment et quels sont ses objectifs ?
Nathalie Mons : Depuis la création du Cnesco, tous nos rapports et conférences de consensus ou de comparaisons internationales (sur les mathématiques, la lecture, le handicap, la mixité sociale…) concluent tous à la nécessité de compléter la formation initiale des enseignants par des actions de formation continue qui doivent jalonner tout leur parcours professionnel. C’est une impérieuse nécessité du système éducatif français et c’est sur les 20 dernières années ce qui le distingue le plus des systèmes éducatifs les plus performants dans PISA par exemple, notamment ceux qui présentent des inégalités scolaires et sociales faibles. Cette thématique a heureusement été sur les 10 dernières années progressivement introduite dans les politiques éducatives, on a compris que le métier d’enseignant n’est pas seulement un métier de vocation, fondée sur une autorité naturelle et un don pour la transmission mais un métier de plus en plus complexe qui s’apprend.
Regardons par exemple l’intégration du numérique dans les apprentissages. Sans formation continue, les enseignants peuvent-ils savoir spontanément comment faire au mieux avec ces nouvelles technologies tout en en évitant les écueils qui existent bien ? C’est la même chose pour l’accompagnement des élèves en situation de handicap ou pour mettre en place des activités de différentiation pédagogique. Ce sont les trois premiers besoins des enseignants qui sont soulignés dans les enquêtes internationales.
Ce besoin est désormais reconnu par l’institution scolaire qui sur les dix dernières années s’est souciée de formation initiale, d’un schéma directeur de formation et a commencé à lancer de grands plans de formation, par exemple en mathématiques, en français, en éducation morale et civique. S’il y a désormais consensus sur la formation continue et de premiers dispositifs mis en place, se pose la vertigineuse question du comment. Comment mettre en place des plans de formation qui sont réellement efficaces et qui s’inscrivent efficacement dans la carrière des professionnels de l’éducation ? Quelle place pour la recherche, les formations en ligne.. ? Quelles relations entre formation initiale et continue, le caractère obligatoire ou pas de la formation continue, l’importance de l’établissement scolaire comme lieu de formation. Cette conférence, que nous organisons de nouveau avec notre partenaire historique France Education International, vise à répondre à ces questions qui sont stratégiques.
Comment fonctionnera la conférence ?
Chaque conférence vise à réunir des experts étrangers et un public participatif français (enseignants, chefs d’établissement, professionnels de la formation, chercheurs… ), bref tous ceux qui sont intéressés par la formation continue, pour faire le point sur des expériences menées à l’étranger, qu’elles soient positives ou négatives (on apprend des erreurs aussi). Il s’agit d’éclairer le public de la conférence pour qu’il nous aide, dans le cadre d’ateliers qui se tiennent aux côtés des séances plénières à produire des recommandations qui ne sont pas hors sol.
Nous présenterons ainsi une multiplicité d’expériences étrangères. Le cas de l’Estonie illustrera une politique qui ancre fermement la formation continue dans les carrières. Une chercheuse finlandaise présentera les intérêts mais aussi les limites de la formation en ligne, et surtout les conditions nécessaires pour que celle-ci puisse se réaliser utilement. Plusieurs experts anglais, écossais, japonais présenteront les liens possibles entre recherche et formation. Des expériences suisses, allemandes viendront aussi enrichir la réflexion de notre public français. Nous fournissons aussi au public de la conférence des rapports, synthèse de la littérature scientifique, produits par des équipes de chercheurs français et étrangers conduits par les deux présidents de la conférence, professeurs des universités spécialistes reconnus de la formation, Régis Malet de l’université de Bordeaux et Olivier Maulini de l’université de Genève. Ils font en autres le point sur l’état des connaissances scientifique en matière de formation continue.
Avez-vous dû réorganiser le fonctionnement de la conférence avec la pandémie ?
