« Faut-il voir dans le redoublement un instrument au service de la lutte contre l’échec scolaire ou seulement une entrave à la scolarisation primaire de tous les enfants ? Dans de nombreux pays africains, cette question fait aujourd’hui l’objet d’un intense débat attisé par les objectifs d’Education pour tous, particulièrement celui de la scolarisation primaire universelle. Les uns accusent le redoublement de restreindre l’accès à l’école ; les autres s’insurgent contre le sacrifice de la qualité de l’éducation qu’impliquerait, selon eux, une diminution sensible du redoublement. A première vue, ces deux opinions pour le moins divergentes paraissent fondées. En effet, en 2005, environ 40 % des enfants du continent ne bénéficient pas d’une scolarité primaire complète. Parallèlement, on constate que l’école primaire africaine éprouve de sérieux problèmes de qualité, les élèves africains obtenant des résultats nettement plus faibles que ceux de leurs camarades des autres continents. Dès lors, une véritable réflexion sur la problématique du redoublement ne peut passer outre l’étude de ces deux dimensions ».
C’est à cette réflexion que nous invitent Jean-Marc Bernard, Odile Simon et Katia Vianou dans une étude de la Confemen, un organisme qui réunit les ministres de l’éducation des pays francophones. Il se livrent à une analyse précise des pratiques de redoublement en Afrique noire.
Car la particularité du continent c’est d’offrir à la fois les taux de redoublement les plus élevés (Gabon, Guinée etc.) et les plus bas (Botswana, Zimbabwe etc.) de la planète avec une moyenne très haute : taux moyen de 18% pour l’Afrique subsaharienne (contre 5% pour le monde). En fait le taux de redoublement dépend du passé colonial de chaque pays : les anciennes colonies françaises et portugaises ont maintenu la tradition du redoublement et ont un taux élevé à l’opposé des britanniques où le redoublement est quasi absent.
» Malheureusement, la persistance du recours massif au redoublement et le modèle scolaire élitiste qu’il suppose ne sont pas non plus étrangers au retard des pays africains, surtout francophones, dans l’atteinte de la scolarisation primaire universelle ». En effet le fort taux de redoublement coûte cher et le redoublant prend souvent la place d’un enfant qui ne sera pas scolarisé. D’autre part, il induit un fort taux d’abandon. Les auteurs montrent que le taux d’achèvement baisse en proportion du taux de redoublement. « Si l’on diminue de 10% le taux de redoublement on peut espérer gagner près de 11 points de taux d’achèvement… A peu près la moitié du retard de scolarisation des pays francophones serait imputable aux pratiques de redoublement « .
L’exemple du Niger est éclairant. Le taux de redoublement est passé de 17 à 5% entre 1993 et 2004. Le Niger scolarise 857 000 enfants. Avec un taux de redoublement à 17% il n’en aurait accueilli que 600 000. Le gain de scolarisation imputable à la diminution des redoublements est de 257 000 élèves !
Pour autant le redoublement permet-il d’améliorer la qualité de l’enseignement ? Les auteurs ne le pensent pas. Ils constatent que l’étude PISA n’ pas établi de lien entre performances scolaires et redoublement. La France et la Norvège ont à peu près le même score en compréhension de l’écrit alors que le redoublement est ignoré en Norvège. Une enquête Unesco en Afrique montre que les pays où le redoublement est très faible ont les meilleurs résultats. Un suivi des élèves montre que le redoublement n’améliore pas durablement les résultats des élèves.
Alors à quoi sert-il ? » Le principal effet du redoublement consiste sans doute à donner une fausse impression d’efficacité, évitant par là aux systèmes éducatifs de se poser les questions de fond relatives à la qualité des acquisitions scolaires… Le redoublement est un mirage pédagogique : il masque sans y remédier les difficultés d’apprentissage des élèves et donne aux acteurs de l’éducation une fausse impression d’efficacité ». Les auteurs appellent donc à sa remise en cause pour permettre au continent africain d’atteindre les objectifs de l’Education Pour Tous.
http://www.u-bourgogne.fr/upload/site_120/agenda/sem24016.pdf