« Contrairement à ce qu’on entend souvent, 80% des enseignants français utilisent régulièrement les outils numériques en français et en maths ». A quelques jours des Etats généraux du numérique, l’enquête publiée par le Cnesco le 15 octobre propose un état des lieux très précis des usages et éclaire fortement les enjeux. Le Cnesco souligne les inégalités d’équipement et de connexion dans le pays. Il examine de près l’efficacité du numérique pour les apprentissages. Il conclut en appelant à donner à chaque élève un accès minimal au numérique et à soutenir les équipes en s’attaquant à la fois la formation et l’équipement.
Des élèves inégaux face au numérique
« Tous les élèves français n’ont pas le même accès au numérique ». Le premier enseignement de l’enquête du Cnesco c’est de montrer les inégalités d’accès au numérique. On savait déjà que les taux d’équipements sont fort inégaux. Ainsi on compte 2 élèves par poste informatique en LP, 3 en LGT et 4 en collége. Ces taux sont nettement supérieurs à la moyenne européenne et témoignent de l’efficacité des plans numériques antérieurs. Par contre on tombe à 12 élèves par poste dans le premier degré. Et là on est très au dessus de la moyenne européenne. Une lecture plus précise montre de fortes inégalités entre les écoles et les collèges. Ainsi les 20% des écoles les mieux dotées comptent 4 élèves par poste alors que les 20% les moins bien dotées en comptent 32 ! Au collège l’écart est de 2 à 9.
Il y aussi des inégalités territoriales. Contrairement à ce qu’on pourrait penser les écoles des zones rurales sont très bien dotées en matériel, résultat peut être des plan Ecole numérique rurale. On le constate par exemple dans le Cantal ou en Lozère. On trouve ensuite certaines villes comme Paris. Dans les zones les moins bien dotées on va trouver des grandes villes comme Lyon, Toulouse, Strasbourg ou Marseille. La cartographie précise du Cnesco met en évidence le lien entre la richesse des communes et leur équipement informatique. Ainsi en Ile de France, il y a un fort contraste entre Paris et la Seine Saint Denis ou le Val de Marne. Mais les politiques municipales plus ou moins soucieuses des écoles jouent aussi leur rôle.
La situation est très différente quand il s’agit de la connexion à Internet. Elle est assez répandue pour les collèges et lycées. Par contre il y a de fortes différences entre les écoles. Plus une commune est peuplée meilleure est la connexion. Il n’y a donc aucune logique entre l’équipement numérique et la connexion Internet, ce qui pose problème…
Des usages du numérique banalisés dans l’Ecole
L’étude du Cnesco s’est aussi intéressée aux usages des enseignants. Sous un angle double : quels sont leurs usages réels en classe, grâce à deux enquêtes sur deux échantillons d’un millier d’enseignants. Et pour quels usages le numérique est il profitable aux élèves. Là aussi le Cnesco propose une étude totalement nouvelle.
L’étude montre que les enseignants utilisent très fortement le numérique pour préparer les cours. Mais ils utilisent aussi très fortement le numérique en classe, beaucoup plus que ce quon a pu dire. Pour le Cnesco l’usage est devenu « commun ».
En français 8 enseignants sur 10 déclarent faire utiliser l’outil numérique par les élèves au collège au moins une fois par semaine ou une fois par mois. En maths c’est 95% ! Contrairement à ce qu’on a dit, le numérique est vraiment entré dans les classes.
Mais pour obtenir ces chiffres le Cnesco prend en charge tout le numérique et pas seulement certains usages innovants. Ainsi en maths les deux outils les plus utilisés sont la calculatrice (utilisée par plus de 90% des professeurs) et le logiciel de programmation (en lien avec les programmes) à près de 90%. Par contre les solveurs d’équation ou les exerciseurs , portant fortement soutenus par le ministère, sont beaucoup moins utilisés. Et cela aussi bien au collège qu’en lycée.
En français, le traitement de texte est utilisé par la moitié des professeurs de collège au moins une fois par mois. Il en va de même pour les dictionnaires en ligne. Par contre les livres numériques sont peu utilisés.
Cette analyse du Cnesco , qui prend en compte tous les outils, montre la banalisation des outils numériques dans les classes dès lors qu’on reconnait comme numérique des outils qui ne sont pas innovants comme le traitement de texte ou la calculatrice.
Le numérique est-il efficace ?
La dernière analyse novatrice du Cnesco porte sur la plus value du numérique pour les apprentissages. On la doit à André Tricot qui a épluché près de 300 études en partant des fonctions pédagogiques.
Cela nous vaut un tableau tout à fait nouveau des effets du numérique.
« Il est impossible de conclure que le numérique a des effets positifs pour les apprentissages », explique André Tricot. « Chaque fois on dit : « ça dépend ».
Ainsi le numérique est plus efficace pour chercher de l’information mais il pose la question de la fiabilité des sources. Le numérique peut être négatif pour comprendre des textes. Ne serait ce que parce que la lecture sur support numérique est plus exigeante que sur papier et nécessite plus de temps en temps limité.
Le numérique n’a pas non plus d’effet sur la motivation des élèves, souligne A Tricot. L’effet jeu sérieux est nul, estime t-il,les élèves comparant les pauvres jeux éducatif à ceux du marché. L’enseignement à distance est moins efficace que l’enseignement en présence. La communication entre les être humains y est nettement déteriorée. Des études montrent d’ailleurs que la communication asynchrone (enregistrée) y est plus efficace que la communication synchrone (en direct). Une information à retenir pour l’utilisation de Ma classe à la maison…
Globalement les outils numériques sont plus exigeants que les outils traditionnels. Ils peuvent aider des élèves déjà d’un bon niveau.Par contre ils augmentent les difficultés pour les élèves faibles.
Ainsi pour le Cnesco, il faut dépasser la querelle entre anti ou pro numérique pour une approche plus précise sur les situations où le numérique peut apporter quelque chose.
Les préconisations
Nathalie Mons a présenté les préconisations du Cnesco. Pour le Cnesco, Il faut garantir à chaque élève un cahier des charges minimal pour le numérique éducatif et réduire les inégalités. Mais « il faut rompre avec la logique des plans numériques » qui ne sont pas en lien avec les usages des enseignants. Il faut renouveler le matériel en partant des besoins des équipes pédagogiques. Une approche qui nécessiterait un autre management du numérique.
Il faut aussi tenir tous les leviers : équipement des établissements, soutien à l’équipement des élèves et des familles, formation. Cette approche est actuellement mise en avant dans les Territoires numériques expérimentés par le ministère.
Le Cnesco plaide aussi pour réintroduire une certification des capacités numériques des futurs enseignants en formation initiale et généraliser celle des élèves, ce que le ministère fait avec Pix.
F Jarraud