Presque quarante ans après le 1er plan numérique, quelques semaines après un confinement durant lequel l’Ecole n’a tenu que par le numérique, on pouvait attendre un plan numérique ambitieux exploitant les enseignements du printemps dernier. Les « Territoires numériques éducatifs » que JM Blanquer et Nathalie Elimas, secrétaire d’Etat à l’éducation prioritaire, ont présenté le 21 septembre ne concernent que les départements de l’Aisne et du Val d’Oise. Si ce plan marque un timide retour du numérique dans une politique ministérielle qui avait mis fin aux programmes précédents, il semble qu’il n’a toujours pas tiré profit des échecs de ses prédécesseurs.
« Une locomotive du développement numérique »
Pour JM Blanquer, les Territoires numériques éducatifs sont bien « le début d’un plan numérique », une « locomotive du développement numérique » pour l’Ecole. Le ministre estime que « donner de l’équipement ne suffit pas , il faut un accompagnement pédagogique ». Pour lui le numérique « permet d’augmenter la pédagogie » et il cite des logiciels de calcul mental, ou des appuis numériques pour les dyslexiques ». Pour autant, JM Blanquer tempère tout de suite : il s’agit « d’usages raisonnés », de « lutter contre l’addiction aux écrans », de « protection » et de « discernement ». Le ministre s’est fait davantage connaitre par une loi sur le smartphone dont on mesure depuis mars dernier qu’elle n’a pas été une bonne idée, et l’enterrement dès 2017 du plan numérique de son prédécesseur. Nathalie Elimas va suivre ce projet car il va « transformer les pratiques pédagogiques ».
Présenté également par Guillaume Boudy, secrétaire général pour l’investissement, à la tête des Programmes d’investissement d’avenir (PIA), le programme Territoires nuémriques éducatifs » consiste à actionner de manière concertée et immédiate, dans une approche intégrée, l’ensemble des leviers de l’éducation « au et par le numérique », avec la mise à disposition d’équipements, d’un accompagnement, de formations adaptées et de ressources pédagogiques ». C’est une approche « universelle et complexe ». » le projet proposé revêt une dimension systémique entre équipement et formation, entre enseignement et apprentissage, entre élèves et professeurs ».
Transformer les pratiques des professeurs et des élèves
Concrètement le nouveau plan , financé par les PIA à hauteur de 27 millions, prévoit d’équiper 2 700 classes des écoles élémentaires (pour 9 millions), et des kits robotiques en cycles 1 et 2. Un millier de professeurs recevront du matériel numérique, uniquement des néo-titulaires. La moitié des classes de toutes les structures, du primaire au lycée, soit 15 000 classes , recevront un « kit d’enseignement hybride » « qui permettra de transformer rapidement sa salle en espace de travail distant ». 4.5 millions y sont consacrés ce qui va faire bien peu par classe (300€). » Ces kits « numériques » permettront de réaliser des scénarios pédagogiques et des animations quand ils seront utilisés en classe. À la maison, ils permettront aux professeurs de préparer leurs enseignements et aux élèves de s’entrainer sur les leçons vues en classe ». Enfin 15 000 élèves des écoles élémentaires en fracture numérique recevront du matériel (6 millions, soit 400€ par élève). L’ensemble des professeurs concernés pourront bénéficier d’une formation délivrée par Canopé. Des parents seront formés à l’usage du numérique par la startup d’Etat « La trousse à projet ». Pour G Boudy c’est un point fort du plan. Des ressources pédagogiques sont aussi prévues : il s’agit de celles de la BRNE.
Le programme est piloté par un comité, présidé par le Secrétariat général pour l’investissement, ne comprenant que des représentants de l’Etat et la Caisse des dépots. Il y a un comité d’orientation composé de représentants du ministère et des startups. Enfin un « comité local » où les représentants des collectivités locales seront accompagnés de représentants de tous les organes de l’Education nationale.
De ces 27 millions on attend » un effet transformant des pratiques d’enseignement des professeurs ; un effet transformant des stratégies d’apprentissage des élèves ; garantir la continuité pédagogique en cas de rupture des enseignements en présentiel ; contribuer à la résilience du système éducatif en cas de crise ». Finalement c’est un des points communs de ce plan numérique avec ses très nombreux prédécesseurs : faire croire que l’Ecole (E majuscule !) sera transformée par le numérique.
Pourquoi ça ne marche pas
Malheureusement il y a bien d’autres points communs avec les précédents plans numériques. Comme les autres, ce plan ne tient aucun compte des motifs de l’échec des plans précédents même s’il se prétend novateur, « universel », « complexe » etc.
Pour s’en convaincre, il suffit de relire le rapport que la Cour des Comptes a consacré au plan Hollande. Ce dernier avait une autre dimension : il mobilisait un milliard pour équiper les collèges et former les enseignants. Il a échoué parce que JM Blanquer lui a tordu le cou dès son arrivée rue de Grenelle alors qu’il devait se terminer fin 2018. Mais la Cour montre aussi ses erreurs. Lisons le projet des Territoires au regard de ce rapport.
Pointons la première erreur commune des plans numériques : le plan numérique est décidé et monté avant tout diagnostic sérieux de la situation. A quoi veut remédier ce nouveau plan ? Si c’est aux inégalités mises à nu durant le confinement, puisque ajoutées par l’Education nationale, si c’est permettre une continuité pédagogique pour tous, alors la solution est-elle dans les tablettes et l’équipement des classes et seulement d’une infime partie des enseignants ? Que penser de cette idée du kit classe ? Et si on parlait smartphone, BYOD (comme la Cour des comptes le recommandait avant la crise sanitaire), facture de téléphone, accès internet… Le saupoudrage envisagé par le nouveau plan est-il à la hauteur ? Il y a certes un effort de ciblage et la volonté d’entrainer les parents. Mais là aussi comment concrètement appliquer cette idée ?
Après l’absence de diagnostic de départ, la Cour des comptes a souligné une erreur fondamentale dans le financement du plan Hollande : confier un plan numérique éducatif à un organisme ne dépendant pas de l’Education nationale, en l’occurrence le financement par les PIA. Outre que , selon la Cour, les PIA ne devraient pas financer des équipements, cela fait que le programme échappe à l’Education. La Cour a ainsi montré que le plan Hollande n’a jamais obtenu que 307 millions sur le milliard promis. On voit bien pourquoi l’Education nationale préfère un tel financement qui n’empiète pas sur son budget. Mais l’expérience du plan Hollande n’a pas été entendue.
Autre grosse erreur : la place des collectivités territoriales dans le projet. Les Territoires, comme l’ex plan Hollande, leur permet de faire des économies dans leurs dépenses d’équipement. Mais en 2020 comme en 2015, elles sont totalement instrumentalisées par l’Etat. Leur absence dans le pilotage du programme pique les yeux. Quelle étrange conception de parler de « Territoires numériques » sans elles.
La sympathique opération de communication du 21 septembre ne peut pas faire oublier que concrètement au niveau national aucun enseignement du confinement n’a été tiré. Les enseignants et leurs élèves n’ont reçu aucune consigne et aucune aide dans le cas , pas impossible, d’un nouveau confinement total ou régional. Ce qui peut exister relève des seules initiatives des enseignants à qui on demande maintenant d’utiliser des outils dont ils ont eu de bonnes raisons de se détourner au printemps dernier.
En novembre le ministre réunira des Etats généraux du numérique. Il lui reste donc quelques mois pour tirer profit des erreurs de ses prédécesseurs s’il le souhaite…
François Jarraud
Où est passé le plan numérique ?