Nous avons décidé que malgré le virus, la réflexion autour de l’école devait se poursuivre coûte que coûte. Sur des sujets aussi sensibles que la formation continue, nous n’avons plus le temps d’attendre. Nous avons radicalement changé notre façon d’organiser la conférence qui se tient désormais sur toute une semaine, celle du 16 novembre, avec des plénières et des ateliers totalement à distance, sur les créneaux horaires courts, principalement les pauses méridiennes.
Nous avons fait d’une contrainte – le tout distanciel – une opportunité. Canopé nous a aidé à développer davantage d’ateliers en région pour recueillir davantage la parole du terrain. Enfin le tout à distance nous permet aussi d’inviter largement des partenaires étrangers. Grâce à un partenariat avec l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), le Congo-Brazzaville, la Guinée, le Niger et le Tchad vont participer à notre conférence. Le Conseil supérieur de l’éducation du Québec et l’Instance Nationale d’Evaluation marocaine et l’agence d’évaluation de la qualité du Luxembourg seront également présents. La formation continue est une préoccupation internationalement partagée. Les plénières avec les experts étrangers peuvent être suivies en direct si l’on veut poser des questions ou s’exprimer mais aussi consultées en différé. Nous nous adaptons au besoin de l’école française qui est sur d’autres fronts simultanément aujourd’hui. Ce qui important c’est que l’école française puisse disposer de ressources intellectuelles de recherche et de recommandations issues d’un collectif large pour penser la formation continue en 2021. Toutes ces ressources seront téléchargeables sur le site internet du Cnesco qui est consulté bien après les conférences. Le site internet du Cnesco est un centre de ressources pour penser l’école de demain.
Une réforme de la formation des enseignants est en cours en France. On voit qu’un de ses enjeux c’est l’articulation entre formation initiale et continue. Que peut apporter la comparaison internationale là dessus ?
Olivier Maulini : Cette question est très importante, car il est imprudent de penser la formation initiale et la formation continue chacune de leur côté. Moins la première est solide, plus il peut être tentant de compenser ses lacunes par une formation en cours d’emploi supposée plus pragmatique et pourquoi pas plus économique. On connaît même des régions dans lesquelles la formation initiale s’ancre dans des stages qui n’en sont pas vraiment, parce qu’ils placent en fait les néophytes en situation précoce de complète maîtrise de classe, sans présence ni accompagnement d’un tuteur sécurisant leur travail et celui des élèves. Comme la France l’illustre, l’apprentissage professionnel par frayage ou immersion est paradoxalement populaire dans les contextes où un rapport académique aux savoirs a tendance à mentalement séparer formation théorique et formation pratique. Mais en réalité, ce sont les pays qui admettent que l’enseignement est un métier, que ce métier demande des compétences, et que ces compétences se forgent dans une alternance tissant patiemment des liens entre sens pratique et réflexivité que les dispositifs sont généralement les plus formateurs. La formation initiale est alors longue et adossée à des connaissances pédagogiques et didactiques situées au croisement de la profession et des sciences de l’éducation. Et la formation continue peut prendre appui sur cette base de lancement pour apporter ensuite des mises à jour, des compléments et même des spécialisations.
Mieux un enseignant est formé d’emblée, plus il se forme ensuite : c’est là encore un paradoxe bien documenté. On l’observe autant en Amérique ou en Europe du Nord que dans les pays les plus scolarisés d’Extrême-Orient. Il paraît donc essentiel de penser le développement des compétences dès les premiers contacts avec le terrain, et de le prolonger par un continuum si possible cohérent, où les dispositions qu’on espère cultiver à long terme (engagement, lucidité, curiosité, expérimentation, mutualisation, discussion, conceptualisation des pratiques) sont explicitement et progressivement formées, en somme comme le socle nécessaire du projet qu’on espère promouvoir. Comme on ne construit rien sur du sable, il serait naïf ou hypocrite de croire qu’un « développement professionnel continu » vendu comme un tout indifférencié pourra se passer de paliers de progression solidement institués.
