C’est une des leçons du confinement : on apprend bien mieux avec les autres. Alors que l’épidémie est toujours là, Sylvain Connac publie un livre clé pour relancer la coopération des élèves en classe. Il présente les différentes formes de coopération, du travail en groupe aux conseils coopératifs. Très concret, agrémenté de nombreux tests et exercices, ce livre est un véritable manuel pour faire évoluer sa pédagogie en sécurité. Alors que rétablir du commun est une priorité, Sylvain Connac répond à nos questions.
« La coopération à l’école est-elle utile ? La question ne se pose plus : il est important que dès leur plus jeune âge les enfants puissent agir avec d’autres et développer un maximum d’habiletés prosociales ». Mais cela ne suffit pas, rappelle Sylvain Connac dans l’introduction du livre. Il faut aussi que la coopération soit au service de la réduction des inégalités. Et c’est tout le pari de ce livre que d’appuyer les bonnes intentions sur les résultats de la recherche et l’expérience de l’auteur.
L’ouvrage définit d’abord ce qu’est la coopération en la distinguant de la collaboration et de la compétition et en présentant des exercices suscitant l’envie de coopérer. On appréciera particulièrement, en ce début d’année, des jeux de rentrée. Par exemple le défi « ficelle » pour briser la glace et que les élèves entament des relations coopératives. Ou le « bingo » qui favorise l’organisation , en début d’année, de la classe coopérative.
Les chapitres suivants déclinent différentes formes de coopération en les expliquant et en donnant des outils d’évaluation des habiletés coopératives. Ainsi on peut travailler sur l’aide et le tutorat, avec là aussi des exercices en forme de « défis » à relever et des évaluations. Se former au travail en équipe fait l’objet d’un chapitre avec défis et fiches d’évaluation. D’autres chapitres traitent des conseils coopératifs, des jeux coopératifs, des marchés de connaissances et des discussions à visée philosophique. Là aussi des tests et des fiches pratiques permettent de faire le point. Le livre se clôt sur une présentation des brevets des enseignants et un bilan de la coopération en classe. Tous les documents (tests, fiches etc.) présentés dans le livre sont téléchargeables sur le site de l’éditeur. On peut donc facilement les récupérer et utiliser en classe.
Ainsi Sylvain Connac peut se vanter d’offrir un ouvrage pratique qui invite à mettre en application des valeurs pédagogiques et politiques qui sont chères aux pédagogues. Il s’en explique dans cet entretien donné au Café pédagogique.
Sylvain Connac : « Il faut adapter la coopération à la crise sanitaire »
Votre livre vante le modèle de la classe coopérative. Mais la coopération c’est quoi exactement ? Quelle différence avec la collaboration par exemple ?
Il y a du commun : l’agir ensemble. Mais il y a une différence importante. Elle est d’abord politique. Laurent Eloi explique que la coopération convient bien à une politique progressiste alors que la collaboration renvoie à une politique libérale.
Dans la collaboration ce qui prime c’est la production. Et comme c’est l’oeuvre qui importe, on se répartit le travail en fonction des talents individuels. Dans la collaboration les meilleurs engrangent les tâches de niveau élevé et les autres n’ont que les tâches subalternes ou rien. C’est une logique libérale.
Dans la coopération on ne peut pas avoir de répartition des tâches, qui serait forcément inégale. C’est contraire avec l’idéal de la coopération. Si on coopère c’est pour mieux apprendre individuellement.
Quels sont ces idéaux de la coopération ?
L’idée de coopération renvoie d’abord aux travaux de Dewey et au « cooperative learning ». On apprend en pratiquant une pédagogie active. Cela renvoie aussi au mouvement de l’Education nouvelle en Europe où la coopération porte des valeurs de justice sociale. On fait coopérer les élèves pour qu’ils apprennent mieux individuellement et pour lutter contre les inégalités. C’est l’éducation à la fraternité par la fraternité.
