La situation de confinement risque de se reproduire dans certaines régions, toucher certaines écoles nous a avertis le ministre. Comment la vivre alors ? « Heureux qui …comme des confinés » est un témoignage sur la période de confinement dans un internat par Raphaël Koné, professeur d’histoire et formateur en centre de formation professionnelle dans les Yvelines. Doctorant au laboratoire BONHEURS, ses recherches portent sur les processus d’apprentissage dans les activités éducatives, formatives et professionnelles dans des cadres informels ou institutionnels.
Quel regard portez-vous sur la situation de confinement vécue l’année dernière dans votre internat ?
Comme une grande partie du monde, notre vie a pris un tournant important à partir de ce 16 mars 2020. Du jour au lendemain, nous étions tous devenus des confinés, chez soi, chez l’ami, dans sa région ou hors du pays. Chacun devait adapter sa façon d’apprendre ou de transmettre. La vie sociale et familiale devait s’envisager autrement. Une question m’a taraudé l’esprit : comprendre le sens même du mot confinement. A l’instar de Dewey (1894) se basant sur les observations faites sur ses enfants pour travailler par la suite avec ses étudiants, j’ai décidé dans les premiers jours de faire en famille un exercice de vocabulaire : chercher le sens de ces mots, « confiner et confinement ». Nous les avons déshabillés, décortiqués afin de comprendre tous leurs contours. Vu l’intérêt de mes enfants pour cette activité, j’ai décidé de la répéter avec mes élèves, avec le groupe de troisième année de CAP. Que ce fusse à la maison ou en classe, la première réaction était l’étonnement. Ces mots désignaient l’éloignement, l’enfermement, le fait de vivre en vase clos, de façon resserrée, entre soi ; en quelque sorte une privation de liberté, un isolement. On comprend alors que les enfants tout comme les élèves s’interrogent. Sommes-nous dangereux ? Sommes-nous devenus des menaces ? Je répondais que non. Alors, ils demandaient et redemandaient toujours. « Nous ne sommes pas des prisonniers pour être confinés monsieur ! ». Il fallait expliquer et réexpliquer, modestement avec le peu d’informations dont nous disposions aux niveaux scientifique et médical sur cette situation inédite. Il fallait expliquer sans minimiser et sans affoler, rassurer et apaiser les inquiétudes.
Comment avez-vous alors organisé l’enseignement ? Cela demande du temps !
Au fil des jours, en classe, chacun venait avec ses interrogations, des plus pertinentes aux plus improbables (c’est quand la fin de la pandémie, qui est à l’origine de la maladie, pourquoi les africains ne sont pas aussi touchés ? …) Tout y passait, jusqu’à tenir des propos millénaristes, c’est-à-dire que nous étions arrivés à la fin du monde. L’enseignant devient alors éducateur, il écoute, rassure, sans jamais tomber dans le pathos ; il est à la fois pédagogue, médiateur, et accompagnateur dans des situations atypiques. C’est ce qui fait les moments de plaisir, malgré tout. A la fin de ces échanges intenses et riches, nous décidâmes de faire de cette situation inattendue quelque chose de positif. Notons qu’au niveau de notre établissement, le Centre éducatif de formation professionnelle (CEFP) de Villepreux, doté d’un internat, nous nous sommes organisés très vite afin de continuer la formation en présentiel ou à distance pour certains.
J’avais opté pour le présentiel, cela me permettait de moins ressentir les effets du confinement et de me sentir plus utile que d’habitude car au-delà de notre métier d’enseignant, nous sommes dans une moindre mesure des agents de santé pour ce qui concerne le CEFP qui accueille un public varié de jeunes aux profils différents. Sur la vingtaine de candidats au CAP, la moitié était confinée à Paris et l’autre moitié vivait en internat au sein de l’établissement. Pour faire face à la situation, les groupes étaient allégés, des tables espacées, les masques et les gels hydro-alcooliques à disposition. Les horaires avaient été aménagés, les élèves venaient en classe à 8h30 au lieu de 8h habituellement.
Avec ces petits changements, je remarquais un début de grande transformation chez des élèves auparavant hostiles aux apprentissages. Nous avions établi des rituels pour chaque jour, la prise de nouvelles des uns et des autres et le commentaire des actualités d’ici et d’ailleurs. Cela prenait une quinzaine de minutes. Les échanges tournaient autour des nouvelles informations relatives à la Covid-19 dans tel ou tel pays, dans telle ou telle région de la France. Au fil des jours j’avais en face de moi un groupe certes réduit mais désireux de comprendre, de savoir, et surtout heureux de venir en classe. Aux inquiétudes et aux réticences des moments antérieurs, une sorte de convivialité s’était installée au sein de l’établissement, entre les élèves eux-mêmes et entre les professionnels que nous étions, malgré ces fameux barrages de distanciation sociale. Tout n’était pas parfait, loin de moi de prétendre cela. Il y avait les habituels bavardages, gros mots, tags sur les tables, etc. Mais il y en avait beaucoup moins ! D’une situation paradoxale, voire même angoissante, nous étions devenus des personnes travaillant en toute simplicité dans un contexte que nous étions loin d’imaginer quelques semaines avant.
Vous êtes parti des questions des élèves. Que tirez-vous de cette expérience pour cette reprise, dans la perspective du bien-être de vos élèves ?
Je me suis dit qu’il fallait prendre le temps, que l’analyse viendra après, qu’il fallait vivre des instants présents, accompagner efficacement les élèves. Nous avons assisté à l’éclosion d’une nouvelle conscience chez des apprenants souvent réfractaires à nos démarches ! La classe était devenue un endroit où il faisait bon vivre, où il fallait se soutenir, où l’on pouvait échanger ; en fait, un lieu de vie et de bonheur, recentré sur l’essentiel des apprentissages. Une sorte de solidarité se créait entre les élèves. Pour marquer ces moments particuliers et atypiques, nous avons créé un journal digital dans lequel chacun pouvait s’exprimer, quand et comme il le souhaitait. Nous entendons continuer ce travail, partir de leurs demandes. D’ailleurs, lorsque le confinement fût arrêté officiellement le 11 mai, un grand nombre d’élèves commençaient déjà à regretter ce moment (« Monsieur, est ce que nous pouvons continuer le confinement ? … »). Ils ont mis à profit cette période pour apprendre, ils en sont conscients. Les résultats des évaluations pour la validation du diplôme du CAP ont tous été positifs. L’une des grandes satisfactions de l’équipe enseignante et de la direction est de savoir que nous avions pu faire d’une contrainte un atout lors de nos enseignements.
Propos recueillis par Line Numa-Bocage,
Directrice adjointe du laboratoire BONHEURS
CY-Cergy Paris Université.