Régis Malet : La plupart des pays sont confrontés à des enjeux communs en matière de formation des enseignants. La France semble amorcer à cet égard un tournant, en s’inscrivant plus dans une logique de développement professionnel continu, qui est l’occasion de repenser la question de l’articulation et de la continuité entre la formation initiale et continue. Sur ce plan, qui combine des enjeux de conceptions et de mise en œuvre concrète, les expériences étrangères sont très utiles, non tant pour servir de modèles car cela n’aurait aucun sens, mais pour comprendre comment ailleurs, chez nos voisins européens par exemple, cette continuité et cette formation tout au long de la vie professionnelle sont conçues et mises en œuvre. Les expériences étrangères présentées dans le cadre de la conférence le seront en référence à la définition, l’élaboration des contenus de formation (comment ceux-ci sont conçus, par qui et comment ils résonnent avec les besoins des enseignants à différents moments de leur carrière).
Un autre enjeu c’est la nature même de la formation et par suite du formateur. La formation doit elle être théorique ou pratique ? Ou plutôt quel équilibre trouver entre les deux et quels formateurs ? Qu’est ce qui marche ?
OM : Ce qui marche est toujours sujet à caution, puisque tout dépend des objectifs que vous visez. Mais nous savons que ce qui vaut pour les élèves vaut de même pour leurs enseignants : l’équilibre se trouve toujours quelque part entre rupture et continuité. Si la formation est trop académique, spéculative, au passage idéaliste, donc si elle rompt trop avec l’expérience des praticiens, il la rejettent vite au motif que leur priorité est de résoudre leurs problèmes, pas de les commenter dans des travaux savants et – comme ils disent – « déconnectés » de leur réalité. Plus les professionnels se sentent jetés dans l’arène (et comment ne le ressentiraient-ils pas en France actuellement ?), plus d’ailleurs leur mauvaise humeur peut logiquement se manifester.
Mais si l’excès est inverse, si la formation « colle » tellement aux urgences du moment qu’elle se met en tête de livrer des solutions clés en main et sur le champ, alors la continuité tourne en confusion, et les formateurs sont cette fois accusés de donner des conseils triviaux et infantilisants. La demande devient impossible à satisfaire, et elle s’effondre fatalement. Résister à cette tendance exige au moins deux garde-fous : des formateurs collectivement capables de tenir les deux bouts de l’équation (maintenir les liens, rompre avec le sens commun) ; des conditions-cadres sécurisant leur travail et celui des enseignants (temps dédié à la formation, ancrage dans le travail ordinaire et ses questions, pilotage par et dans les établissements, évaluation et régulation collective des apprentissages professionnels). Le secret n’en est pas un : il consiste à regarder les choses en face. Soit le travail enseignant est un bien commun, et la communauté professionnelle le protège en s’efforçant de le faire vivre et prospérer. Soit c’est une activité privée, dépendant du charisme de chacun ou, à défaut, d’un salaire au mérite, et vous brisez d’office toutes les solidarités. C’est pour cela que l’académisme et le libéralisme peuvent ensemble mettre en pièce la perspective au contraire unitaire de la professionnalisation.
Le pire n’est pas sûr, mais le meilleur difficile à établir si chaque agent de l’Etat le voit à sa porte et réagit à la fatigue démocratique par un surcroît de quant-à-soi. Une politique anticyclique demanderait plus d’optimisme, de confiance, de définition collective du bien commun. Mais les pays dont les résultats scolaires flanches sont aussi et souvent les plus pessimistes, défiants, divisés quant aux priorités à se donner. C’est pour cela que, si la formation ne peut pas tout, rien n’empêche de la prendre comme une occasion d’ouvrir les fenêtres et de trouver ailleurs des motifs d’espérer.
La conférence aborde t-elle les questions de carrière en lien avec la formation ? Faut il rémunérer davantage les enseignants qui se forment ? Les contraindre à le faire ? Les laisser maitres de leur formation ou les diriger ?