Est-ce efficace ? Vous écrivez que c’est une éducation à risque…
L’ouvrage se base sur la recherche existante. Elle dit que la coopération , en soi, n’est pas efficace. Tout dépend des conditions de sa mise en oeuvre. Si on prend le travail en équipe et qu’on laisse les élèves se répartir les tâches, ce sera inefficace du point de vue de la justice scolaire. Mais si on fait en sorte que le travail final soit présenté par n’importe quel membre du groupe, on évite ce travers. Il n’y a donc pas de point de vue général. Le livre présente 12 formes différentes de coopération scolaire.
Comment peut-on installer dans son école ou établissement une pédagogie coopérative ?
Il faut voir cette question sous deux angles différents : l’élève et l’enseignant. Du point de vue de l’élève des travaux montrent que la coopération est spontanée. Ce qui est naturel c’est de coopérer dans des contextes difficiles. Quand on dit aux élèves de coopérer, ils le font volontiers sauf ceux qui ont connu des expériences douloureuses.
Du point de vue des adultes, on a tendance à reproduire sa propre éducation. Il y a donc 3 grandes précautions à prendre avant d’introduire ce changement pédagogique. Il faut se former, et cet ouvrage essaie de le faire. Il ne faut pas rester seul mais participer à un collectif dans son établissement, ou dans un groupe numérique ou un mouvement pédagogique. Il faut essayer d’éviter les pièges du travail en groupe et du tutorat. Le diable se cache toujours dans les détails…
La coopération ça peut s’apprendre dans un livre ?
L’expérience autour de ce livre le dira. J’a beaucoup puisé pour ce livre dans mon expérience de l’école, du collège et du lycée. C’est ce qui me fait dire que si l’école française devenait plus coopérative cela donnerait davantage de valeur à notre école qui retrouverait de la fierté. L’organisation coopérative du travail des élèves est pour beaucoup dans la joie des professeurs que je rencontre. Ajouter de l’humanité dans ce métier c’est aussi ajouter de la satisfaction.
Tout est fait dans ce livre pour une mise en pratique avec notamment de nombreux tests pour évaluer la compréhension du livre et des outils pour la pratique.
Les exercices de formation sont pensés pour les élèves, plus rarement pour les enseignants. Mais le livre peut être utilisé par des formateurs conscients qu’il faut une formation pour faire coopérer sans risque les élèves. L’essentiel des exercices du livre sont faits pour former les élèves avant de les laisser coopérer de façon autonome. Des élèves formés coopèrent mieux. Par exemple la formation améliore la posture des élèves, le niveau sonore par exemple.
La coopération peut-elle devenir une façon de gérer l’école ?
Au niveau des enfants ça peut être intéressant que la coopération devienne une forme de direction éducative. Cela permettrait d’espérer atteindre un idéal cher aux pédagogues : transformer la société par la transformation de l’école. Mais cela nécessiterait une stabilité des politiques éducatives qui n’est pas la règle en France.
Du point de vue des adultes, c’est difficile car il n’y a pas d’autorité supérieure dans un établissement. Un chef d’établissement qui voudrait introduire la coopération dans son collège prendrait un grand risque d’ingérence pédagogique.
La coopération a t-elle un avenir lors de cette rentrée si particulière ?
Le Covid 19 est redoutable pour la coopération car il impose la distanciation. Mais il faut bien distinguer distanciation sociale et physique. La distanciation physique ne se discute pas. Mais si apprendre engage forcément soi-même, on apprend mieux grâce aux autres par la coopération. Donc si on enlève la coopération de l’enseignement, même dans le contexte actuel, cela veut dire que l’école va devenir plus difficile pour les élèves fragiles. Il faut donc adapter la coopération pour qu’elle existe sans contact physique. Et ça c’est possible.
Propos recueillis par François Jarraud
Sylvain Connac, La coopération, ça s’apprend. Mon compagnon quotidien pour former les élèves en classe coopérative. ESF Sciences Humaines.