Au cours des deux derniers mois, les académies se sont mises au travail pour préparer les États Généraux du Numérique. De nombreuses propositions semblent avoir été remontées. Dans le même temps le ministère a engagé un travail de compilation d’informations en vue de faire, à cette occasion, non seulement un bilan, mais aussi des propositions pour accompagner la place du numérique dans l’enseignement scolaire, compte tenu de l’expérience vécue depuis le début mars 2020. Chaque académie a tenté de répondre à la demande du ministère en organisant des dispositifs qui permettraient de faire remonter les éléments les plus pertinents. Sous forme de journées, à la suite de l’appel à retour d’expériences (RETEX), le but initial était de faire remonter ce qui était positif et pourrait être transposé ou proposé. Fort heureusement dans les remontées il y a eu non seulement les remontées dites positives, mais aussi les questions, les obstacles, les difficultés.
Réductions
Un premier état des travaux permet de constater qu’un grand nombre de réflexions et de témoignages portent sur les mêmes thèmes et sont plutôt de l’ordre de la difficulté, du manque ou des limites constatées : Équipement matériel des élèves (et des enseignants), fracture numérique, formation des enseignants et des élèves, compétences numériques et littératie, accompagnement des familles et des élèves. Ces constats, qui confirment l’impréparation de l’école à cette situation, sont tous des appels à ce que le ministère prenne des mesures pour y remédier. Ces questions ne sont pas nouvelles, d’ailleurs la représentation nationale s’en est emparéee par la commission des affaires culturelles et de l’éducation qui a sorti 15 propositions à destination des politiques, des décideurs.
Faire face à des difficultés, dont certaines ne sont pas nouvelles mais ont été mises en exergue pendant le confinement, est un des enjeux clés de l’avenir du système scolaire et de sa capacité à continuer sa mission. Comment l’école peut-elle continuer en ignorant les fractures, l’illettrisme comme l’illectronisme, les enjeux éducatifs d’une société d’information et de communication… ? Malheureusement, en réduisant à la question du numérique éducatif, les concepteurs de ces journées ont fait preuve d’une méconnaissance des problèmes complexes rencontrés au quotidien. Réduire les problèmes aux questions numériques et engager des solutions uniquement basées sur le numérique, c’est faire fausse route. Il suffit de lire le rapport du CNESCO pour se rendre compte qu’il ne faut surtout pas « isoler » la variable numérique des autres éléments du contexte de l’éducation, « toutes choses égales par ailleurs » comme disent les statisticiens…
Raffinages
À la recherche de « pépites », de « réussites », chaque académie s’est mise au travail, a fait ses devoirs et a rendu sa copie dans les délais impartis. Ces journées de travail organisées par académies ont bien sûr été l’occasion d’échanges variés, mais il faut reconnaître qu’il peut être parfois difficile d’y trouver matière à aller plus loin surtout si l’on recherche la synthèse. Car les éléments les plus intéressants se cachent dans les détails, dans les pratiques minuscules, ordinaires presque, quotidiennes souvent, amenant à interroger l’institution et son organisation. Les enquêtes menées au cours du confinement sont largement insuffisantes pour rendre compte de ce qui s’est passé, surtout celles basées sur des questionnaires en ligne. Certes, elles donnent à voir quelques éléments à approfondir, mais elles ne disent pas grand-chose de l’alchimie du quotidien au sein de l’espace proche entre l’établissement, les familles et le territoire. Les fiches RETEX déposées par les académies (plus de 1200 au total) sont autant d’élément de témoignages qui, bien que difficilement exploitables sans une analyse approfondie, montrent des pistes possibles, certaines d’entre elles ont été reprises dans les territoires.
Attention, les États Généraux fonctionnent comme une raffinerie : il faut extraire de tout ce matériau, ce qui peut être utile pour l’avenir. La grande majorité porte un constat plutôt négatif sur ce qui s’est passé, un certain nombre de propos tentent d’ouvrir des pistes d’amélioration. Malheureusement, des lobbys (syndicats, associations, collectifs d’entreprises, etc.)se sont emparés des espaces d’expression publique ouverts sur le site ad hoc. Du coup on retrouve les traditionnels propos préformatés et aussi parfois des échanges vifs. Mais de nouvelles approches constructives, trop peu à notre goût. On peut penser que de ces journées il ne ressortira pas grand-chose. Ou simplement de propositions si générales qu’on ne verra rien venir de crédible, hormis une ou deux mesures qui permettront de justifier de ces journées et de tempérer certains lobbys…
Bruno Devauchelle