La commission des affaires culturelles et de l’éducation a organisé en septembre des tables rondes pour élaborer des propositions à soumettre dans le cadre des États Généraux du Numérique qui s’ouvrent le 4 novembre. Bruno Studer, président de la commission, vient de les rendre publiques. La plupart renvoient à des questionnements qui datent parfois de près de vingt années quand ce n’est pas quarante… Il semble bien que les auteurs de ces propositions les ont voulues opérationnelles rapidement (sur le plan réglementaire) ce qui semble une idée intéressante a priori. Par contre on se retrouve devant des propositions qui sont autant de constat de carence des politiques antérieures, celles du ministre actuel y compris. Il n’est pas certain que ces propositions soient entendues, reçues, et transformées en action concrètes.
Des propositions « pour le numérique éducatif de demain »
Première remarque, le « de demain » est malheureusement un mauvais signe, tant ce qui aurait dû être fait ne l’a pas été par le passé…
1- Résoudre les inégalités territoriales et sociales d’accès au numérique éducatif par la nationalisation de l’entreprise Index Éducation et l’extension de ses attributions
Étonnante proposition qui croise d’une part les inégalités et, d’autre part, la mise en question d’un acteur privé dont on connaît la place qu’il a prise dans l’espace scolaire français. Or cette entreprise est l’objet de polémiques depuis plusieurs années dont certaines sont en relation avec le RGPD (Cf rapport de la Cour des comptes et rapport des IGEN sur le RGPD).
2- Encourager les collectivités territoriales à développer des politiques d’équipement individuel des élèves en matériel informatique
Dommage que ceux qui sont engagés depuis longtemps dans ce processus n’aient pas été consultés… Landes, Bouches-du-Rhône, Val-de-Marne, Corrèze, Corrèze… Cette proposition est une confirmation de l’erreur de l’arrêt du plan Hollande.
3- Inciter les opérateurs privés à développer prioritairement l’accès des établissements scolaires au « Très Haut Débit », notamment dans les zones rurales.
Effectivement avoir le haut débit c’est intéressant, mais outre les infrastructures, il y a les abonnements qui coutent très chers aux collectivités. Il ne suffit pas d’enjoindre à la connexion, il faut aussi accompagner financièrement cela.
4- Déduire des abonnements en données les offres télécom sur certains sites institutionnels sur le modèle expérimenté dans les DROM / COM
Confère la remarque précédente : comment soulager les collectivités dans leurs abonnements Internet pour les établissements scolaires
5- Soutenir fiscalement les familles ayant recours au soutien scolaire à distance
Attention, danger de développer l’offre d’un secteur privé de soutien scolaire. On voit derrière cette proposition les Edtech qui cherchent un marché et qui lorgnent sur celui des familles tant celui de l’Éducation nationale reste faible en moyens…
6- Mieux détecter les enfants en situation d’illectronisme dans le cadre de la journée Défense Citoyenneté
Si cela signifie ajouter une épreuve à la JDC, c’est un peu juste. Outre qu’il y a plusieurs illectronisme, n’est-ce pas un peu tard… d’attendre 18 ans pour s’en préoccuper ?
7- Mieux accompagner les parents d’élèves dans leur formation aux outils scolaires numériques au sein de l’école
Connaissant les difficultés de liens entre parents et établissements, on imagine mal la formation à ces outils au sein même de l’établissement dans la situation actuelle. Cette proposition reprend une des idées développées lors du Plan Informatique Pour Tous de 1985
8- Soutenir financièrement les enseignants s’équipant en matériel informatique individuel
C’est un problème ancien et toujours pas résolu à ce jour. Et, pourtant on comprend mal cela, nous avons posé cette question à plusieurs reprises en direct aux ministres qui se sont succédé sans retour…
Un petit gout de déjà vu…
9- Prendre davantage en compte les compétences numériques des candidats dans les concours de l’Éducation nationale
Certains concours y ont déjà répondu (professeurs documentalistes bien sûr, mais aussi enseignant de secteur professionnel et technique)
10- Assurer une formation spécifique aux usages et pédagogies du numérique dans les INSPE
S’il suffisait d’une injonction qui se traduirait par une maquette de master, cela se saurait. Le problème est plus profond. Il faut d’abord rendre l’usage du numérique ordinaire dans les activités à l’INSPE, même dans les enseignements disciplinaires…
11- Assurer qu’une formation dédiée aux usages et pédagogies du numérique soit systématiquement proposée dans les plans de formation continue
Cette proposition fera sourire tous ceux qui suivent depuis longtemps cette question… Le problème de fond est la forme et les modalités de la formation et son efficience souhaitée…
12- Prolonger la clarification du rôle des opérateurs publics en charge du numérique éducatif en faisant du CNED un opérateur de référence dans la continuité pédagogique.
Le CNED, qui a historiquement un rôle de recours, peut-il se transformer, comme indiqué dans le contrat cadre avec l’état (2019) ? Si on peut le souhaiter, ainsi que les autres opérateurs, cela veut dire qu’il faut repenser leurs missions en cohérence avec celles des académies et leurs services.
13- Garantir un cadre juridique lisible et protecteur des données d’éducation par la mise en place d’un « code de conduite » validé par la CNIL
Avant même un code de conduite, il faut renforcer la prise de conscience du rôle du juridique dans l’éducation. De la formation des cadres à la formation des enseignants, cette prise de conscience ne se fait pas à coup de conférences, mais surtout en s’appuyant sur des études de cas…
14- Doter les établissements scolaires d’une ressource financière destinée aux services et ressources pédagogiques numériques
Aïe, l’expérience n’est pas nouvelle et se révèle un échec à 80 % d’après nos données. En effet, il ne suffit pas de donner des moyens, il faut aussi s’interroger sur la manière dont ces moyens peuvent intégrer l’éco-système de l’établissement ainsi que sur le rôle des inspections dans la détermination de ces ressources… A moins de donner une compétence nouvelle aux collectivités dans un acte nouveau de décentralisation
15- Développement d’un catalogue d’applications piloté par le service public
Jadis envisagé sous la forme d’un label et bien avant avec la fameuse « valise informatique » de 1985 pour la partie pédagogique, il semble que sur ce champ, ce soit vain. Par ailleurs si l’on parle d’applications du ministère, outre qu’elles sont souvent peu ergonomiques et pratiques, et surtout certaines sont un échec financier important (Cf. Sirhen…)
Bruno Devauchelle