RM : C’est une évidence de répondre qu’on ne peut former sous la contrainte. Il est, comme pour tout apprentissage, question d’engagement, de mobilisation personnelle dans un but de développement professionnel et de montée en compétences. Cela ne signifie pas que l’obligation de formation n’a pas de sens, mais la poser comme –par exemple– une réponse à une certaine désaffection des enseignants pour la formation continue, serait une erreur. Si la participation aux actions de formation continue est encouragée, si elle est même obligatoire dans certains pays, on observe aussi que dans certains pays dans lesquelles la formation n’est pas obligatoire, elle est cependant massivement suivie. A contrario, l’obligation de participer aux formations ne conduit pas mécaniquement à une montée en compétences des personnels ou à une transformation des pratiques. Ce qu’il convient donc de considérer, c’est moins le bien fondé du caractère contraignant de la formation, mais comment la formation continue accroit le sentiment d’efficacité professionnelle, souvent corrélé au sentiment de reconnaissance et de prise en compte des besoins de formation.
Sur la question des rémunérations ou des gratifications, ma réponse sera sensiblement la même. Ce que les comparaisons internationales nous enseignent d’abord, c’est que l’enjeu est moins de gratifier les enseignants participant à des actions de formation, que de s’entendre sur la reconnaissance réelle d’une profession, au-delà de la valorisation symbolique d’une mission dont tout le monde s’accorde pour dire la place essentielle dans la société. De ce point de vue, les comparaisons internationales des échelles de rémunération des enseignants européens montrent une certaine distance entre la valorisation symbolique et la reconnaissance ‘concrète’ des enseignants. L’enjeu central est celui de l’évaluation de ce que produisent ces actions sur ceux qui en sont bénéficiaires, en termes de sentiment de reconnaissance et d’auto-efficacité. Là encore, les comparaisons internationales nous y aident.
Quelle place faut-il donner à la formation en ligne ? En France la formation continue en ligne n’a pas une grande réputation… A t on des exemples de formation en ligne réussie ?
RM : La question de la formation en ligne des enseignants peut être envisagée sous plusieurs angles, selon qu’on la considère comme une modalité de formation, un outil ou un objet de formation, ou une dimension de l’activité. Celui des formations en ligne proposées par l’institution, autrement dit les centres de formation ou l’employeur est le plus évident ; mais cela renvoie aussi à l’usage quotidien de la communication numérique qui doit aussi faire l’objet d’un accompagnement, à la mesure de son développement actuel ; ce sont enfin des ressources de formation mobilisées par les enseignants en ligne, de façon donc plus informelle et peu visible, dans le cadre de forums, de mise à disposition de ressources… Sur le premier plan, celui de la formation formelle, qui sera envisagé dans la conférence, la comparaison internationale permettra d’observer comment se développent ici et ailleurs des formations à distance ou hybrides. La formation continue des enseignants reste massivement en présentiel mais elle est traversée par des contenus et des formations numériques (plateformes, tutoriels, MOOC, SPOC, capsules vidéo etc.). La situation sanitaire conduit l’ensemble des systèmes de formation à penser cette transition majeure, dont la pandémie n’est qu’un accélérateur. Les expériences et les recherches se multiplient à l’international et cette conférence sera l’occasion de faire le point dans le cadre notamment d’un atelier sur ce thème important.
Comment les enseignants pourront-ils participer à cette conférence ?
NM : Cette année les accès à cette conférence totalement en ligne sont multiples. L’ accès est largement ouvert en temps réel ou en différé.
Pour assister aux plénières, où les experts étrangers interviennent pour présenter des cas dans d’autres pays qui peuvent nous inspirer, il faut s’inscrire sur le site du Cnesco. Ce sera possible jusqu’au 15 novembre. Attention, la conférence est aussi accessible via YouTube ou Facebook, mais ces streamings ne permettent pas d’interagir avec les experts étrangers. Nous recommandons donc vivement l’accès via l’inscription préalable sur notre site pour pouvoir poser des questions ou s’exprimer en direct. Les interventions des experts lors des plénières seront également accessibles en différé sur le site du Cnesco à partir de la fin de la semaine suivant la conférence
Propos recueillis par François Jarraud